samedi 28 janvier 2012

❛Opéra❜ Johann Christian Bach, recréation d'Amadis de Gaule • Modestes toiles peintes & carton-pâte... pour des chemins de traverse para-mozartiens.

J.C. Bach par Thomas Gainsborough (1776)
Le bouillonnement musical de Paris à la fin XVIII° siècle nous a légué, parmi mainte vicissitude, le souvenir de deux Querelles esthétiques, sans doute liées mais distinctes. La première, dite des Bouffons, vit s'affronter peu après 1750 autour de Rameau les tenants de la tragédie lyrique, et les partisans de l'opéra bouffe ultramontain, prestement excités par Rousseau (1). Moins d'un quart de siècle plus tard, le couvert était remis par d'Alembert et Marmontel, suppôts d'un Piccinni "mélodiste" qu'ils voulaient opposer, schématiquement, à Gluck et sa réforme de la déclamation en musique. La filiation n'allait d'ailleurs pas plus loin, puisque le conflit des années 1775, contrairement à son prédécesseur, intéressait deux visions d'une dramaturgie nationale, chantée en français, sous-tendues par une lutte d'obédiences issues d'horizons différents. Dans ce contexte intervint une pratique très circonstancielle, parfois qualifiée plaisamment d'enquinauderie ; consistant à remettre sur le métier les illustres livrets de Quinault, matière à lauriers pour le Roi Soleil... et à fortune pour Lully. Tandis que Piccinni s'était acquitté avec les honneurs, peu après le triomphe de l'Armide gluckienne, d'un Roland (avant un Atys), 1779 vit ainsi l'Académie Royale passer commande d'un Amadis (2) à un compositeur saxon, à son tour désireux de gloire parisienne, du nom Jean-Chrétien (Johann Christian) Bach.

Ultime fils de Jean-Sébastien et Anna-Magdalena, Jean-Chrétien (1735-1782), alias le Bach de Londres - probablement le plus atypique représentant de sa lignée -, est alors de ces artistes itinérants et pragmatiques comptant sur leur facilité d'assimilation, leur opportunisme et leur sens des affaires pour espérer un train de vie à leur mesure de leur talent. Notons qu'à l'exception précise de Mannheim puis Paris, bien des points le rapprochent de Haendel, lui aussi auteur d'un Amadigi : venu de Saxe tel son aîné, Jean-Chrétien se forme en Italie (la Lombardie, en l'occurrence) et mène la plus grosse part de sa carrière dans la capitale anglaise. Pour permettre à cet habile homme de rivaliser avec Piccinni et Gluck, le librettiste Alphonse de Vismes rallonge le titre de Quinault, devenu Amadis de Gaule... et raccourcit l'action, de cinq actes obligés (avec prologue) à trois. Ceci, non sans dommage dramatique, en particulier pour l'essentielle fée Urgande, réduite à une apparition notablement saugrenue de dea ex machina (scène finale, photo ci-dessous). Musicalement en revanche, Bach se voit fournir des munitions de poids : sous l'effet de l'effervescence virtuose de la place parisienne (3) et de l'émulation du Concert Spirituel, l'Académie Royale dispose, tout simplement, du meilleur orchestre d'Europe. Sans omettre des chanteurs de premier plan, des chœurs superlatifs et un corps de ballet légendaire.

Le finale de l'Opéra, © Pierre Grosbois - Opéra Comique
En dépit de si luxueux apports, après sept représentations, l'opéra tombe, définitivement. Pourtant, ce dernier - que les efforts conjoints des théâtres coproducteurs, du Centre de Musique Baroque de Versailles, du Palazzetto Bru Zane, du Cercle de l'Harmonie et son chef Jérémie Rhorer (ci-dessous) ont remis en selle - ne manque pas d'atouts intéressants, voire de trouvailles au devenir fécond. L'une des raisons de sa chute paradoxale, compte tenu du cadre conflictuel évoqué plus haut, est-elle son absence de prise de parti en faveur d'un camp précis ? Jean-Chrétien Bach a été formé à l'opera seria comme Gluck, mais à rebours de ce dernier dans son Iphigénie en Tauride (4), n'abandonne pas certaines formules redevables à l'italianité. Parmi celles-ci, la vocalisation ; le rôle-titre est parsemé d'agiles roulades,  en vérité peu assimilables à de l'orthodoxie ramiste. À l'inverse, l'amateur de mélodies péninsulaires ne peut se satisfaire de la place considérable occupée par la danse, art hexagonal par excellence - ou des continuelles scansions chorales. Il est non moins patent que le canevas de De Vismes, désossant un mythe chevaleresque rendu à une boiteuse platitude, et assis sur une théâtralité baroquisante passée de mode, ne fait que griffonner des caractères au mieux convenus (Arcalüs et Arcabonne, le frère et la sœur malfaisants). Au pire, fantomatiques... tels les héros "positifs", Amadis et Oriane. Piètre drame !

