dimanche 20 mai 2012

❛Disques❜ Deux nouveautés "Ambronay", Bach Drama (Leonardo Garcìa Alarcòn) & Vespro per l'Assunta (Martin Gester) • Un bon Bach, mais un frustrant Porpora.

Ce disque peut être acheté ICI
Drama ? Une chose est sûre : ce nouvel enregistrement Ambronay Éditions va nous faire regretter une fois pour toutes que Johann-Sébastian Bach ne se soit pas définitivement penché sur l'écriture d'opéras...

Drama ! Leonardo Garcìa Alarcòn, ici à la tête des Agrémens comme pour le récent Vespro a San Marco,  sait, dès le début, nous entrainer dans ces "opéras de chambre" que constituent, de fait, ces trois cantates profanes. Le Chœur de Chambre de Namur, soutenu par le continuo subtil, sait ici se faire tendre, enjoué, vaillant... Les chanteurs, pour la plupart, supportent sans la moindre difficulté la comparaison avec ceux qu'avaient retenus René Jacobs... dans le même programme.

Les nombreux personnages, en effet, sont tous campés avec justesse ; la technique sûre du groupe de solistes répond à merveille au propos plein d'allégresse du chef. Surplus de plaisir : les timbres se marient admirablement entre eux.

Léger (oh ! très léger !) regret... Il se trouve peut-être un brin de mollesse au cours de certains passages (Aria n° 5 de la BWV 201, par exemple), mais celui-ci est largement compensé par l'énergie, la vie intense qui fuse des pièces qui suivent.

Cette réserve ne s'imposait pas chez Peter Schreier - qui fut longtemps celui que nous écoutions (et que nous réécoutons toujours avec plaisir) dans ces Cantates, avant que n'arrive notre Jacobs précité. Elle n'avait pas lieu d'être non plus dans le corpus Harnoncourt/Leonhardt.

Pompeo Batoni (1708-1787) - Hercule à la croisée des chemins, version de Turin (1742)
Certes, le travail de Schreier peut dater. Quoique... 1983 : pas même trente ans, un coffret de huit CD enregistrés pour Edel - toujours disponible pour une bouchée de pain ! Quelle théâtralité n'y convoqua-t-il pas, pour lui comme pour l'ensemble de ses musiciens !

En dépit de cette retenue passagère, Alarcòn et sa fine équipe prennent désormais place, sans démériter, aux côtés des ci-dessus nommés. Le chef argentin démontre - une fois de plus - après tant de Judas Macchabaeus et autres Diluvio Universale (notre disque de l'année 2011) qu'il n'est nul besoin de star-system débridé, ou de tapage publicitaire pour faire de la belle, de l'excellente musique...

Très bonne idée, également, que d'avoir filmé la Cantate BWV 213 (DVD "bonus") ; et d'avoir disposé une cantate par CD, permettant ainsi une écoute cohérente en continu. Tant pis si, aujourd'hui, des disques de plus de quatre-vingts minutes ne sont pas rares, le présent minutage s'avérant pour le coup plutôt chiche.

Drama ? Oui, ce sont bien là des modèles de drama per musica que vous nous offrez ici, maestro Leonardo... Soyez en pleinement remercié !

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Ce disque peut être acheté ICI
Martin Gester connaît son métier, cela ne fait aucun doute... Le nombre de disques qu'il nous à déjà offerts, sous divers labels, de compositeurs aussi variés que Mozart, Monteverdi, Haydn, Charpentier, Lully... et même Tomas Luis de Victoria : voilà qui nous a depuis longtemps prouvé son amour de la musique - en particulier du chant.

Si les présentes Vêpres de Nicola Porpora méritaient, au moins par principe; d'être redécouvertes, demandons-nous tout de même, à leur écoute, d'où peut provenir la lassitude qui nous étreint sans concession ?...

Ce ne peut être des forces de la Maîtrise de Bretagne, jamais en défaut, dispensant de bout en bout un chant magnifique... Ce n'est pas plus, assurément, du geste impeccable de Gester vis-à-vis de son fameux Parlement de Musique ! Serait-ce... de Porpora lui-même ?

Sans aucun doute : rapporté à d'autres offices de Vêpres (Monteverdi ou Vivaldi, pour ne citer qu'eux), nous ne pouvons nous empêcher de penser que le défaut d'inspiration du Napolitain s'avère accablant. Manque d'ampleur liturgique, absence de sens du sacré, linéarité permanente du discours, voilà qui constitue déjà beaucoup.

