Triomphateur numéro 1 : Chantal SANTON-JEFFERY, soprano - © Le Printemps des Arts |
C'est le 27 janvier dernier, dans le cadre du Festival Rezonanzen (Résonances) de VIENNE, en Autriche, que la SIMPHONIE DU MARAIS a offert, au Konzerthaus, sa première lecture des Indes Galantes (second avatar du 10 mars 1736). En ligne de mire, un enregistrement appelé à voir le jour en mars 2014, à l'orée de ce qui devrait être l'Année Jean-Philippe RAMEAU (DIJON 1683 - PARIS 1764, 250° anniversaire de la disparition) (1).
Ne serait-ce que quantitativement, cette nouveauté ne sera pas du luxe, tant la discographie officielle d'un pareil chef d'œuvre frise le ridicule : après les deux francs-tireurs - concomitants ! - que furent Jean-François PAILLARD et Jean-Claude MALGOIRE (1973, 1974), William CHRISTIE a gardé la main (CD en 1991, DVD en 2003), à côté de la "version de chambre" de Jean-Christophe FRISCH (1994). Cinq repérages (ou quatre et demi...) - pour combien de Bohème, de Zauberflöte, de Traviata en regard ?
Frontispice de l'édition définitive (avec Prologue et QUATRE Entrées) de 1736 - Origine : Gallica |
Le maître d'œuvre Hugo REYNE (photographie tout en bas) n'est pas un nouveau converti à RAMEAU : des Concerts mis en Simphonie, La Naissance d'Osiris, Naïs (tous auprès de Musique à la Chabotterie) témoignent d'un intérêt flagrant, annonçant une suite... qui sait, aussi pléthorique que l'a été la "série LULLY" ? Se colleter aux Indes avec une distribution très resserrée - viabilité économique oblige - représente un autre défi : le Prologue et les quatre Entrées indépendantes (Le Turc généreux - Les Incas du Pérou - Les Fleurs, fête persane - Les Sauvages) sont riches de dix-sept protagonistes, dont beaucoup en charge de parties virtuoses !
L'option SIMPHONIE DU MARAIS fait porter la totalité du travail vocal sur six artistes, deux dessus, deux hautes-contre et deux basses-tailles, ce qui réclame à la plupart d'entre eux une belle polyvalence. Mérites encore accrus par deux remplacements : relativement reculé, celui d'Aimery LEFÈVRE par Marc LABONNETTE, et surtout, in extremis, celui de Valérie GABAIL par Chantal SANTON-JEFFERY (photographie de frontispice).
Quelle est la place des Indes Galantes dans l'histoire lyrique hexagonale ? L'opéra-ballet, qui se revendique comme tel, hérite d'évidence d'un précédent vieux d'une petite quarantaine d'années (1697), l'Europe Galante d'André CAMPRA. Le librettiste Louis FUZELIER a succédé à André HOUDAR DE LA MOTTE, mais l'esprit ne change ni sur le fond, ni sur la forme. La forme : un Prologue et quatre Entrées. Le fond réside dans le titre, le mot galant marquant l'avènement d'une époque plus déterminée à faire l'amour (c'est à dire : faire la cour) qu'à s'encombrer de passéiste mythologie.
Il est révélateur que CAMPRA conclue par la Turquie, tant le second siège de Vienne par les Ottomans (1683), avait marqué les esprits... et durablement influencé la littérature et les arts. Il est n'est pas moins piquant que RAMEAU débute précisément par là, chassant tout net d'Europe ce Grand Turc (en l'occurrence "généreux"), le renvoyant à un exotisme de pacotille, ce que recouvre tout entier le vocable passe-partout d'Indes.
Pas de dramaturgie solide dans ces saynètes n'ayant d'autre objectif, pour divertir plutôt qu'élever, de faire se succéder de minces intrigues amoureuses au sein desquels les caractères, rapidement brossés, s'apparentent souvent à des esquisses ! Mais l'une des manifestations du génie fécond de Jean-Philippe RAMEAU, au-delà de la science de la composition, c'est bien sa capacité à donner chair, parfois de manière inoubliable, à des personnages, en seulement quelques mesures.