Jérémie Rhorer, © Yannick Coupannec
Là-dessus, le musicien, ambitieux et conscient d'écrire pour la première place européenne, ne bâcle pas sa part de travail ; mais,  nonobstant ce qu'il est convenu d'appeler un métier très sûr, se laisse aller à des "tunnels". Ceux-ci déploient une longueur au bas mot irritante lorsqu'ils revêtent l'apparat des ballets. Est-ce pour bisser la conclusion poussive de l'Acte I que le finale du III, un happy end dans le goût d'Alceste, interpole d'interminable manière chœurs de liesse, chants fleuris et entrechats ; prouvant à l'envi que notre fils Bach, pour n'être pas démuni d'idées, ne sait pas aller à l'essentiel, et encore moins dénouer ?  À sa décharge, il n'est après tout pas le seul de son art - ces fâcheries ne parvenant pas à ternir des atouts intéressants, parmi lesquels une assimilation parfaite de la prosodie française. Une orchestration de haute qualité, ensuite, use à bon escient des effets et couleurs prodigués par la phalange parisienne, où brillent alors de nouveaux venus, les trombones. Ceux-ci sont trois, tandis qu'à côté de bois ordinairement couplés officient rien moins que quatre cors : prétextes à digressions ambiguës, voire menaçantes, où palpitent de nettes réminiscences du récent Sturm und Drang (5).

Mieux, le Bach de Londres ne se contente pas d'étaler pour le plaisir sa science instrumentale ; plus important pour un dramaturge, il échafaude des scènes, véritables interférences entre les protagonistes, dont le chœur, auxquels il confie de séduisants apprêts (le remarquable tableau carcéral de l'Acte II, par exemple). Ceux-ci rapprochent, au sein de l'Europe des Lumières, le contexte de la genèse d'Amadis de Gaule d'une rencontre déterminante : celle de Mozart, ami et cadet de vingt-et-un ans.

À l'acte II, © Pierre Grosbois - Opéra Comique
Laissons l'intuitif Jérémie Rhorer s'en ouvrir : "J'ai été frappé par la proximité de cette œuvre avec Idomeneo, que Mozart a composé et créé à Munich début 1781, un peu plus d'un an après Amadis". Et de rappeler que les sources du chef d'œuvre mozartien remontent au voyage à Paris de 1778 (6)(7). L'imagination orchestrale et vocale n'est pas seule en cause, des tournures se reconnaissent bel et bien entre les deux tragédies - or, c'est le Saxon qui a l'antériorité pour lui. Rhorer cite à tire d'exemple le grand air d'Oriane au III, dont la tension anxieuse, en effet, préfigure nettement celle de la future Elettra. Ce n'est pas la seule saillie : l'irruption au II, sur fond de trombones, de la voix spectrale du frère défunt d'Arcabonne dépasse toutes les limites communément accordées à la simple coïncidence : sans contredit,  la voce di Nettuno s'annonce ici. Mais Bach va plus loin s'il se peut, à la toute fin, en confiant à son héros une stupéfiante Ariette avec chœur, tissée de colorature aussi aériennes que périlleuses... et familières. Pour cause : ce sont ni plus ni moins, et presque à l'identique, les accents de Fuor del mar qui s'imposent soudain à nous. Un Anton Raaff (8) aurait pu chanter ces traits !

La vidéo officielle de présentation du projet, par le Palazzetto Bru Zane
Le jeu des similitudes peut se prolonger : ce chœur en coulisses pressant, à l'Acte I, le ténor-paladin de venir délivrer une princesse séquestrée par des barbares, n'évoque-t-il rien d'autre de Mozart ? Encore plus : avec toute la prudence que l'exercice réclame, il est difficile de ne pas déceler dans l'ample duo introductif, volontiers pré-romantique, un terreau (y compris harmonique) que sauront exploiter à leur tour Weber (Euryanthe) puis Wagner (Lohengrin) pour leurs complots de méchants. L'épisode le plus puissant - l'Acte II avec ses prisonniers finalement délivrés - anticipe franchement, hasard ou pas, un Fidelio d'un quart de siècle postérieur.

Philippe Do, © Christian Lartillot
Pour exacerber ces fascinations, le chef, rodé à ces répertoires, livre une parfaite démonstration d'alacrité, loin de toute sécheresse ou saccade, constamment attentive aux paysages intérieurs. Que ses flûtes paraissent tâtonner, pour ne pas dire s'ennuyer, au cours des laborieux ballets qui les mettent durablement à nu, est très pardonnable au vu de ce que nous savons déjà. Des solistes, ressort avec éclat le ténor Philippe Do (ci-contre), Amadis racé au timbre chaud, que n'intimide ni l'aigu généreux (hérité de la haute-contre) ni la vocalise intrépide ; il parvient en outre à habiter son personnage, ce qui n'est pas un mince exploit. Si Hélène Guilmette en Oriane lui fournit une élégante réplique malgré un zeste de quant-à-soi, Allyson McHardy se fait apprécier, sous les atours d'Arcabonne (photo plus haut, emploi du gabarit d'Iphigénie, dévolu à la même Rosalie Levasseur), par un timbre incantatoire qu'elle sait rendre vénéneux - au prix hélas d'une diction problématique. Franco Pomponi n'a pas ce travers, et bien que desservi quant à lui par une émission très rauque, vient à bout avec panache de l'abattage et de la vélocité requis par Arcalaüs. Enfin, la prometteuse Julie Fuchs (Urgande, principalement) relativise par sa belle technique une certaine verdeur de matériau.