Asher Brown Durand (1796-1886) - Les Vêpres indiennes (1847)
Lorsque s'y ajoute encore un je-ne-sais-quoi de redondant, tout - décidément - nous laisse dès lors sur notre faim ! Un enregistrement on ne peut moins vivifiant, pour curieux et/ou collectionneurs.

‣ Pièces à l'écoute simple, en bas de page  Johann Sebastian BachDer Streit zwischen Phöbus und Pan (1 : Air de Phöbus) - Der Zufriedengestellte Äolus (2 & 3 : Chœur d'entrée & Air de Pallas Nicola Porpora - Lauda Jerusalem (4 : Introduction). © Ambronay Éditions 2012

Retrouvez ICI le film d'Olivier Simonnet sur Herkules auf dem Scheideweg (Hercule à la croisée des chemins), © Ambronay Éditions & © Arte 2012.


▸ Leonardo Garcìa Alarcòn, Chœur de Chambre de Namur, Les Agrémens : Bach Drama.
Johann Sebastian Bach (1685-1750), Cantates Profanes -
Der Streit zwischen Phöbus und Pan, Der Zufriedengestellte Äolus, Herkules auf dem Scheideweg - Céline Scheen, Christian Immler, Makoto Sakurada, Alejandro Meerapfel,
Fabio Trümpy, Clint van der Linde.

2 CD + 1 DVD Ambronay Éditions pouvant être achetés ICI

▸ Martin Gester, Maîtrise de Bretagne, Le Parlement de Musique : Vespro Per La Festività Dell'Assunta.
Nicola Porpora (1686-1768), Vêpres -
Laudate Pueri, Salve Regina, Laetatus Sum, Lauda Jerusalem -
Marilia Vargas, Michiko Takahashi, Delphine Galou.

1 CD Ambronay Éditions pouvant être acheté ICI



dimanche 13 mai 2012

❛Disque❜ Wuthering Heights (Bernard Hermann, Alain Altinoglu, Montpellier, Accord) • Pas de printemps pour Catherine et Heathcliff...

Ce disque Accord peut être acheté ICI
Le nom de Bernard Herrmann (1911-1975) demeure indissociablement lié aux mémorables musiques de films d'Alfred Hitchcock. Avec le maître du suspense, il entama un campagnonnage des plus féconds : pour mémoire, Psychose, la Mort aux Trousses, l'Homme qui en savait trop, Pas de printemps pour Marnie. Et qui n'a pas craqué devant le sublime et désormais mythique chant d'amour  auréolant Kim Novak dans Vertigo ? Auteur prodigieusement doué, ce néo-romantique sait façonner des formules mélodiques d'une beauté saisissante, post-wagnériennes ; par exemple, maints passages des anthologiques Mort aux trousses et Vertigo précités, ce dernier de toute évidence son chef d'oeuvre.

Bernard Hermann dirigeant,  © non communiqué
Fructueuse à cet égard est la lecture de nombreuses pages consacrées à Hermann dans la somme indispensable de Michel Chion, La Musique au Cinéma (Fayard). Le musicien s'impose comme un "peintre impitoyable de l'amour détruit" (selon Chion). Beaucoup moins renommé toutefois,  il existe un corpus d'oeuvres "sérieuses" éminemment personnelles : entre autres une Symphonie, la cantate Moby Dick, et un cycle de lieder, The fantasticks. Et, manifestement, une seule tentative dans le domaine opératique, ces Hauts de Hurlevent de 1951... Unique, mais magistrale réussite : énigmatique, diluvienne, tempétueuse, impulsive,  sui generis véritablement. À l'image, d'ailleurs, des protagonistes,  l'opéra se nourrit d'étreintes brisées sur fond de "polar" d'une rare intensité, transfiguré par des tonalités brouillardeuses dont le compositeur détient le secret.

À l'intérieur du Corum, à Montpellier, © Jacques Duffourg
C'est après la troublante musique du film Jane Eyre de Robert Stevenson de huit années antérieur, que Bernard Herrmann a choisi d'adapter l'illustre roman ; ce drame de l'autodestruction implacable, sombre,  tourmenté - d'un pessimisme absolu. Devenu phare de la littérature britannique, Emily Brontë a édifié sur la noirceur insondable de l'âme humaine la narration d'un amour impossible, exclusif, voué à l'échec entre Catherine Earnshaw et Heathcliff, sorte de montrueux Werther à la sensibilité de fauve blessé. Ce fort récit, d'une rudesse inédite pour l'époque, mit à mal comme on sait les codes de la bonne société. Il faudra attendre un autre roman, Au-dessous du Volcan de Malcom Lowry, pour renouer avec pareille brutalité dans l'émotion primitive, exacerbée. Voilà une raison de plus de saluer encore et toujours la réhabilitation de raretés, partitions délaissées voire oublées, dont le Festival de Montpellier s'est fait, sous l'autorité de René Kœring, une spécialité. Le présent coffret en est - bien entendu - l'un des échos.

