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lundi 14 octobre 2013

❛Concerts❜ XXXIV° Festival d'Ambronay (Week-end III) "la machine à rêves" • Grandes réussites de Sébastien, Paul et quelques autres... "A l'impero d'amore, chi non cederà ?"

‣ Nos autres chroniques de Festivals de l'été 2013 :
FLÂNERIES MUSICALES DE REIMS • VERSAILLES VOIX ROYALES  MUSIQUES À LA CHABOTTERIE ...

Le jeune ensemble RADIO ANTIQUA à la SALLE MONTEVERDI - © Bertrand PICHÈNE, CCR Ambronay
L'édition 2013 du Festival de Musique Baroque d'AMBRONAY a adopté jusqu'au 6 octobre, sous le nom de « machine à rêver », une thématique onirique qui sied à merveille à la passation de pouvoirs d'Alain BRUNET à Daniel BIZERAY. Ainsi que le directeur général sortant s'en ouvre dans sa présentation, le rêve, c'est ce "I have a dream" qu'il a conçu, nourri et développé pendant trente-quatre années, de la fondation, en 1980, à aujourd'hui. C'est - aussi - une très jolie façon de tirer sa révérence, en convoquant l'univers des possibles, par la boîte de Pandore que sont le conte, la fable et la la fantasmagorie. (1)

Le troisième week-end (sur quatre) était le plus approprié, sans doute, à cette fiction, puisqu'une « Nuit du Rêve » organisée à l'Abbatiale y a permis de découvrir un Concert Royal de la Nuit préparé par Sébastien DAUCÉ et son ENSEMBLE CORRESPONDANCES. Derrière lui, Belle comme la lune, un entrelacs de polyphonies Renaissance concocté par Lucien KANDEL et MUSICA NOVA : je reviens sur ce diptyque au sommet à la fin du présent article.

Enrico ONOFRI, Alessandro PALMERI, Luca GUGLIELMI - © Bertrand PICHÈNE, CCR Ambronay
Cette soirée fut précédée, Salle MONTEVERDI, d'un rituel "concert de dix-sept heures", dévolu comme il se doit à un jeune ensemble en résidence, en la circonstance RADIO ANTIQUA (Musique à la Cour de DRESDE, photographie de frontispice). Cinq étudiants du Conservatoire Royal de LA HAYE et de la Haute École de Musique de MUNICH (Lucia GIRAUDO, Isabel FAVILLA, Petr HAMOUZ, Giulio QUIRICI et Mariano BOGLIOLI) qui n'ont certes pas froid aux yeux, tant par la sélection de compositeurs fort rares, tels que REICHENAUER ou SCHAFFRATH, que par la mise en avant de partitions aussi redoutables que les Sonates Académiques de VERACINI.

Ces jeunes gens ont livré une prestation de qualité, particulièrement en ce qui concerne le basson très virtuose d'Isabel FAVILLA... par ailleurs flûtiste, et présentatrice des plus agréables (et souriantes ! ). VERACINI, par conséquent, les aura surtout mis en valeur - et pas seulement l'excellente violoniste Lucia GIRAUDO. En revanche, le Concerto de VIVALDI terminal m'a paru... on ne peut plus dispensable.

 Effets nocturnes à AMBRONAY - © Jacques DUFFOURG
Du VERACINI, il y en eut encore le lendemain, tôt, dans la même salle ; cette fois confié, sinon à un "vétéran", du moins à l'un des plus capés des violonistes baroques des dernières décennies, Enrico ONOFRI, accompagné par Alessandro PALMERI (violoncelle) et Luca GUGLIELMI (clavecin, photographie plus haut). Leur programme, déroulant en outre des CIMA, ROGNONI, CASTELLO, UCELLINI, CORELLI (troisième centenaire de la mort) et autres TARTINI, était sur le papier l'un des plus excitants de tout le Festival.