À cet égard - le pédagogue Hugo REYNE le rappelle à bon droit avant d'aborder cette Entrée - il n'y aurait pas d'Incas du Pérou, ni même d'Indes Galantes au grand complet, sans l'incroyable contour conféré au protagoniste Huascar, le Grand Prêtre ! Et ceci tient à la seule scène V, dite de la Fête du Soleil (Soleil on a détruit tes superbes asiles, et sa suite), grand monologue entrecoupé de chœurs et danses (loure, gavotte)... qui constitue, à mon sens, l'une des pages les plus spectaculaires, et tout simplement les plus fastueuses, de l'histoire de l'opéra français.
Multiplier les exemples ne serait guère malaisé, si le cadre d'une chronique de concert permettait une longue digression de cette nature. Il n'est que de considérer que RAMEAU, à l'instar de MOZART, maîtrise autant l'harmonie (2) que le contrepoint, raffine l'orchestration comme nul autre, et trouve - pratiquement - une nouvelle idée par minute. Dénicher une baisse de tension, encore plus une maladresse, dans la partition des Indes, tiendrait de la gageure !
Les artistes présents ce 26 juillet 2013 à SAINT GEORGES DE MONTAIGU - à quelques encablures du Logis de la Chabotterie, photographie plus bas - font mieux que tirer leur épingle du jeu d'un pareil marathon (un seul entracte, plus de quatre heures de représentation totale). Ils sont même, étymologiquement, admirables (pas de langue de bois : admirable n'est pas parfait).
Admirons : en dépit du handicap d'un long concert dépourvu de théâtre, malgré l'absence de corps de ballet, nonobstant le petit nombre de chanteurs mis sous forte pression... rien n'arrête ce soir un tsunami de musique, de dynamisme et de partage ; même ses défauts (relativement mineurs) semblent le magnifier, lui conférant l'irremplaçable valeur du vrai, et de l'humain.
Le meilleur exemple, c'est Marc LABONNETTE, en charge de cinq (!) incarnations, seul à être présent d'un bout à l'autre de l'œuvre. Amené, comme je l'ai précisé, à remplacer Aimery LEFÈVRE empêché, il se trouve aux prises avec des emplois de basse sans concession, le Huascar précité n'étant pas unique en son genre. Comme les membres de l'orchestre et le chef, il ne donne qu'à la dernière Entrée (donc tard... et très à la marge) l'impression fugace que l'endurance commence à lui peser. Petit exploit.
Toutefois, il y a plus fort. Invitée, encore plus récemment, à prendre la place de Valérie GABAIL, Chantal SANTON-JEFFERY (Amour, Phani, Fatime et Zima - ce qui n'est pas économe non plus) confirme l'excellent effet que certaine prestation récente a pu offrir d'elle. En apparence détendue, elle ajoute à sa capacité à voyager loin, une grande aisance technique ("impossible" Régnez plaisirs et jeux précédant la Chaconne finale !), que rehaussent un timbre moiré et un bas de tessiture riche. Tous les grands "tubes" des Indes reposent sur ses épaules : depuis Ranimez vos flambeaux jusqu'à l'air précité , en passant par Viens Hymen et Papillon inconstant (3), elle les mate tous d'autorité, en un sans-faute applaudi.
Autre enchantement, le mot n'a rien d'excessif, Reinoud VAN MECHELEN (photographie plus haut). Limité à deux rôles (Don Carlos et Damon), le Belge, déjà parfait dans l'Amadis lullyste récemment chroniqué, troque ici la durée contre une qualité phénoménale. Cette haute-contre d'à peine vingt-cinq ans est sans aucun doute appelée aux plus grand honneurs, dans ce répertoire difficile entre tous. Des Paul AGNEW, des Fernando GUIMÃRAES et d'autres Cyril AUVITY se sont d'évidence penchés sur son berceau. Elle hérite de leurs qualités - en particulier l'aigu, long, stable, clair et brillant, ce que ne vient gâter ni un timbre splendide, ni un souffle conséquent, ni une diction sans faiblesse.
À leurs côtés, les satisfactions vocales s'échelonnent. Stéphanie RÉVIDAT (Hébé, Émilie, Zaïre) semble sporadiquement crispée, avec un haut de tessiture tendu, mais elle se montre globalement à la hauteur, si l'on songe que la très développée et périlleuse introduction de l'œuvre lui échoit. François-Nicolas GESLOT, seconde haute-contre, ne peut se comparer à son jeune collègue : aigus assez rêches, surtout en Tacmas, timbre moins enjôleur... cependant son Valère, impliqué et expressif, ne nuit pas à l'ensemble. Sydney FIERRO enfin, n'a qu'Alvar (Les Sauvages) à mettre en avant, ce qu'il fait bien.