Le film (1939) de William Wyler - L. Oliver & M. Oberon
Concernant ce huis-clos suffocant de près de trois heures (un prologue et quatre actes), les premiers accords - menaçants, fantasmatiques, lugubres - donnent le ton. Herrmann tisse une atmosphère mortifère, singulièrement proche de l'univers claustral de Daphné du Maurier (Rebecca) : immersion immédiate dans une lande hostile, balayée par des bourrasques et une pluie battante. Ce thriller psychologique appelle, et obtient, une orchestration à la hauteur. Ainsi une luxuriance de timbres happe -t-elle aussitôt l'auditeur, par la grâce d'une inquiétante palette de vents dans le registre grave (trombone, basson, clarinette basse, tuba). Ajoutons-y l'usage insolite d'insinuantes cascades de harpes, notamment dans le prologue, d'obsédants leitmotivs, des interludes ondoyants dont une méditative digression très mahlérienne (plage 6 du disque III) … et d'hypnotiques mélodies tout emplies d'un lyrisme brumeux, nuageux - enveloppées dans la mélancolie douce et profonde des cordes. De la sorte sourd le climat psychotique souhaité.

Emily Brontë, c. 1833
Le style d'Herman, d'une luminosité tristanienne, oscille entre l'onirisme ténébreux du Britten d'Owen Wingrave (pour l'orchestration de feu) et le doux-amer d'un Delius : nous pensons surtout aux étincelantes ramures impressionnistes de Fennimore & Gerda. Voici au final un opéra américain majeur du XX°siècle, à l'instar du Susannah de Floyd, ou du Regina de Blitstzein ! La geste d'Alain Altinoglu (photo tout en bas), d'une transparence absolue, restitue l'atmosphère oppressante, délétère, comme les multiples arborescences crépusculaires de la partition. Elle se situe, du reste, sur les mêmes cimes que celles atteintes par le premier enregistrement (hélas quasi introuvable), plus inégal quant au chant, dû en 1972 au compositeur lui même. Quel éclectisme, soit dit en passant, que celui de la phalange montpelliéraine, après tant d'Alfano, de Pizzetti, de Mariotte - entre autres !

Laura Aikin, © Aline Castejon
Au plan vocal, justement, la distribution est d'une parfaite homogénéité. Les solistes sont superlatifs, au premier rang desquels rutile, grandiose, le soprano lyrique léger, à l'aura irradiante, de Laura Aikin - incomparable dans I have dreamt, à l'acte II. Extraordinaire, également, est la Nelly de grande classe d'Hanna Schaer (quelle Berceuse à l'acte II encore) ! La gent masculine n'est guère en reste, qu'il s'agisse de l'écorché vif Heathcliff dû à Boaz Daniel, ou du pathétique Vincent le Texier (Hindley), à l'émission mordante.  Un grand luxe qu'étoffent d'irréprochables comprimari : Yves Saelens,  Marianne Crebassa, Jérôme Varnier, Nicolas Cavallier...

Alain Altinoglu, © Musicaglotz
Comment se défaire, au final de l'opéra, de la plainte déchirante, spectrale, de Catherine appelant à maintes reprises son amant ? Est-ce hallucination, imploration de l'au-delà ? L'effet en est proprement sidérant !... Les lumières instrumentales s'éteignent les unes après les autres, les harmonies se raréfient ; se dissolvent, enfin s'évaporent. Le souvenir du Chant de la Terre ("Ewig, ewig") hante les ultimes mesures désespérées ("Heathcliff, Heathcliff") des Hauts de Hurlevent.

‣ Pièces à l'écoute simple, en bas de page  I have dreamt my life (Catherine & Nelly, Acte II) - Interlude : Méditation (Acte III) - Heathcliff, Heathcliff, let me in (voix de Catherine & Heathcliff, Acte III) - © Accord 2011.

des Hauts de Hurlevent de Bernard Hermann, sur la revue en ligne 'Forum Opéra'...

▸ Bernard Herrmann (1911-1975) : Les Hauts de Hurlevent.
Opéra en quatre actes et un prologue (1943-1951), livret de Lucille Fletcher d'après Emily Brontë -
Version de concert enregistrée le 14 juillet 2010, dans le cadre du
Festival de Radio France et de Montpellier Languedoc Roussillon.

