Quelques semaines après Orlando Furioso, le Théâtre des Champs-Élysées propose, en cette toute fin d'avril, de remettre le couvert vivaldien avec Farnace, cette fois en version de concert : un opéra au canevas antique rodé (les vicissitudes de Pharnace, roi du Pont, fils de Mithridate, combattant Pompée et la reine de Cappadoce Bérénice), qui fut en son temps le plus joué de tous ceux du compositeur. Sans aucun doute ce dernier était-il conscient de la haute qualité de son corpus, puisqu'il n'hésita pas à le remettre sept fois sur le métier, au long de onze années de vie créatrice (1727-1738). De Venise à Mantoue, de Pavie à Trévise, Ferrare et même Prague, en avisé impresario de son propre labeur, le Prêtre Roux s'adonna ainsi à un impressionnant nombre de variantes, sans doute au-delà de la moyenne d'une époque pourtant peu chiche de remplois, transpositions et autres pasticci.
Autant que d'importantes modifications textuelles – que seuls deux manuscrits autographes (1731,1738) permettent de pointer avec précision –, ce sont aussi des oscillations récurrentes dans la tessiture du rôle-titre (de contralto à ténor) qu'attestent les programmes des théâtres. La lecture des Virtuosi delle Muse, phalange baroque fondée en 2004 par Stefano Molardi et Jonathan Guyonnet, est d'autant plus attendue que nous ne comptons au catalogue qu'une seule recension discographique : une captation faite en 2001 à Madrid, d'un Jordi Savall qu'on a connu plus heureux... inexplicablement reprise dans l'intégrale Naïve. Au choix aberrant d'un baryton en Pharnace se joignent, hélas, acidités vocales, direction passe-partout et prise de son hasardeuse. Autant dire que nous partons d'extrêmement peu.
Stimulante fraîcheur, de fait, que ce roulement de timbales ouvrant avec le plus grand naturel le Tempo primo de la Sinfonia. Martiale sans raideur, cuivrée sans dureté, celle-ci éblouit d'emblée par des cordes félines dont la cambrure incisive (le diapason est bas), la vélocité et l'imagination dynamique vont faire merveille au long de la soirée. La version retenue reposant pour l'essentiel sur des airs tripartites, l'invention instrumentale se montre d'autant plus nécessaire qu'un simple jeu sur les coloris ne peut nourrir plus de trois heures de musique en coupe réglée ! Heureusement, Farnace, s'il illustre à l'envi tous les affects baroques en vogue, comporte des archétypes évoluant avec suffisamment d'habileté pour que s’y puisse ouvrager une authentique dramaturgie.
Avec ce que cela peut exiger d'hyperbole : exemple parmi tant, l'aria di furore de Bérénice fermant ici l'Acte II, Lascerò d'esser spietata, pris à toute allure, où les traits de la cantatrice sont assortis de tonitruants riffs de théorbe. Ou l'entrée poignante de Gilade, un Nel intimo del petto aux tenues virtuoses de cors, serties en un crescendo à l'effet très sûr. Remarquable, en outre, est le travail dramatique effectué sur les récitatifs, secs ou accompagnés : parmi ceux-ci, le déchirant O figlio, o troppo tardi nato de Tamiri, épouse de Pharnace (fin du I). Ce personnage développé ayant à plusieurs reprises échu à la favorite Anna Tessieri Girò, on imagine le soin que Vivaldi porta à sa partie. La Sicilienne Josè Maria Lo Monaco y déploie, de son mezzo ambré et sombre, un phrasé envoûtant et un souffle sans faiblesse qui lui valent un score mérité à l'applaudimètre.
Moins consensuelle se révèle Maria Grazia Schiavo (Bérénice), une Napolitaine rompue à la coloratura baroque. Convenons que l'énergie de la dame irradie au prix d'aigus acerbes et peu royaux (même dans le calme Langue misero quel valore) ; sachons-lui gré toutefois d'user d'un abattage et d'une technique arraisonnant crânement un rôle fort périlleux. Comme l'est celui de Gilade, capitaine de la garde de la reine, dévolu à Sabina Puértolas : cette Espagnole au cursus versatile s'appuie sur un timbre fruité, un grand sens du mot et un port gracieux pour contraster avec goût la riche dotation musicale d'un caractère assez pâle. Son exquis Quell'usignuolo, déroulant ses vocalises sur un paragone usé jusqu'à la corde, est offert avec un second degré si mutin qu'un franc succès lui est acquis.