Édition originale de 1533
À cet aréopage se joignent des Chantres du CMBV fidèles au niveau international que depuis longtemps déjà Olivier Schneebeli leur a conféré. Tous ces artistes évoluent dans ce qui est davantage une mise en place acceptable qu'une mise en scène digne de ce nom : Marcel Bozonnet paraît, sans aller vraiment jusqu'au bout de la démarche, choisir un second degré amusé, où batifolent court vêtus d'énergiques coryphées au physique avenant. Les toiles peintes, restituées dans le cadre d'une recherche historiciste, sont bien sûr ravissantes ; las ! quelques costumes n'échappent pas à un clair ridicule - mention spéciale à cet égard pour de pathétiques démons reptiliens aux ailes de dragon.

Captivante entreprise au final, dont les évidentes inégalités n'entament pas l'intérêt musicologique majeur : sans être aussi aboutie que la Sémiramis de Catel révélée au dernier festival de Montpellier, elle rend à Jean-Chrétien Bach - par le truchement, en somme, d'un virtuel opéra français de Mozart -  la place que Jérémie Rhorer veut lui attribuer : celle du chaînon manquant (7).

‣ Pièce à l'écoute simple, en bas d'article  Johann Christian Bach, Ouverture d'Amadis de Gaule, Jérémie Rhorer & Le Cercle de l'Harmonie, podcast de la diffusion radiophonique, © France Musique 2012

(1) "(...) D'où je conclus que les Français n'ont point de musique et n'en peuvent avoir ; ou que si jamais ils en ont une, ce sera tant pis pour eux."

(2) Amadis, tragédie lyrique de Quinault d'après Garci Rodriguez de Montalvo, mise en musique par Lully, créée au Palais Royal le 18 janvier 1684.

(3) Se reporter au livre d'Alexandre Dratwicki, Un nouveau commerce de la Virtuosité, Éditions Symétrie.

(4) De la même année : 18 mai pour Iphigénie, 15 décembre pour Amadis !

(5) "Orage et passion" : période dans l'évolution la musique, de 1765 à 1775 environ, où s'impose chez les compositeurs marqués par Mannheim et Vienne, un recours fréquent aux tons mineurs jugés plus propres à dépeindre les variations des sentiments.

(6) Jérémie Rhorer a dirigé Idomeno au Théâtre des Champs-Élysées la saison dernière. Souvenons-nous que Varesco adapta pour l'occasion un livret français de Danchet, traité en 1712 par Campra ; il n'est au surplus pas anodin qu'Idomeneo se dote tel Amadis d'un ballet final conséquent. Rhorer est également l'auteur d'un parallèle très convaincant entre le finale de l'Acte II des Nozze di Figaro... et l'Amant Jaloux de Grétry, une autre œuvre qu'il a défendue récemment.

(7) In Entretien avec Jérémie Rhorer, plaquette de l'Opéra Comique.

(8) Anton Raaff (1714-1797), ténor rhénan, créateur du rôle d'Idomeneo.


 Paris, Opéra Comique, vendredi 6 janvier 2012 - Johann Christian Bach : Amadis de Gaule,
tragédie lyrique en trois actes sur un livret d'Alphonse de Vismes,
d'après Philippe Quinault et Garci Rodriguez de Montalvo (1779).

  Philippe Do, Hélène Guilmette, Allyson McHardy, Franco Pomponi, Julie Fuchs,
Alix Le Saux, Peter Martinčič, Ana Dezman, Martin Susnik -
Compagnie Les Cavatines, Chantres du Centre de Musique Baroque de Versailles,
Le Cercle de l'Harmonie - direction : Jérémie Rhorer.

 Une coproduction de de l'Opéra Comique, de l'Opera in Balet Ljubljana,
du Palazzetto Bru Zane, du CMBV et de Château de Versailles Spectacles.



mardi 24 janvier 2012

❛Concert❜ Le Quatuor Baillot & Hélène Schmitt • Épreuve du feu parisienne pour de l'historiquement informé... riche de promesses.

Nantir d'un patronyme de compositeur la formation instrumentale que l'on crée, voilà qui revêt des atours programmatiques, surtout si l'on choisit de défendre la démarche historiquement informée. Sans nécessairement jouer (du moins dans un premier temps) les œuvres de celui dont on porte le nom, on revendique de facto une époque, une école et un style qui ont valeur de manifeste. C'est d'ailleurs - en matière de quatuor à cordes - le chemin qu'ont suivi les jeunes Cambini par exemple, déjà forts d'un répertoire servant, outre Cambini lui-même, des Boccherini, Jadin et autres Félicien David. Et c'est de toute évidence ce qui motive la toute récente fondation par Hélène Schmitt (ci-contre) et ses trois comparses (Xavier Julien-Laferrière, Reynier Guerrero, Jérôme Huille) du Quatuor Baillot, venu se présenter au public parisien lors d'une soirée organisée au Reid Hall (Université américaine de Columbia à Paris) dans le cadre de la saison de La Dive Note.