Il y a quelque chose de paternel, avec ce que cela suppose de rigueur et de tendresse, chez Hugo REYNE, ce qui - décidément, c'est le jour - force l'admiration. Volontiers bavard, le maestro flûtiste le proclame haut et fort : il a les "concerts guindés" dans le collimateur. Ici ou là, sa faconde débridée l'amène à forcer un peu le trait... impossible de lui en faire procès. Primus inter pares, avec un amour débordant de la musique, des artistes et du public, il communique sans répit et sans démagogie sur le sens de son travail.
Bien lui en prend, car sa SIMPHONIE et son CHŒUR DU MARAIS, ce soir, paient comptant. Ce ne sont pas un ou deux écarts d'une trompette dans un air de bravoure, qui vont entacher le plaisir offert par des cordes aussi transparentes et incantatoires, des hautbois babillards, une basse continue pérorante à souhait (violoncelle : Jérôme VIDALLER)... le tout mené, geste sûr et sourire en coin, par le plus épicurien des chefs "baroques". Irrésistible.
Triomphateur numéro 2 : Reinoud VAN MECHELEN, haute-contre - © Hainzl & Delage Management |
Frontispice de l'édition originale (Gallica) |
À cet égard - le pédagogue Hugo REYNE le rappelle à bon droit avant d'aborder cette Entrée - il n'y aurait pas d'Incas du Pérou, ni même d'Indes Galantes au grand complet, sans l'incroyable contour conféré au protagoniste Huascar, le Grand Prêtre ! Et ceci tient à la seule scène V, dite de la Fête du Soleil (Soleil on a détruit tes superbes asiles, et sa suite), grand monologue entrecoupé de chœurs et danses (loure, gavotte)... qui constitue, à mon sens, l'une des pages les plus spectaculaires, et tout simplement les plus fastueuses, de l'histoire de l'opéra français.
Multiplier les exemples ne serait guère malaisé, si le cadre d'une chronique de concert permettait une longue digression de cette nature. Il n'est que de considérer que RAMEAU, à l'instar de MOZART, maîtrise autant l'harmonie (2) que le contrepoint, raffine l'orchestration comme nul autre, et trouve - pratiquement - une nouvelle idée par minute. Dénicher une baisse de tension, encore plus une maladresse, dans la partition des Indes, tiendrait de la gageure !
Les artistes présents ce 26 juillet 2013 à SAINT GEORGES DE MONTAIGU - à quelques encablures du Logis de la Chabotterie, photographie plus bas - font mieux que tirer leur épingle du jeu d'un pareil marathon (un seul entracte, plus de quatre heures de représentation totale). Ils sont même, étymologiquement, admirables (pas de langue de bois : admirable n'est pas parfait).
... L'Entrée sans doute la plus populaire, rajoutée en 1736, avec l'illustre Danse du Calumet de la Paix |
Le meilleur exemple, c'est Marc LABONNETTE, en charge de cinq (!) incarnations, seul à être présent d'un bout à l'autre de l'œuvre. Amené, comme je l'ai précisé, à remplacer Aimery LEFÈVRE empêché, il se trouve aux prises avec des emplois de basse sans concession, le Huascar précité n'étant pas unique en son genre. Comme les membres de l'orchestre et le chef, il ne donne qu'à la dernière Entrée (donc tard... et très à la marge) l'impression fugace que l'endurance commence à lui peser. Petit exploit.
Buste de Jean-Philippe RAMEAU par Jean-Jacques CAFFIERI |
Autre enchantement, le mot n'a rien d'excessif, Reinoud VAN MECHELEN (photographie plus haut). Limité à deux rôles (Don Carlos et Damon), le Belge, déjà parfait dans l'Amadis lullyste récemment chroniqué, troque ici la durée contre une qualité phénoménale. Cette haute-contre d'à peine vingt-cinq ans est sans aucun doute appelée aux plus grand honneurs, dans ce répertoire difficile entre tous. Des Paul AGNEW, des Fernando GUIMÃRAES et d'autres Cyril AUVITY se sont d'évidence penchés sur son berceau. Elle hérite de leurs qualités - en particulier l'aigu, long, stable, clair et brillant, ce que ne vient gâter ni un timbre splendide, ni un souffle conséquent, ni une diction sans faiblesse.