▸ Laura Aikin, Boaz Daniel, Vincent Le Texier, Hanna Schaer, Yves Saelens,
Marianne Crebassa, Jérôme Varnier, Nicolas Cavallier, Gaspard Ferret -
Groupe Vocal Opéra Junior & Orchestre National de Montpellier Languedoc Roussillon -
direction : Alain Altinoglu.

 ▸ Un disque Accord pouvant être acheté ICI.



mardi 1 mai 2012

❛Opéra & Vidéo❜ John Adams (né en 1947) revient au Théâtre du Châtelet • Nixon in China... ou les tribulations d'un Américain en Chine ! ❛Choc de 2012

John Adams figure par ailleurs, dans notre rétrospective 2012, en tant que compositeur 'choc' de l'année.

Mao (Alfred Kim), ses trois secrétaires & Nixon (Franco Pomponi) - © Châtelet, Marie-Noëlle Robert
Quelle leçon d'histoire, de géopolitique, d'anthropologie musicale, nous aura été dispensée ces 14, 16 et 18 avril au Théâtre du Châtelet ! Il était grand temps que la scène parisienne rende à nouveau justice à John Adams, douze ans après la création mondiale de l'oratorio La Nativité (El Niño) offerte in loco. La révolution culturelle est en marche, dirons-nous. Car avouons-le d'entrée de jeu, il s'agit du spectacle musical de loin le plus fascinant d'une saison lyrique parisienne globalement désolante.

Pour son premier opus lyrique, le compositeur "minimaliste" choisit, en 1987, de relater le premier voyage d'un président américain en Chine populaire, quinze ans auparavant. Il s'agit d'unn ouvrage inclassable, rebelle à toute éventuelle classification : atypique drame politique ? satire d'une société américaine arrogante, consumériste et impérialiste ?  pamphlet persifleur sur la prépotence des médias (News, news, news !) ?  fresque magistrale traitant du choc des civilisations ?... Nixon in China est au final une étrange épopée d'ordre métaphysico-philosophique, inspirée par le dialogue complexe - et à vrai dire, si l'on se laisse convaincre par son filigrane, impossible - entre les arrogances respectives de l'Occident et de l'Orient.

Rencontre entre Richard Nixon et Mao Tsé Toung, 1972
Curieux hybride assurément, la partition brasse un large spectre de références subtilement enfouies au sein d'un foisonnant tapis sonore ! Ceci, du Grand Opéra historique et politique français (scène finale du banquet au I, ballet diplomatique au II, qu'un Meyerbeer n'aurait certes pas renié) au Bel Canto le plus extravagant (personnage de Chiang Ching, la fameuse Madame Mao), en passant par l'intervention liminaire du Chœur aux tonalités sacrées ; ou, quasiment, du post-baroque spectral (People are the heroes now). Et encore : une fugitive quoique lumineuse allusion à Wagner (final du ballet précité), le tout saupoudré de rythmes pop, jazz, rock, voire fox trot endiablé au début du III (net clin d'oeil aux Chairman Dances du même Adams). Toujours davantage, du swing chaloupé proche des lyrics du Kurt Weill ; celui de Street Scene naturellement. Le tour de force est que cet assemblage de focales aussi chamarrées n'est en rien un entassement hétéroclite, mais un canevas subtil qui étaye, irradie et féconde l'une des créations lyriques majeures du XX° siècle.


Le vidéogramme officiel de présentation du Théâtre du Châtelet
Chen Shi-Zheng (m.e.s.)
Alexander Briger (dir.)
Point n'est nécessaire de gloser sur l'esthétique prétendument minimaliste, répétitive, néo-tonale qui constituerait - en apparence - la marque de fabrique  si aisément identifiable de John Adams ! Il suffit d'écouter Doctor Atomic, son opéra le plus élaboré, pour se rendre compte que l'Américain a littéralement inventé un langage musical,  sui generis osons le prétendre ! Nixon est une partition d'une virtuosité inédite, littréalement démentielle à diriger, si l'on en croit le maestro Alexander Briger (à droite), placé à la tête d'une phalange en état de grâce (l'Orchestre de Chambre de Paris, nouvelle dénomination de l'Ensemble Orchestral de la même ville). Par exemple, des superpositions de mesures paires et impaires - à sept temps ! Ou bien des changements et retournements incessants de tempo, de tourbillonnantes harmonies étales, liquides, mouvantes ; pour tout dire aquatiques. Adams fait à de ces matériaux affluents un monumental océan, dont le tour de force est de ne jamais ses départir d'une pureté opalescente. C'est un mascaret, même, qui emporte tout sur son passage, dans un mouvement de ressac perpétuel.