Pierre Baillot (1771-1842, portrait ci-contre), l'un de ces musiciens écartés depuis longtemps de l'ingrate mémoire hexagonale, joua un rôle non négligeable dans la vie musicale de son temps ; élève de Viotti, il fut comme son maître, et peut-être plus que compositeur, violoniste d'exception, ainsi que théoricien de son instrument. Un parcours croisant celui de Rodolphe Kreutzer, dans le sillage d'une mutation fortement virtuose des élites parisiennes que le Palazzetto Bru Zane a récemment illustrée par une manifestation dédiée à Versailles, Venise et Mantoue. Statut induisant une responsabilité élevée pour Hélène Schmitt, défricheuse dont le brio violinistique et l'exigence documentaire sont appréciés depuis longtemps des amateurs de musique "à l'ancienne". Dans l'attente d'une exploration probable d'un répertoire français certes moins couru - et sans doute pour se faire connaître plus aisément -, le Quatuor Baillot a jeté son dévolu d'un soir sur deux piliers du genre, Haydn et Mozart, représentés par des partitions de 1772 et 1785. Intelligemment, le plus rare Luigi Boccherini (1743-1805, portrait ci-dessous) a trouvé entre eux sa place, par l'entremise d'une pièce datée de 1799, c'est à dire au terme de son apogée madrilène.

Au sein d'une production considérable n'ayant d'égale que celle de ses Quintettes (à deux violoncelles), son quatrième Quatuor de l'opus 58 arbore une tonalité de si mineur, en phase autant avec le préromantisme d'un Baillot qu'avec le Sturm und Drang ayant influencé les deux Viennois. Les mélismes - inévitablement hispanisants - du Rondo allegro ma non presto gagnent dans la sensualité coutumière de Schmitt (prestement communiquée à ses partenaires) des teintes exotiques que rehaussent des instruments de haute facture aux résonances ambrées. De l'opus 20 de Josef Haydn, emblématique du courant Sturm und Drang précité, le troisième Quatuor en sol mineur est restitué avec autant de subtilité dans ses différents plans, que d'âpreté délétère dans ses couleurs. Louons à cet égard, là encore, le premier violon dont les aigus coupants comme des couteaux - en dépit de quelques écarts de justesse - donnent à entendre la marge qui peut exister entre la musique de chambre de haut niveau... et celle dite de salon.

Enfin, bien qu'en tonalité majeure, le KV 464 de Mozart, cinquième de l'illustre série dédiée à Haydn, ne dépare pas en si mélancolique compagnie. Œuvre plus cérébrale que sensible peut-être, d'une perfection d'écriture sidérante (à l'instar du cycle auquel elle appartient), elle ne dédaigne pourtant pas les épanchements ; surtout au cours d'un Andante à variations dont les détours ambigus n'attendent que la luminescence de grands archets. C'est le cas ici, Jérôme Huille en particulier exacerbant jusqu'au malaise les obsédants tambourinements de l'ultime séquence. Rendez-vous est ainsi pris pour la prochaine démonstration : le plus rapidement sera le mieux.

‣ Pièce à l'écoute en bas de page : Mozart, Quatuor en la majeur KV 464, III. Andante. The Salomon Quartet (sur instruments originaux, Hyperion 1991).
 Reid Hall - Columbia University in Paris, samedi 14 janvier 2012 -
Le Quatuor Baillot : Hélène Schmitt & Xavier Julien-Laferrière, violons ;
Reynier Guerrero, alto ; Jérôme Huille, violoncelle.
 Joseph Haydn (1732-1809) : Quatuor en sol mineur, opus 20 n° 3 (1772) -
Lugi Boccherini (1743-1805) : Quatrième quatuor en si mineur, opus 58 (1799) -
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Quatuor en la majeur, KV 464, cinquième "dédié à Haydn" (1785).

 À consulter avec profit, le site du Quatuor Baillot.

 Crédits iconographiques -  Hélène Schmitt, © Guy Vivien - Pierre Baillot en 1829,
par Jean-Auguste-Dominique Ingres - Luigi Boccherini jouant du violoncelle, c. 1765, Anonyme.




mardi 17 janvier 2012

❛Mémoire❜ Appoggiature, plutôt que par des mots maladroits, souhaite partager en musique sa tendresse envers G. Leonhardt (1928-2012).



Lorsqu'il n'y a plus de mots, il reste, bien sûr, la musique....
Surtout celle de l'orgue, en l'occurrence celui - magnifique - de Sainte Croix de Bordeaux,
un Dom Bedos de Celles que nous avons eu naguère l'immense joie d'entendre.

Grâces soient rendues à Gustav Leonhardt, parmi tant de talents que chacun connaît,

d'avoir su ainsi le faire sonner ; et à Alpha d'avoir su capter, pour longtemps,
ces instants uniques de patrimoine organistique français. Respect, maître !

lundi 16 janvier 2012

❛Disque❜ Jacques-François L'Oiseleur des Longchamps, Hybrid Music • Pour ses Chevauchées Lyriques, L'Oiseleur ne fait pas cavalier seul !

En piste avec Schubert, Revueltas, Frédérico Alagna et les… Rolling Stones. Partout ici, y'a de de la joie ! Exercice à la mode, un brin racoleur, le cross-over se révèle un genre périlleux, de haute voltige même. Beaucoup d'artistes aiment taquiner la chansonnette : pro memoria, Pavarotti and friends avec Bono ou des Spice Girls, l'ineffable Montserrat en duo avec le fringant Freddy... L'immense Cesare Siepi lui même y succomba, comme Alagna (Roberto) de nos jours. Et encore, l'éclectique Anne Sofie Von Otter, sans doute la recordwoman du genre : Christmas at home, Elvis Costello, Abba - puis tout récemment Brad Mehldau... Marcher sur tous les chemins, pourquoi pas ? Mais pas sans risque : malgré d'incontestables gemmes, trop de résultats se sont avérés discutables, mitigés ;  et n'ont  rien ajouté à la gloire des chanteurs.