Or, la montagne a presque accouché d'une souris... Manifestement crispé (par une prestation trop matinale ?), et surtout desservi par une humidité à l'effet désastreux sur des cordes en boyau, le virtuose italien, tout lyrisme bridé, a même dû s'interrompre pour tenter - sans beaucoup de succès - d'améliorer un accord pour le moins fâcheux, après le Siciliano initial de la terrifiante Sonate "Trille du Diable", qui donnait son titre au concert. Une exhibition au demeurant honorable... mais tellement en-deçà des délices promises !

Robert MURRAY, Paul McCREESH, Nicholas HURNDALL SMITH, Ashley RICHES - © Bertrand PICHÈNE, CCR Amb.
C'est bien davantage le dimanche après-midi, à l'Abbatiale, qu'ont plu (terme de circonstance) les récompenses musicales. Du HÆNDEL, encore ?! En la circonstance, le masque Acis and Galatea de 1731, remploi partiel de l'Aci, Galatea e Polifemo romain de 1708 confiée aux forces des GABRIELI CONSORT & PLAYERS et Paul McCREESH (photographies ci-dessus et ci-dessous). Si McCREESH, depuis trois décennies, a su prouver tant en plus en matière hændélienne, j'avoue jusqu'ici être demeuré, de sa part, dans l'attente de la révélation absolue. Cet Acis, sans le moindre instant de relâchement, sans facilité et encore mois routine, pourrait bien en être une.

Première arme à la disposition du chef, son cast so british et si homogène. Pas forcément le plus renommé du monde - pour le moment  ! - mais, à l'épreuve de ce feu pastoral : superlatif. Bien que jouant partition à la main, ces chanteurs s'emploient à conférer un minimum de vitalité à la version de concert, par un jeu et des mimiques tout à fait plaisants, sans la moindre lourdeur.

Paul McCREESH & Mhairi LAWSON - © Bertrand PICHÈNE, CCR Ambronay
Mhairi LAWSON révèle une Galatée magnifique : voix piquante et bien projetée, timbre fruité, vocalisation impeccable, expressivité à revendre et gracieux maintien - rien ne lui manque. En Acis racé, lyrique à souhait mais jamais mièvre, Robert MURRAY ne lui cède en rien, digne héritier de ténors anglais aussi prestigieux que Stuart BURROWS, Philipp LANGRIDGE ou Anthony ROLFE JOHNSON.

Le juvénile "blondinet" Ashley RICHES campe un Polyphème crédible, dont les graves impressionnants ne contrarient en rien les truculentes (et séduisantes) menées graveleuses ; tandis que les deux autres ténors, particulièrement Simon WALL en fringant Damon, délivrent un chant aussi châtié que tendre. C'est à ce petit groupe de cinq protagonistes seulement - suivant en cela certaines préconisations documentées - que McCREESH confie la totalité des chœurs. C'est là sa seconde arme.

En effet, à l'image de ce que tente MINKOWSKI, suivant les indications de RIFKIN, dans les Passions de BACH, la modestie de l'effectif n'obère en rien la grandeur des "masses chorales" de HÆNDEL, en garantissant une lisibilité de parties optimale. À cet égard, le surnaturel et très contrapuntique Wretched lovers, l'une des plus belles pages jamais écrites par son auteur, constitue sans contredit le sommet d'une après-midi anglaise placée sous le signe de la réussite.

Sébastien DAUCÉ et les artistes de l'ENSEMBLE CORRESPONDANCES - © Bertrand PICHÈNE, CCR Ambronay
Réussite, triomphe même : c'est encore le mot adéquat pour qualifier le Concert Royal de la Nuit voulu et dirigé in loco, la veille au soir, par Sébastien DAUCÉ. En tant que chef d'orchestre et de chœur, il s'agit pour lui d'une première ambronaisienne (2). Son ENSEMBLE CORRESPONDANCES (photos ci-dessus et plus bas), fondé en 2008, s'est jusqu'ici illustré dans la musique française sacrée du XVII° siècle : Marc-Antoine CHARPENTIER, Antoine BOËSSET... À l'occasion de la sortie d'un nouveau disque CHARPENTIER, le Festival avait d'ailleurs programmé quelques jours auparavant, à l'église de PÉROUGES, les Motets pour la Maison de GUISE.