À leurs côtés, les satisfactions vocales s'échelonnent. Stéphanie RÉVIDAT (Hébé, Émilie, Zaïre) semble sporadiquement crispée, avec un haut de tessiture tendu, mais elle se montre globalement à la hauteur, si l'on songe que la très développée et périlleuse introduction de l'œuvre lui échoit. François-Nicolas GESLOT, seconde haute-contre, ne peut se comparer à son jeune collègue : aigus assez rêches, surtout en Tacmas, timbre moins enjôleur... cependant son Valère, impliqué et expressif, ne nuit pas à l'ensemble. Sydney FIERRO enfin, n'a qu'Alvar (Les Sauvages) à mettre en avant, ce qu'il fait bien.
La cour d'honneur du Logis de la Chabotterie, en Vendée - © Jacques DUFFOURG |
Bien lui en prend, car sa SIMPHONIE et son CHŒUR DU MARAIS, ce soir, paient comptant. Ce ne sont pas un ou deux écarts d'une trompette dans un air de bravoure, qui vont entacher le plaisir offert par des cordes aussi transparentes et incantatoires, des hautbois babillards, une basse continue pérorante à souhait (violoncelle : Jérôme VIDALLER)... le tout mené, geste sûr et sourire en coin, par le plus épicurien des chefs "baroques". Irrésistible.
Triomphateur numéro 3 : Hugo REYNE, chef d'orchestre, flûtiste, directeur artistique - © Le Printemps des Arts |
(1) L'emploi du conditionnel se justifie par le fait que, sur la seule place de Paris par exemple - à l'instar de la fantomatique Année Jules MASSENET - rien d'exceptionnel ne semble avoir été programmé, hormis une nouvelle Platée à l'Opéra Comique, et des Fêtes de l'Hymen et de l'Amour au Théâtre des Champs-Élysées (après Versailles). C'est bien ! Puis-je rappeler toutefois que RAMEAU a composé, ne serait-ce que pour la scène : cinq Tragédies lyriques, quatre Comédies lyriques, quatre Pastorales héroïques, six Opéras ballets, neuf Actes de ballet ?...
(2) Quatre ouvrages théoriques ont contribué à la gloire du Dijonnais, en particulier le Traité de l'Harmonie réduite à ses principes naturels de 1722.
(3) Le sommet de l'élégance et du raffinement, c'est bien d'arborer malicieusement des boucles d'oreilles en forme de papillon au moment de chanter l'air éponyme !
(2) Quatre ouvrages théoriques ont contribué à la gloire du Dijonnais, en particulier le Traité de l'Harmonie réduite à ses principes naturels de 1722.
(3) Le sommet de l'élégance et du raffinement, c'est bien d'arborer malicieusement des boucles d'oreilles en forme de papillon au moment de chanter l'air éponyme !
‣ Parcourir le site du Logis & du Festival de la CHABOTTERIE.
‣ À noter, la veille 25 juillet, l'Ouverture du XVII° Festival de Musique Baroque à la Chabotterie, sous forme d'un agréable Concert-promenade parmi les les jardins et le parc du Logis. Ont été proposés : la Troisième Leçon de Ténèbres à deux voix de François COUPERIN (malheureusement sans présentation de l'œuvre), puis le Premier Quatuor avec Flûte KV 285 de Wolfgang-Amadeus MOZART (privé, on se demande pourquoi, de son dernier mouvement) ; enfin, une aubade "préparatoire" concoctée à partir d'extraits des Indes Galantes.
‣ SAINT GEORGES DE MONTAIGU (Vendée), "Musique à la Chabotterie", Salle Dolia, 26 VII 2013 :
Jean-Philippe RAMEAU (1683-1764) : Les Indes Galantes, Opéra-Ballet en un Prologue et quatre Entrées,
sur un livret de Louis FUZELIER (partition remaniée de 1736), en version de concert.
‣ Chantal SANTON-JEFFERY : Amour, Phani, Fatime, Zima -
Marc LABONNETTE : Bellone, Osman, Huascar, Ali, Adario - Stéphanie RÉVIDAT : Hébé, Émilie, Zaïre -
François-Nicolas GESLOT : Valère, Tacmas - Reinoud VAN MECHELEN : Don Carlos, Damon -
Sydney FIERRO : Alvar.
‣ CHŒUR DU MARAIS, SIMPHONIE DU MARAIS,
Premier violon : Jesenka BALIC-ZUNIC, & direction : Hugo REYNE.
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