Le baryton L'Oiseleur des Longchamps, montant sur ses grands chevaux, peut s'enorgueillir pour sa part d'avoir remporté haut la note son pari : il nous offre dans ce CD Hybrid Music une passionnante et originale thématique autour du cheval - la plus noble conquête de l'homme étant une de ses passions. Le livret louange d'ailleurs chaleureusement sa fidèle monture, Son Altesse Équinissime Émir du Rû de la Brousse. Quel récital insolite, surprenant, foisonnant ! Émouvant même : la coexistence de mélodies "sérieuses" et de chansons populaires y coule en effet de source, elle est l'évidence même. L'Oiseleur tutoie Duparc, Saint-Saëns, Chausson, Brassens, Aufray, Chopin... avec aisance. Récusant toute facilité et artifice, il distille une exquise poésie servie par sa voix ductile, agile, aux inflexions tendres et suaves. Timbre aurifère et émission franche : ce Liedersänger attachant ose de subtiles et impalpables  nuances, voire un pianissimo mezza voce (Cancion de Cuna de Revueltas). Il est un roi  qu'on salue bien bas au passage, au point qu'il faudrait citer toutes les mélodies de ce recueil !  À commencer par les envoûtants Centaures de Patrick Loiseleur (d'après Marguerite Yourcenar), et bien sûr le regretté Olivier Greif, autre génie protéiforme et singulier, à la mémoire duquel L'Oiseleur est visiblement très lié. Souvenons-nous du brillant et passionnant concert du 7 janvier au Conservatoire de la Rue de Madrid, mettant à l'honneur ce compositeur trop tôt disparu ; auteur d'un cycle post-romantique, tourmenté, voire torturé, d'après Heinrich Heine.

Du présent album, plusieurs autres perles ont enchanté notre oreille : le Petit cheval blanc de Brassens, la burlesque comptine d'Aimé Maillard, les Dragons de Villars, entre Offenbach et un certain Honegger - celui du Roi Pausole - caustique à souhait. Sans omettre la première plage, une mélodie sicilienne aux tonalités rugueuses, âpres et pourtant évanescentes, signée Frédérico Alagna. S'ajoute à tout cela la prestation superlative des sémillants comparses de l'interprète : la pianiste  Mary Olivon, ainsi que Mathieu Scala et Frédérico Alagna soi-même, respectivement guitaristes et guimbardiste. C'est dire combien nous guettons la parution promise des volumes II et III, annoncés nantis d'autres raretés (tel l'injustement délaissé Victor Massé, dont L'Oiseleur a déjà honoré le Pygmalion).

‣ Pièces à l'écoute en bas de page  1) Georges Brassens, Le Petit Cheval Blanc - 2) Patrick Loiseleur, Centaures.




Renseignements complémentaires (ET ACHAT DU DISQUE) sur le site de L'Oiseleur des Longchamps.

Crédits iconographiques  - Visuel du CD Hybrid MusicOfficier sur cheval cabré, dessin de
Charles Parrocel (1688-1752), Musée Magnin de Dijon, © RMN / Thierry Le Mage -
Un portrait de L'Oiseleur des Longchamps.




jeudi 12 janvier 2012

❛Repère❜ Votre blog est heureux de vous adresser ses vœux pour l'année 2012...
... et de vous présenter ses coups de cœur du millésime écoulé !


Appoggiature n'a pas trois mois. Créé le 16 octobre 2011, ce petit site est si jeune qu'il n'a pas achevé - loin de là - de mettre en ligne ses archives. Des archives ? Billets épars, récolés au long de dix ans de vagabondage musical, parfois consignés dans des media ; parfois conservés, isolément, au fil de l'eau. Si, depuis le lancement, douze articles nouveaux ont été publiés - ce qui peut paraître peu, mais découle pourtant d'une discipline de chaque instant -,  le ressenti du millésime musical écoulé par ses auteurs ne commence pas, il s'en faut, un beau jour d'octobre !

C'est pourquoi, après réflexion, il a semblé amusant (et qui sait, utile) de se plier, comme tant d'autres, au petit jeu des distinctions - ou florilège, comme on voudra. :) Un petit macaron a été inséré à cette fin dans les chroniques, pour désigner - en sus des récompenses régulières, dites "d'or" - un ou deux disques (ou concerts) de l'année. Et puis, macaron ou pas, ceci a été, peu à peu, étendu à plusieurs catégories artistiques. Voici donc les nominés 2011 ! Répétons-le, c'est un jeu... en ne perdant pas de vue qu'un jeu, c'est sérieux. :)

‣  JD & EM

Qui connaissait, en dehors des bibliothèques et universités, au début de 2010, Michelangelo Falvetti (1642-1692) ? Nicolò Maccavino qui l'a redécouvert, Leonardo García Alarcón, destiné en quelque sorte, avec la 'Cappella Mediterranea', à rendre au monde une partition surprenante de ce compositeur calabrais - et quelques autres spécialistes. C'est dans le cadre d'Ambronay que fut monté, en septembre de la même année, Il Diluvio Universale, un dialogue (oratorio) créé à Messine en 1682. Grosse onde de choc, et décision de porter l'œuvre en tournée à l'automne 2011, concomitamment à sa sortie en disque. Le voici, ce disque, à qui nous remettons sans hésiter l'une des Appoggiature de l'année de la catégorie ! Cappella, Chœur de Chambre de Namur, chanteurs, percussionniste iranien - et bien entendu chef - exacerbent la variété, l'éloquence et le fort pouvoir émotionnel de ce qu'il nous faut bien nommer un chef d'œuvre métissé.