Concert Royal de la Nuit, qu'est-ce à dire ? Le jeune maître d'œuvre s'en explique, avec beaucoup de brio et de pédagogie, lors de la causerie préliminaire organisée à la Tour Dauphine. Il s'agit d'un ballet de cour, ici un grand divertissement aux ambitions politiques servies par des moyens quasi pharaoniques, organisé par MAZARIN en 1653 - soit vingt ans exactement avant la naissance de la tragédie en musique avec Cadmus et Hermione de LULLY - afin de sceller le ralliement au jeune souverain Louis XIV, des princes factieux de la Fronde.

Le Cardinal se donne les moyens de ses ambitions. Sont mandés les compositeurs Jean DE CAMBEFORT et Michel LAMBERT, le gourou ultramontain des machineries Giacomo TORELLI, le librettiste Isaac DE BENSERADE ; tous en charge de composer une pièce, jouée du crépuscule à l'aube, et consacrée, autour de quatre "Veilles", au merveilleux de la Nuit. Sébastien DAUCÉ, pour faire renaître ce merveilleux, s'est lui-même mué en magicien, compte tenu du peu de matériau parvenu jusqu'à nous (essentiellement, la partie de violon) ! Réécrivant les parties intermédiaires, il consolide, agence... et incorpore - exquise liberté - des extraits d'opéras italiens, contemporains et créés en France : Ercole amante (1662, CAVALLI) et Orfeo (1647, ROSSI). (3)

Sébastien DAUCÉ - Un cliché de Jean-Baptiste MILLOT, pour la plate-forme QOBUZ
Le résultat est au-dessus des plus hautes espérances. Pas seulement parce que nos fameux Goûts Réunis fonctionnent ici à plein, syncrétisme idéal entre ces superbes partitions cisalpines et transalpines. Il l'est aussi et surtout par la grâce d'un ensemble orchestral et vocal - et d'un chef - tout simplement exceptionnels. La seule gestuelle de DAUCÉ constitue en elle-même un étonnant poème lyrique. Raffinée, millimétrée, plastique voire sculpturale ; efficace et virevoltante, elle déborde d'amour envers les musiciens. Ah ! ce complice A l'impero d'amore chi non cederà ("qui ne cèdera au pouvoir de l'amour") de ROSSI, chanté à mi-voix avec le chœur des Driades...

Les autres intervenants ne sont pas en reste : quel aréopage, que cette vingtaine d'instrumentistes jouant comme un seul, sous la houlette du premier violon élégantissime de Béatrice LINON ! DAUCÉ prend soin de confier au moins une intervention d'avant-scène à chacun de ses dix (!) solistes/choristes (noms en pied d'article)... qui sont parmi les meilleurs que j'aie jamais entendu opérer dans un répertoire baroque.

Si tous, absolument tous, doivent être louangés, mention particulière à Lucile RICHARDOT, bas-dessus c'est à dire mezzo soprano, ébouriffante dans le monologue de la Vénus italienne ; et à Davy CORNILLOT, splendide taille (ténor) à qui est dévolu le souffle de l'Aurore, tirant, du velours de sa mezza voce, sa révérence - et la nôtre - à la Nuit.

Violaine LE CHENADEC, Sébastien DAUCÉ & CORRESPONDANCES - © Bertrand PICHÈNE, CCR Ambronay
La reprise magistrale d'A l'impero d'amore, en conclusion - ferveur digne des récentes grandes heures d'Ambronay, telles que le Diluvio Universale ou Nabucco - laissait peu de chances à Lucien KANDEL et MUSICA NOVA de pouvoir, à leur suite, rehausser l'enchantement.

Ces derniers sont au moins parvenus à le prolonger (ce qui n'est pas un mince compliment), au cours d'un programme Renaissance d'une rare intelligence, entremêlant la Missa assumpta est Maria de Giovanni Pierluigi da PALESTRINA, et des motets dédiés au Cantique des Cantiques signés du même PALESTRINA, de Roland de LASSUS et de Carlo GESUALDO.

