Magistral acte militant et vibrant manifeste en faveur de la nation polonaise ! En effet, si la renommée de Karol Szymanowski est désormais établie, Ignacy Jan Paderewski (1860-1941) reste très largement méconnu. Pourtant, son commotionnel Concerto pour piano, aux exhalaisons languides et éthérées, rivalise sans peine avec ceux de Grieg et Scriabine. Voici un programme cristallisant à merveille la troublante personnalité de ce musicien attachant, humble et tourmenté. "Un homme authentique" en vérité, ancré dans les combats et déchirures de son temps : pianiste, concertiste et militant acquis à la cause nationale, ce que relève pertinemment la très instructive notice d'accompagnement.
Citons le compositeur lui-même :
« Je crois que la pierre renferme déjà la sculpture, et les sons ne demandent qu'à être assemblés en drame ». Parfaite définition de son œuvre ! Il est difficile de rattacher ce romantique en politique à un courant musical précis, tant ses harmonies en perpétuel miroitement lui sont personnelles. Le présent disque a pour objet d'offrir un florilège de pièces pour piano d'une difficulté terrifiante, au langage mélancolique et nostalgique, souvenir d'un paradis perdu. Le pianiste David Leszczynski témoigne d'un art impressionnant à la hauteur du défi. Par-delà la rigoureuse unité architecturale qui les sous-tend, il épouse avec pugnacité, brio et panache l'extrême complexité des pages sélectionnées, leur atypique polymorphisme, leur dimension cyclothymique. Tour à tour méditatif, rageur, révolté (Mazurka Op.9 n°3) ; primesautier, badin, enjoué (Polonaise Op.9 n°9) ; encore nerveux, extraverti, frondeur (Cracovienne fantastique Op.14) ; enfin enamouré, langoureux et enjôleur (Chant d'amour Op.10).
Sans conteste, les foisonnantes Variations et fugue Op.23 forment le sommet de l'album. D'une trentaine de minutes, cette micro-symphonie est l'âme même du poète polonais : ombre et lumière, tempête et calme serein, réflexion apaisée et furieux orage... sur un sentier broussailleux. Une musique de flux et de reflux, à l'image d'un ressac orchestral, jouant fabuleusement sur des harmonies brisées : par instants, le souffle du magnifique cycle La maison dans les dunes de Gabriel Dupont se fait sentir. Voici même un joyau de la littérature pianistique, mesurable à la Sonate en si mineur de Liszt ou la Grande Sonate en mi bémol mineur de Dukas. Quel syncrétisme musical dans la présente interprétation ! On y décèle d'allusives références à Reger, Busoni - Liszt encore (Bagatelle sans tonalité)...

Dans ce contexte, les monotones Variations sur un thème folklorique de Karol Szymanowski apparaissent un tant soit peu en retrait – péché véniel, sans doute. Aucun mélomane ne fera, quoi qu'il en soit, l'économie du grisant marathon Paderewski, où les thèmes se pourchassent, se croisent et s'entrechoquent sur un tempo effréné. Paraphrasons un autre grand musicien polonais, Mieczysław Karłowicz, et nommons cet album Chant de l'éternelle inspiration.
▸ un texte d'Étienne Müller
Ignacy Jan Paderewski (1860-1941) : Mazurka Op.9 n°3, Polonaise Op.9 n°9,
Cracovienne fantastique Op.14, Chant d'amour Op.10, Variations et fugue Op.23 -
Karol Szymanowski (1882-1937) : Variations sur un thème folklorique - 1 CD Polymnie, 2011.
À consulter avec profit, le site de David Leszczynski.
Ce disque peut être acheté par exemple ICI.
Crédits iconographiques - Illustration du CD, Polymnie -
Kurylowka, ville natale de Paderewski, sur www.panoramio.com -
Photographie librement arrangée de Paderewski à la fin de sa vie, auteur non communiqué.
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