Il y a deux ans pile, paraissait dans la magnifique collection des livres-disques Glossa le premier exemplaire, consacré à Claude Debussy, d'une série dédiée par Alexandre Dratwicki et le 'Palazzetto Bru Zane' aux 'Musiques du Prix de Rome'. Cadre éditorial somptueux, richesse documentaire et haut intérêt musical se sont poursuivis, depuis, avec un volume Camille Saint-Saëns ; et encore un autre, dévolu à Gustave Charpentier (1860-1956) - toujours sous la houlette du très inspiré Hervé Niquet (chef d'orchestre de l'année, voir ci-dessous). Plus encore que pour ses deux prédécesseurs, la démarche palazzettienne se trouve ici légitimée, tant Charpentier se voit encore circonscrit à son opus magnum "montmartrois" - fraction d'une trilogie inachevée -, Louise. Une rutilante brochette de chanteurs, de surcroît, n'est pas pour desservir une entreprise qui nous a fait fondre. Second disque Appoggiature de l'année, donc.


Un concert Bach nous a paru resplendir d'un éclat particulier, au sein d'une offre très riche s'il fallait ne s'en tenir qu'à la musique baroque (laquelle n'est d'ailleurs pas notre unique centre d'intérêt, vous l'avez forcément perçu)... C'est à La Chaise Dieu, dans le cadre d'un festival de renommée mondiale jadis initié par Gyorgy Cziffra, que nous avons croisé l'une des Passions selon saint Matthieu les plus excitantes de notre Kantor Experience. En maîtresse d'œuvre, la cheffe d' 'Akadêmia', Françoise Lasserre (ci-contre), prenant littéralement sous ses ailes double orchestre, double chœur et solistes de très haut niveau en l'irrésistible écrin de l'Abbatiale Saint Robert. Markus Brutscher, désormais incontournable Évangéliste, conduisant la cérémonie vers des cimes de piété, d'expressivité - d'ornement aussi, et par-dessous tout de théâtre. Tous ingrédients réunis, par conséquent, pour une soirée mémorable, qui le fut amplement - et gagna par là son Appoggiature de l'année.


Il vient encore de le prouver - si c'était nécessaire - en offrant à l'Orphée de la Descente aux Enfers de Marc-Antoine Charpentier (1), après Paul Agnew et autres Cyril Auvity, les accents déchirants et l'élégance innée de sa classe internationale ! Fernando Guimarães s'impose à l'esprit, au fil de ses performances, comme le chanteur de l'année 2011. Il fut du Baroque Dream de la 'Cappella Mediterranea' qui vint, après Ambronay, régaler le Théâtre des Champs-Élysées d'un programme allant de Monteverdi à Haendel ; et y brilla aux côtés de solistes splendides, au sein desquels Anne Sofie von Otter. Il appartint encore à la stimulante expérience du Vespro a San Marco que Leonardo García Alarcón imagina, interpréta et enregistra à partir de pièces sacrées d'Antonio Vivaldi. Il apporta, enfin, à la tournée et au disque du Diluvio Universale (voir plus haut), Noé anxieux et implorant s'en remettant au choix de Dieu, son irrésistible canto di grazia. Qu'il en soit infiniment remercié !


Elle est bien plus qu'une valeur sûre, elle est une souveraine. Formée aux plus rudes exigences du chant baroque - ce n'est pas qu'une question d'éclat et de virtuosité - Sandrine Piau est depuis longtemps l'une de nos dames de cœur. Versatile, éclectique, elle couvre un immense répertoire de son expressivité sans égale ! Elle est de plus, en Liedersängerin pour qui le mot et la note importeront toujours plus que le grand apparat, une de ces personnalités droites, à la carrière intelligente, dont chaque rendez-vous avec la musique est un parachèvement. En guise de couronnement, dans la foulée du CD Après un rêve - et pour un titre de chanteuse de l'année incontesté (2) - Sandrine a terminé 2011 sur l'un de ses rôles emblématiques, illuminant la Zauberflöte du Théâtre des Champs-Élysées de sa Pamina surnaturelle... Et remettant le couvert, entre deux soirées, par un impalpable Piangerò (Cleopatra de Giulio Cesare, souvenir de Pleyel en 2008) lors des Dix Ans du Concert d'Astrée.