Le raffinement parfois sévère de ces oraisons, moins passionnées qu'incantatoires, mais non point désincarnées, constituait le meilleur hommage possible, fût-ce a contrario, à l'exubérance de la Nuit louisquatorzienne. A l'impero di DAUCÉ chi non cederà ?

Le Cloître de l'Abbatiale d'AMBRONAY de nuit - © Jacques DUFFOURG


(1) Au sein d'une programmation très riche, relevons la présence de Leonardo García ALARCÓN (artiste en résidence), LA RÊVEUSE, Stéphanie D'OUSTRAC, William CHRISTIE, Christophe ROUSSET, Jordi SAVALL... et bien d'autres.

(2) "Mais certainement pas d'une dernière", pour reprendre la présentation du maître des lieux !

(3) Impossible de ne pas retranscrire la remarquable conclusion de Sébastien DAUCÉ soi-même : "Les juxtapositions et les miroirs qui composent ce Concert royal de la Nuit évoquent l'esthétique du début du Grand Siècle où le merveilleux côtoie le réel, où deux mondes coexistent sans que la raison en soit contrariée."

 AMBRONAY (Ain), "La Machine à Rêves", XXXIV° Festival de Musique Baroque, 28 & 29 IX 2013 :

• Musique à la Cour de DRESDE, un programme de l'Ensemble RADIO ANTIQUA.
• Concert Royal de la Nuit (première mondiale), un programme de l'Ensemble CORRESPONDANCES.
• Belle comme la Lune, un programme de l'Ensemble MUSICA NOVA.
• Le Trille du Diable, un programme de l'Ensemble IMAGINARIUM.
• Acis and Galatea, masque (1731) de G.-F. HÆNDEL, par le GABRIELI CONSORT & PLAYERS.

 RADIO ANTIQUA : Lucia GIRAUDO, Isabel FAVILLA, Petr HAMOUZ,
Giulio QUIRICI, Mariano BOGLIOLI.

 ENSEMBLE CORRESPONDANCES : Caroline MENG, Violaine LE CHENADEC, Caroline WEYNANTS,
Caroline DANGIN-BARDOT, Alice HABELLION, Lucile RICHARDOT, Stephen COLLARDELLE,
Davy CORNILLOT, Étienne BAZOLA, Paul-Henri VILA, Ensemble instrumental. Direction : Sébastien DAUCÉ.

 MUSICA NOVA : Christel BOIRON, Marie-Claude VALLIN, Xavier OLAGNE,
Thierry PETEAU, Marc BUSNEL. Chant & direction : Lucien KANDEL.

 ENSEMBLE IMAGINARIUM : Enrico ONOFRI, Alessandro PALMERI, Luca GUGLIELMI.

 GABRIELI CONSORT & PLAYERS :  Robert MURRAY, Mhairi LAWSON, Ashley RICHES,
Simon WALL, Nicholas HURNDALL SMITH, Ensemble instrumental. Direction : Paul McCREESH.


‣ Nos autres chroniques de Festivals de l'été 2013 :

mercredi 15 juin 2011

❛Concert❜ Miniatures Tragiques & Amorosi Tormenti • Eugénie Warnier, identification d'une artiste

Connaissez-vous le Palais de Béhague ? Depuis 1939 siège de l'Ambassade et de l'Institut Culturel Roumains, il s'agit d'un hôtel particulier de vastes proportions édifié à la fin du XIXe siècle pour la comtesse Martine de Béhague, mécène douée et excentrique qui lui laissa son nom. Le lieu dispose d'une salle de théâtre à laquelle sa décoration a valu l'appellation de Byzantine. Témoin d'événements culturels de première importance, honorée par des personnalités telles que Sarah Bernhardt et Isadora Duncan, cette scène désormais défraîchie est à la recherche de son lustre d'antan : l'organisation en son sein de Nuits Baroques répond ainsi, au moins en partie, à la nécessité de collecter les financements adéquats.

