Ce disque peut être acheté ICI |
Gustav Mahler avait pour habitude de répéter : "mon temps viendra". Une réflexion qui peut s'appliquer à ce visionnaire franc-tireur que fut Théodore Dubois (1837-1924, lire notre chronique sur le CD du label Mirare consacré à ses Œuvres Concertantes). Le présent Paradis Perdu de 1878, révélé par le label Aparté sous la houlette du Palazzetto Bru Zane, se présente tel un assez vaste projet en quatre volets : la Révolte, l'Enfer, le Paradis et la Tentation, le Jugement. Conçu à l'origine pour un concours organisé par la Ville de Paris, l'oratorio est pourvu d'une genèse des plus mouvementées, voire nimbée de mystère... À la perte partielle de la partition instrumentale imprimée, à l'égarement du manuscrit original, s'ajoutent une création tumultueuse... suivie d'une presse mitigée ; et d'autres avanies dues à la rivalité entre Dubois et Benjamin Godard (1) !
Saluons donc, une fois de plus, l'initiative du Festival de Montpellier de réhabiliter l'an dernier, lors du foisonnant festival de Radio France, une pareille rareté : il serait temps, en effet, que sorte de son interminable purgatoire une telle figure de proue de la musique française ! Il est difficile, au demeurant, de qualifier l'esthétique de cet opéra liturgique hors du temps, aux harmonies supra-terrestres - en parfaite osmose par conséquent avec sa thématique. C'est une partition post-romantique aux volutes cosmiques, anticipant certaines pages sacrées de Weill (telles que The Eternel Road), voire le Penderecki du… Paradis perdu, composé d'après l'œuvre du poète anglais Milton (2) ! Le travail lorgne également du coté de Berlioz : nous songeons, bien entendu, à l'Enfance du Christ, avec quelque réminiscence du Meyerbeer de Robert le Diable - ou encore, d'Halévy.
Théodore Dubois, © Luisa Ricciarini / Leemage |
S'offre à nous une ténébreuse histoire de séraphins, démons tentateurs ; et d'archanges déchus, lesquels bénéficient étrangement de tonalités diaphanes du plus bel effet. D'ailleurs, ce drame sulpicien ésotérique s'inscrit dans une littérature édifiante, très en vogue en cette époque de réaction post-communarde ! Y étaient abordés l'éternel conflit du Bien et du Mal, le combat opposant les forces obscures aux esprits de Lumière (la sédition sociale contre l'ordre moral, en filigrane). Citons, à cette aune, Le Déluge de Saint Saëns, le triptyque Eve - Marie-Madeleine - Terre Promise de Massenet, les (trop) rares Béatitudes de Franck enfin. L'inspiration, soutenue, est chez Dubois d'un niveau incomparable ; principalement dans les première et deuxième parties (la Révolte et l'Enfer), qui figurent ni plus ni moins parmi les plus belles pages de l'histoire de la musique française.
Adam, H. & J. Van Eyck, Gand |
Ève, H. & J. Van Eyck, Gand |
Geoffroy Jourdain, © Les Cris de Paris |
(1) Benjamin Godard, compositeur français (1849-1895). Lire avec profit à ce sujet l'article richement documenté d'Alexandre Dratwicki, ainsi que la brillante notice d'Étienne Jardin sur cette troublante et complexe affaire.
(2) Kurt Weill (1900-1950), compositeur allemand puis américain d'origine juive, persécuté par les Nazis, auteur entre autres des Sept Péchés Capitaux, de L'Opéra de Quat'Sous, Grandeur et Décadence de la Ville de Mahagonny, Street Scene... Il fut par deux fois marié à Lotte Lenya, interprète mythique de ses mélodies (Surabaya Johnny...).
Krzysztof Penderecki, compositeur polonais vivant (né en 1933), auteur de symphonies, d'opéras, de musique religieuse (dont un Dies Irae à la mémoire des morts d'Auschwitz, 1967).
John Milton (1608-1674), poète et pamphlétaire anglais, auteur de l'épopée (en douze volumes !) Paradis Perdu, et de son pendant Paradis Retrouvé.
Krzysztof Penderecki, compositeur polonais vivant (né en 1933), auteur de symphonies, d'opéras, de musique religieuse (dont un Dies Irae à la mémoire des morts d'Auschwitz, 1967).
John Milton (1608-1674), poète et pamphlétaire anglais, auteur de l'épopée (en douze volumes !) Paradis Perdu, et de son pendant Paradis Retrouvé.
(3) Guy Ropartz (1864-1955), compositeur et poète français - nous serions tenté d'écrire breton - auteur de nombreuses pièces symphoniques, de musique sacrée et de compositions pour orgue et piano.
Louis-Théodore Gouvy (1819-1898), compositeur français (né en Prusse) auteur de symphonies, de musique de chambre, de cantates et de pièces religieuses.
Louis-Théodore Gouvy (1819-1898), compositeur français (né en Prusse) auteur de symphonies, de musique de chambre, de cantates et de pièces religieuses.
‣ Pièces à l'écoute simple, en bas de page ‣ Partie I : Chœur des Fidèles, À qui la donna retourne la gloire - Partie II : Satan, Depuis le jour - Partie IV : Chœur final, Seigneur, gloire à ta justice ‣ Extraits de l'enregistrement Aparté 2012, direction Geoffroy Jourdain (illustration en frontispice)
‣ Étienne Müller
‣ Théodore Dubois (1837-1924), Le Paradis Perdu, oratorio (1878), sur un livret d'Édouard Blau.
Recréation mondiale pour petit ensemble instrumental, chœur et solistes,
au Festival de Radio France et de Montpellier Languedoc Roussillon, en 2011.
‣ Alain Buet (baryton), Mathias Vidal (ténor), Chantal Santon (soprano), Cyrille Dubois (ténor),
Jennifer Borghi (mezzo soprano), Elias Benito (baryton), Sorin Dumitrascu (basse) -
Chœur Les Cris de Paris, Solistes de l'orchestre Les Siècles - Direction : Geoffroy Jourdain.
au Temple du Saint Esprit de Paris, pouvant être acheté ICI.