Elle aussi étoile du chant français venue du baroque, elle aussi servie depuis des lustres par des choix judicieux, qui la mèneront prochainement jusqu'à cette Seconde Prieure des Dialogues de Carmélites guettée avec une impatience infinie, Véronique Gens se révèle à nous comme 'l'autre' chanteuse de l'année. Au cours d'un millésime vécu essentiellement en binôme avec Christophe Rousset, elle a offert son immense talent à Antoine Dauvergne lors des Grandes Journées du CMB de Versailles (Hercule Mourant, à la réécoute sur France Musique jusqu'au 9 février). Et, surtout, en disque comme en tournée (à Paris le 10 avril), elle a poursuivi le pari (un peu fou ?) des Tragédiennes. Leur troisième opus, consacré aux 'Héroïnes Romantiques' de Gluck à Saint-Saëns en passant par Mermet et Verdi, tout en légitimant le cycle entier, réussite absolue, aura considérablement enrichi notre approche du Grand Opéra.


Deux instrumentistes de l'année ont pareillement enchanté nos mois. Frédéric Vaysse-Knitter d'abord. Ce pianiste albigeois qui naguère enregistra avec bonheur Liszt et Chopin, puis un Haydn splendide (faisant montre d'une finesse digne d'un pianoforte), s'est à nouveau tourné vers son atavisme polonais en se consacrant aux œuvres de jeunesse de Karol Maciej Szymanowski (1882-1937, compositeur de l'année, voir ci-dessous). Un créateur mieux connu, peut-être, pour Métopes, ses deux Concertos pour violon, son Stabat Mater... et, sûrement, son opéra Król Roger (Le Roi Roger) enfin coutumier des grands théâtres. Assorti d'un concert mémorable à l'Athénée, le CD Integral Classic a révélé une écriture pianistique originale et forte, devant autant, au tournant des siècles, à Chopin et Liszt qu'à des fulgurances personnelles  - sans rien renier d'une virtuosité implacable. Un des grands événements pianistiques de ces dernières années.

Rien n'est plus complexe - et ne peut risquer de paraître plus aride - que d'entreprendre puis de jouer un récital de luth de très haut niveau. Alors, deux récitals !... Signataire, en l'espace de trois années, de deux volumes de luth baroque admirables, Les Baricades Mistérieuses puis The Court of Bayreuth, le jeune virtuose Miguel Yisrael en prépare pour le prochain avril un troisième, dévolu à l'école autrichienne, Austria 1676. Le "Bayreuth" s'articule essentiellement autour de deux compositeurs, Falckenhagen et Hagen, le premier ayant sans doute transmis au second une part de l'héritage qu'il reçut lui-même de Silvius Leopold Weiss. Un art de cour, d'une délicatesse infinie - osons le mot, précieux - devant beaucoup à cette culture française dont la margravine Wilhelmine, sœur de Frédéric II de Prusse, était férue. Mais aussi, à bien des égards, un art bercé de cette Empfindsamkeit (sensibilité) proprement germanique, qui entrouvre déjà certaines portes menant au pré-romantisme. Défi clairement à la mesure d'un instrumentiste de l'année.


De la même manière que pour les chanteurs et instrumentistes, il nous a paru légitime d'honorer un chef d'ensemble. Sur le vu de 2011, nous en avons même distingué deux. En première ligne et sans contestation possible, Leonardo García Alarcón. Ce jeune Argentin disciple et assistant de Gabriel Garrido, pour n'être pas novice, a offert l'année écoulée, tant en concert qu'en disque, un parcours franchement exceptionnel : du Baroque Dream d'Anne Sofie von Otter (en cours d'enregistrement, avec le concours de... Sandrine Piau) à l'empyrée du Diluvio Universale - notre disque de l'année, donc - en passant par un vivaldien Vespro a San Marco très remarqué (en dépit d'une prise de son incertaine)... Intuitif et charismatique, innovant et fédérateur, tant avec le Chœur de Chambre de Namur, que l'Ensemble Clematis, Les Agrémens, ou "sa" Cappella Mediterranea Alarcón, à nos yeux, nos oreilles et notre cœur mérite haut la main d'être étoilé chef de l'année.


Hervé Niquet est sans doute, parmi les chefs d'orchestre "venus du baroque" un de ceux dont le parcours s'est le plus ramifié au fil du temps. L'une de ses particularités est de considérer la musique française comme un continuum allant - au moins - de Lully à Pelléas (un essentiel que, dans le domaine lyrique, le cycle Tragédiennes de Gens et Rousset déjà cité défend et illustre de manière spectaculaire). Cette vision et cette appétence l'ont appelé à être partie prenante du projet Palazzetto Bru Zane, auprès de qui il poursuit de nombreux enregistrements labellisés Glossa, marque réputée pour la beauté ses livres-disques richement documentés. Ses Musiques du Prix de Rome (volume III : Gustave Charpentier, voir plus haut) ainsi que la magistrale leçon donnée l'été dernier à Montpellier avec l'enchanteresse Sémiramis de Charles-Simon Catel (1773-1830, photo ci-contre) font tout naturellement pour nous de Niquet un chef de l'année 2011.


Nous avons souhaité - pour conclure - adresser un "coup de chapeau" supplémentaire ; non aux chefs, mais aux phalanges (instrumentales et chorales) elles-mêmes, si tant est que puisse se différencier l'excellence de ces dernières, du travail accompli par ceux qui les dirigent. Ainsi nous a-t-il semblé pertinent de mettre en avant trois ensembles de l'année dont le parcours de 2011 a revêtu pour nous un éclat particulier. La Cappella Mediterranea mérite ce titre sans la moindre hésitation. Forts depuis 1999 d'une discographie déjà fournie, relayée par Ambronay Éditions ou Ricercar, ces musiciens réunis autour d'Alarcón ont su faire preuve d'une flexibilité et d'une inventivité extraordinaires ! Celle-ci les a vus porter à Paris le Baroque Dream ambronaisien d'Anne Sofie von Otter - avant d'obtenir aussi bien en tournée qu'en disque, le succès triomphal que leur Diluvio Universale de Falvetti leur vaut de plein droit.