Le compositeur et chef d'orchestre John Adams - © non communiqué
Si la réussite est ici exceptionnelle, le mérite en revient à l'équipe d'artistes transcendés par une mise en scène de Chen Shi Zheng (photo plus haut) suffisamment intelligente pour demeurer sobre et classique. Qui sont-ils ? L'immense soprano June Anderson, mimant Pat Nixon jusqu'à la couleur orange de la robe, le baryton Franco Pomponi à la claire stature présidentielle ; le Mao Tsé Toung non moins fascinant, voire vénéneux, d'Alfred Kim,  un ténor à l'aigu agile et endurant. Mais aussi : l'autre baryton, élégiaque et visionnaire, de Kyung Chun Kim (premier ministre Chou En Laï, en charge du fabuleux soliloque final appelant de ses voeux un monde meilleur) ; un Henry Kissinger ballot et décalé tenu à merveille par la basse Peter Sidhom. Impeccables encore, Sophie Leleu, Alexandra Sherman, Rebecca De Pont Davies : secrétaires de Mao omniprésentes et persifleuses, dont l'étrange triade n'est pas sans en évoquer d'autres, depuis les exaspérantes cocottes de Manon jusqu'aux bonnes consciences tutélaires de Die Zauberflöte ! Omniprésent, c'est une caractéristique qui sied au Chœur du Châtelet, extraordinairement préparé par Stephen Betteridge ; toujours fluide et lisible, fût-ce au plus fort d'un courant qui le ménage peu.

Sumi Jo - © non communiqué
Toutefois, la palme de l'excellence revient à la soprano Sumi Jo (ci-contre). Au zénith de sa carrière sans aucun doute, la Coréenne s'immole, incomparable, dans le personnage glaçant et sanguinaire - à la tessiture surhumaine - de Chiang Ching. Brünnhilde coloratura au discours psychédélique, elle ose des trilles inouïs (ou de folles messa di voce) entre des contre-notes fulgurantes. Une prestation incandescente et insensée, appelée à faire date.

Ce qui porte sans conteste ce Nixon au pinacle de l'opéra vingtiémiste, c'est son merveilleux troisième acte, intimiste, poétique - et surtout totalement inattendu. Nous tombe littéralement dessus un summum d'introspection d'une intensité rare, soutenu par l'intervention obsédante, hypnotique, du synthétiseur. Bouleversant, osons le mot !  Retour à la simple condition humaine, au delà des considérations officielles et protocolaires : chacun des protagonistes évoque ses souvenirs passés, ses échecs, ses rêves, confronté à sa conscience. La poignante conclusion de Chou En Laï (I am old and I cannot sleep, déjà évoqué - voir aussi ICI) se souvient de celle, déchirante, qu'offre le personnage de Grünewald au Mathis der Maler d'Hindemith. C'est dire quels ponts étonnants John Adams sait ériger (quoi qu'en prétendent maints anathèmes condescendants) entre des langages musicaux très divers, qu'il a su assimiler, et envers lesquels il scelle son tribut.

Richard Nixon et Mao Tsé Toung, une vue d'artiste, d'après des photographies - © non communiqué
Exigeons sans plus attendre la création en France de Doctor Atomic - et tant que nous y sommes, la venue du récent et somptueux Satyagraha (New York, Metropolitan Opera) de son alter Ego, Philip Glass !

‣ Retrouvez la création française du nouvel opéra de John Adams,  The Gospel according to the other Mary, le 23 mars 2013 à la Salle Pleyel de Paris.
 http://www.sallepleyel.fr/francais/concert/12406-the-gospel-according-to-the-other-mary-musique-de-john-adams--creation-

‣ La galerie photos de la production, sur le blog "Opera Cake" 
‣ http://opera-cake.blogspot.fr/2012/04/nixon-in-china-opens-at-theatre-du.html

‣ Pièces à l'écoute simple, en bas de page  Cheers ! (finale de l'Acte I) - This is prophetic, air de Pat Nixon  (Maria Kanyova) à la Scène I, & début de la Scène II (les trois Secrétaires), à l'Acte II - Extraits de l'intégrale dirigée par Marin Alsop (Colorado Symphony Orchestra), © Naxos 2008.

Paris, Théâtre du Châtelet, 14 avril 2012 - John Adams (né en 1947), Nixon in China (1987).
Chen Shi-Zheng, mise en scène.
Franco Pomponi, Alfred Kim, June Anderson, Sumi Jo, Kyung Chun Kim, Peter Sidhom,
Sophie Leleu, Alexandra Sherman, Rebecca De Pont Davies.

Chœur du Châtelet (chef de chœur : Stephen Betteridge) & Orchestre de Chambre de Paris -
Alexander Briger, direction.