À l'occasion de cette troisième nuit de 2011, le plateau est occupé par une petite formation de six musiciens issus des Talens Lyriques (deux flûtes, deux violons, une viole de gambe et un clavecin), auxquels se joint le soprano Eugénie Warnier, pour un programme délicieusement labellisé Miniatures Tragiques et Amorosi Tormenti. Ce récital s'articule, de fait, autour de quatre cantates italiennes inspirées par des héroïnes mythiques et/ou historiques, telles qu'Armida, Lucrezia, Agrippina, etc. En première partie, des compositeurs français ; en seconde, Haendel. Notons que la plus remarquable des deux concessions purement instrumentales demeure d'une certaine manière ultramontaine, puisqu'il s'agit du Quatrième Ordre des Nations de Couperin, au titre explicite de La Piémontoise ! Un an après l'intégrale remarquée du Festival de Saintes, c'est un vif plaisir d'entendre à nouveau Christophe Rousset et ses compagnons ciseler les tendres mélodies, les combinaisons des dessus (flûtes/violons), ainsi que la variété rythmique d'un Piémont imaginaire, et très pastoral. Malgré d'amples proportions, clairement, une miniature.


L'influence de la culture italienne auprès des élites françaises s'est notablement accrue au début du XVIIe siècle, le mariage d'Henri IV et Marie de Médicis ayant ouvert la voie aux séjours d'artistes transalpins. En ce qui concerne la musique – et largement avant l'arrivée de Gianbattista Lulli lui-même – Giulio Caccini fut l'un des plus prompts à importer des genres que cultivèrent par la suite, outre Lully et Montéclair, certains Brossard (enregistrement récent de l'ensemble La Rêveuse), Campra, et d'autres. Le volet hexagonal choisi par Christophe Rousset débute par une page tirée du ballet Les amours déguisés que Lully signa en 1664, soit peu de temps après sa naturalisation. Il s'agit d'un tableau plus exotique et galant que réellement dramatique (sous des déguisements, les Amours tentent de retenir Rinaldo au palais d'Armida), ce que confirment le modelé fort expressif et les coloris raffinés de la cantatrice. Davantage tournée vers l'alanguissement que consumée par la passion, celle-ci assume élégamment le retrait délicat de la musique sur l'emphase des mots.

Les mots : leur couleur, leur sens et leur poids – voilà l'un des atouts majeurs d'Eugénie Warnier, rendue au théâtre le plus dru par un véritable joyau de Michel Pignolet de Montéclair (1667-1737), La morte di Lucrezia. De dimension plus vaste que la précédente, quoique de durée encore raisonnable, cette partition dense et contrastée ajoute à la succession de ses récitatifs et airs imbriqués une alternance de locuteur (première ou troisième personne du singulier, un peu comme pour le Testo du Combattimento monteverdien) propice à l'épanouissement tragique. En outre, son économie thématique renforce la stature poignante de la patricienne romaine outragée. Le soprano l'incarne avec une ductilité altière refusant tout procédé facile, lui offrant par là une filiation avec la classe d'une Véronique Gens -   experte en ce répertoire - en moins hiératique peut-être. La noble expiration (aux deux sens du terme) sur la fin d'O patria, o Collatino ! Io moro, addio ! est, quoi qu'il en soit, de la veine des plus grandes.

Lucrezia est aussi le sujet d'une des plus emblématiques cantates de la période italienne de Händel : de ce dernier toutefois, ce sont deux autres portraits qui sont proposés, Agrippina condotta a morire et Notte placida e cheta. Si le deuxième – en dépit du caractère poétique et étal que présage son titre – laisse apparaître une pointe de fatigue dans le souffle ou dans un matériau qui se décolore parfois, il ne faut sans doute en chercher d'autre raison que le format marathonien du premier. Cette Agrippina en effet ne se rend pas de vie à trépas sans offrir une résistance opiniâtre : au long de plus de vingt minutes sans le moindre répit, d'incessants affects sont répartis en autant de séquences, dont certaines peu charitables en fait de technique. D'un aplomb parfait sous ce calibre, la soliste y offre au surplus une véritable fresque de ressentiments mortifères : ouvragés avec un grand luxe de détails (la miniature, toujours), ils se trouvent même rehaussés par l'alliance fascinante de l'opalescence du timbre à la clarté lunaire des flûtes.