Moins consensuelle se révèle Maria Grazia Schiavo (Bérénice), une Napolitaine rompue à la coloratura baroque. Convenons que l'énergie de la dame irradie au prix d'aigus acerbes et peu royaux (même dans le calme Langue misero quel valore) ; sachons-lui gré toutefois d'user d'un abattage et d'une technique arraisonnant crânement un rôle fort périlleux. Comme l'est celui de Gilade, capitaine de la garde de la reine, dévolu à Sabina Puértolas : cette Espagnole au cursus versatile s'appuie sur un timbre fruité, un grand sens du mot et un port gracieux pour contraster avec goût la riche dotation musicale d'un caractère assez pâle. Son exquis Quell'usignuolo, déroulant ses vocalises sur un paragone usé jusqu'à la corde, est offert avec un second degré si mutin qu'un franc succès lui est acquis.
Selinda, sœur de Pharnace et passable entremetteuse, trouve encore en Raffaella Milanesi une interprète délicate, quoique limitée par une projection modeste. Timide également paraît le ténor Anders Jerker Dahlin en Pompée : le matériau est agréable mais, réduit au conventionnel Roma invitta, le général romain est sans nul doute le protagoniste sacrifié. En revanche, Emiliano Gonzalez Toro (Aquilius, bras droit du précédent), souvent apprécié du public hexagonal, régale d'aigus capiteux et ciselés au cours de ses deux airs – surtout dans l'ardu Alle minacce di fiera belva, l'un de ces parangons de chasse aux irrésistibles appels de cors.
Une galerie de talents enfin renforcée par l'éclat de Sonia Prina (ci-contre) dans les habits du roi du Pont : fort en Vivaldi d'éloquents états de service, le contralto lombard est ici en démonstration. Son métal androgyne sied à merveille à ce type d'emploi, de même que son autorité native, dès l'initial Ricordati che sei, idéalement péremptoire. À quoi s'adosse une agilité aussi percutante qu'expressive, malgré le tempo peu complaisant d'un Quel torrente ou d'un sidérant Gemo in un punto... importé de L'Olimpiade. Évidemment c'est l'aria d'ombra de l'Acte II aujourd'hui bien connue, Gelido in ogni vena, qui vaut à cette immense artiste, par son jeu fouillé d'inflexions angoissées et délétères, un clair triomphe.
Cette page admirable s'avère au surplus exemplaire de l'entente entre tous ces jeunes intervenants : Molardi, Guyonnet et les leurs réussissent à demeurer tout au long de la soirée d'une présence appuyée (l'invention évoquée plus haut), sans pour autant mettre en danger des chanteurs très exposés par d'intrusives rodomontades. Jusqu'au lénifiant chœur final qui nous touche : un vrai miracle d'équilibre, en somme.
Les amateurs d'opéra vivaldien seront à la fête dans cette même salle la saison prochaine, puisqu'à un second Farnace d'affilée, cornaqué cette fois par Fasolis et ses Barocchisti, s'ajoutera un Giustino dû à ces Virtuosi delle Muse... À nos agendas !
▸ Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 28 avril 2011 - Antonio Vivaldi (1678-1741) : Farnace, dramma per musica (édition critique de Bernardo Ticci) - Sonia Prina, Maria Grazia Schiavo, José Maria Lo Monaco, Sabina Puértolas, Raffaella Milanesi, Emiliano Gonzalez Toro, Anders J. Dahlin - I Virtuosi delle Muse : Jonathan Guyonnet (premier violon), Stefano Molardi (clavecin & direction).
▸ Crédits photographiques - I Virtuosi delle Muse, Guillaume Eymard Photographisme -
Sonia Prina : non communiqué.
Sonia Prina : non communiqué.
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