Les deux autres lauréats - un chœur et un orchestre - ont en commun, outre un effectif à géométrie variable, une transversalité de répertoires qui est sans doute, en nos temps où la musique historiquement informée évolue dans un environnement difficile, l'un de gages les plus sûrs de pérennité. Ainsi des Cris de Paris, chœur de chambre fondé en 1998 par Geoffroy Jourdain, dont l'intérêt marqué pour la création contemporaine ou la musique de divertissement représente bien davantage des atouts majeurs, que des signes de dispersion. L'an 2011 allait bientôt débuter, d'ailleurs, que Cachafaz, subtile mise en musique par Oscar Strasnoy d'une pièce de Copi, permit aux Cris de faire valoir dans l'Hexagone leur fantastique ductilité. Expérimentation toujours, avec Aussi chantent-elles comme des anges..., un choix opéré par Jourdain de retrouver l'environnement choral exclusivement féminin des Ospedali (Hospices) de Venise, que servit une production abondante de Vivaldi... et d'autres. En attendant  Memento Mori, d'après Rossi et Monteverdi !


En 2009, Nathalie Stutzmann fondait Orfeo 55, un ensemble lui aussi transversal,  capable de travailler autant les instruments originaux que les "modernes". Résidence à l'Arsenal de Metz, signature auprès du fameux "label jaune", tournées, critiques élogieuses... Rarement bébé aura grandi si vite, et si rapidement montré des talents à ce point consensuels ! Nous avons voulu particulièrement retenir, après le récital Haendel de 2010, la session 2011 de la Salle Gaveau ; laquelle, en écho à la sortie du transcendant disque Prima Donna, a apporté là encore à l'art infiniment riche et délicat de Vivaldi, sous le titre de Rivale des Castrats, une contribution majeure. Séduction qui s'est poursuivie en novembre - malgré le brusque forfait de Max Emanuel Cencic - par un Castrat Diva (Haendel/Vivaldi) d'une absolue splendeur.

Enfin - sans doute ce choix sinon futile mais facétieux est-il le plus subjectif, le moins rationnel de tous, tant il en appelle aux résonances les plus intimes - nous sommes-nous amusé à désigner deux compositeurs de l'année. Le nom de Karol Szymanowski (1882-1937) s'est imposé de lui-même. Certes, ses Variations sur un thème folklorique accolées à des œuvres de son compatriote Paderewski par le pianiste David Leszczynski (CD Polymnie) ne représentent-elles pas sa contribution la plus originale à la littérature de l'instrument-roi. Mais elles confirment que le Polonais est désormais mieux traité dans les programmes ; et pas seulement lyriques, même si la (relative) récurrence du formidable Roi Roger sur les scènes européennes est évidemment une très grande joie. Bien entendu, c'est par le disque que lui a voué Frédéric Vaysse-Knitter (instrumentiste de l'année, voir plus haut) qu'une marche supplémentaire, carrément somptueuse, a été gravie... rendant au passage la suivante extrêmement attendue !


"Ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre". Que ne pourrait imaginer le poète pour dépeindre la résilience d'Antonio Vivaldi (1678-1741), sorte de phénix dont la fécondité et la variété intarissables semblent toujours croître, en dépit d'un usage parfois immodéré, peu scrupuleux - et souvent fallacieux - de ses dons ? Bien compris et bien joué, le Prete Rosso, compositeur de l'année, se situe à notre sens loin, très loin d'une prétendue facilité archétypique de programmation. Tout au contraire, il est l'un de ces ressourcements continuels, dont l'hyper-fréquentation ne fait que rendre son niveau d'exigence délirant. L'an 2011 aura constitué, envers sa mémoire, un cru d'anthologie. Il rayonnait déjà, porté par un enregistrement d'Ercole sul Termodonte dont la pléiade de stars n'avait en aucune manière corrompu la fraîcheur.  Il rutilait ensuite au théâtre, sous les atours d'un Orlando Furioso crépusculaire et sanguin dû à Jean-Christophe Spinosi et Pierre Audi. Il inspirait dans la foulée à Versailles un festival, certes opportuniste, mais foisonnant...

... Et nous le retrouvons
, réinventé, dans le Farnace et les Quattro Stagioni des Virtuosi delle Muse, comme au cours de l'Aussi chantent-elles comme des anges des Cris de Paris. Il irradie chaque mesure du projet audacieux du Vespro a San Marco initié par Alarcón ; et est la raison d'être de Stutzmann pour Rivale des Castrats et Prima Donna... Sacré Antonio, corne d'abondance inflétrissable ! Excellente année à tous. :)


(1) Un ressenti issu de la répétition générale du 7 janvier 2012.

(2) Pour rappel, Sandrine avait été déclarée Artiste lyrique de l'année aux Victoires de la Musique 2009.


Crédits iconographiques : Pèlerinage à l'île de Cythère, une toile de Watteau conservée au Musée du Louvre.
Pour les photos,
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