Deux bis absolument exquis (Vos Mépris de Lambert, puis un extrait du Berger Fidèle de Rameau) referment sur la France, et dans son propre idiome cette fois, ces camées italianisants dont Christophe Rousset précise, comme pour s'en excuser, qu'ils forment un programme généreux. Tel se définit assurément l'artisanat sans concession d'Eugénie Warnier.


❛L'article original publié sur Anaclase peut être lu ICI

Paris, Palais de Béhague, 8 juin 2011 • Miniatures Tragiques & Amorosi  Tormenti :
Lully, Pignolet de Montéclair, Couperin, Haendel •
Eugénie Warnier, soprano ; les Talens Lyriques, direction et clavecin : Christophe Rousset

À consulter avec profit, le site d'Eugénie Warnier et celui des Talens Lyriques.

❛Crédits photographiques • Entrée du Palais de Béhague : non communiqué • Eugénie Warnier & Christophe Rousset, d'après leurs sites respectifs 

dimanche 21 février 2010

❛Disque❜ Anne Sofie Von Otter & les Arts Florissants • Une carte du Tendre de la Tragédie lyrique.

Au départ, c'est un point d'orgue du festival d'Edimbourg ; puis une ovation à la Salle Pleyel,  en septembre 2008. Bill Christie et ses troupes retrouvent Anne Sofie von Otter avec qui ils ont déjà signé un très beau Serse, au Théâtre des Champs Elysées près de cinq ans plus tôt. Marc-Antoine Charpentier et Jean-Philippe Rameau par les "Arts Flo", cela renvoie à un long compagnonnage ! Rappelons que le chef  a dirigé les deux tragédies retenues ici lors de deux spectacles parisiens fortement marqués par la présence de la regrettée Lorraine Hunt Lieberson : Médée à l'Opéra Comique en 1993, Hippolyte et Aricie au Palais Garnier en 1996. Enregistrements effectués chez Erato.

Le découpage est insolite, le point commun à l'ensemble étant ces "french baroque arias" que l'éditeur porte en sous-titre de son album. Les extraits de tragédies lyriques sont dispersés dans un patchwork qui convoque par ailleurs des chansons et airs de cour, de Charpentier comme du moins connu Michel Lambert, dont on fête le quatre centième anniversaire cette année. A quoi s'ajoutent, de Rameau, des intermèdes orchestraux des Fêtes d'Hébé, opéra-ballet que Christie a aussi gravé chez Erato ! D'un compositeur et d'un genre à l'autre, du solennel au galant, de l'instrumental au vocal, voilà qui n'est pas sans rappeler un pot-pourri tel qu' Altre Stelle d'Anna Caterina Antonacci - la Phèdre de Rameau étant le point commun entre les deux programmes...

Christie baigne dans son élément fondateur, et livre ici une prestation en tout point merveilleuse, chambriste et concertante à la fois. Le moelleux des cordes attire d'autant plus l'oreille qu'il n'était pas naguère la marque de fabrique de son ensemble. Von Otter quant à elle n'a d'autre expérience scénique du baroque français que le Thésée du TCE en 2008 (1). Maigre. Pourtant, dès "Princesse, c'est sur vous que mon espoir se fonde" (Médée), elle semble avoir pratiqué ce répertoire toute sa vie ! Hors de la diction, qui a toujours été irréprochable dans notre langue, il s'agit bien de déclamation, de la façon de poser avec toute la netteté et toute l'incantation requises le mot sur la note - ou l'inverse. En matière de tragédie lyrique plus qu'ailleurs, dissocier texte et musique est impossible : on n'y joue ni du simple théâtre chanté, ni de la mélodie sur argument futile. C'est bien cette symbiose immédiate et naturelle, qui fascine, à l'instar d'une Norman ressuscitant Hippolyte et Aricie à Aix par exemple.

Plus avant dans Médée, la Suédoise conforte la caractérisation de son héroïne, ses effets comme ses colorations offrant un portrait vénéneux aux accents poignants, même si l'on convient volontiers que désormais tous ses vibratos et détimbrages ne sont pas forcément délibérés. Elle est aidée dans sa tâche par la variété et la beauté de la musique de Charpentier (l'invocation "Noires filles du Styx" !), compositeur d'importance encore trop souvent réduit au fameux "générique l'Eurovision" d'après son Te Deum. La Phèdre d'Hippolyte offre à goûter autant de sortilèges. Mue tout comme Médée par la jalousie, la figure ramiste trouve en Von Otter une orfèvre du détail, plus altière que vindicative, ne se départissant pas d'une immense noblesse. Même si quelques graves paraissent bien limités dans "Quelle plainte en ces lieux m'appelle", quelque chose de son Alceste résonne ici avec un mélange de mélancolie et d'ésotérisme. Est-ce ainsi qu'une Adrienne Lecouvreur incarnait ses personnages au théâtre, quelques années auparavant la création de ce premier opéra de Rameau  ?
Il y a plus fort. Les "airs de cour", ainsi que les pages purement instrumentales, s'enchâssent dans le parcours tragique sans la moindre solution de continuité. Une ariette telle que "Auprès du feu on fait l'amour" (Charpentier), certes pas grivoise mais ironique, est chantée avec un chic tel qu'elle semble appartenir, quoique nettement contrastée, au même corpus que le reste. Le magnifique et dolent "Ombre de mon amant" de Michel Lambert retient davantage l'attention, susurré d'une voix (trop ?) blanche,  ainsi que dans un songe. À moins qu'il ne soit une déploration à la Didon : accolé au Prélude du Concert à quatre parties de violes de Charpentier, il forme, par la grâce du chef, un diptyque que n'aurait pas renié Purcell...  L'unité de ce pasticcio finalement, c'est la Carte du Tendre de l'amant délaissé. Ultime trophée, la prise de congé "Vos mépris chaque jour" (Lambert encore) : courte mélodie étrange et résignée, avant tout nue, sur le simple accompagnement du luth. Difficile de faire plus sublime.

De William Christie en telle entreprise, on ne pouvait attendre que le meilleur - on n'est guère déçu. À Anne Sofie von Otter on pardonne quelques appuis et petits sanglots inutiles (sur les termes "lieux", "amour"...) sonnant comme des compensations mécaniques à une certaine usure du matériau. Ce qu'on retient en revanche, à l'automne d'une superbe et versatile carrière, c'est encore une fois sa capacité à revisiter les oeuvres, par l'attention peu commune portée au texte et au sens - comme une musique parallèle à l'intérieur même des mots... Moins d'un an après l'étonnant album Bach, le charme opère toujours. ll est capiteux, obsédant, addictif : ne vous privez pas de ce disque parfois imparfait, et pour cette raison merveilleux.

(1) Déjà un rôle de Médée...
N.B. En aucun cas les airs de Michel Lambert, dont celui qui donne son titre à l'album, ne constituent une première au disque ! Voir ici : http://www.arkivmusic.com/classical/album.jsp?album_id=25047


❛Ombre de mon Amant❜

Marc Antoine Charpentier : Médée : Ouverture, 
"Princesse, c’est sur vous que mon espoir se fonde" • Michel Lambert
 : Ma bergère est tendre et fidèle
, Ombre de mon amant • Charpentier : Concert à quatre parties de violes : Prélude, Médée : Acte III, scènes 3-7, chansonnettes et extraits du Concert à quatre parties de viole • Jean-Philippe Rameau : 
 Hippolyte et Aricie : 
"Cruelle mère de mes amours",  Les Fêtes d’Hébé ou les Talents Lyriques
 : air gracieux pour Zéphire et les Grâces 
"Vole Zéphire !", extraits de la première et de la seconde entrées,  Hippolyte et Aricie : "Quelle plainte en ces lieux m’appelle ?" • Lambert
 : Vos mépris chaque jour

Anne Sofie von Otter, mezzo-soprano • Les Arts Florissants, direction William Christie •
1 CD Archiv Produktion (DGG)


❛Crédits iconographiques • Archiv Produktion • Frontispice de la première édition de Médée  • Carte du Tendre de Mademoiselle de Scudéry❜