

Le livret n'est pas un cadeau pour un créateur lyrique encore novice. Quatre protagonistes seulement, deux soprani, un travesti (ou un castrat) et une basse s'y chamaillent : c'est bien peu, pour s'assurer une palette d'expressions large liée à une succession de caractères ; lesquels, de surcroît, sont univoques, stéréotypes ballottés par les péripéties. Par chance, ces dernières abondent, et offrent de quoi travailler à l'envi sur les affects. On est toutefois loin, très loin, de ceux de l'opera seria, le librettiste ayant largement assaisonné de commedia dell'arte son espagnolade assez irrévérencieuse, parfois même cocasse. Trouvaille étonnante – qui ne restera pas sans lendemain lyrique, comme on sait – que ce face-à-face (Acte I) entre Fernando de Castille et la statue de celui qu'il a tué, Sancio de Navarre ! Et que penser de ce personnage féminin, aussi amoureux que battant, Anagilda, qui se travestit en homme pour pénétrer dans le cachot où est séquestré son amant ?
Ariosti confie son inspiration à un effectif instrumental raisonnable où se font remarquer, outre une harpe, deux hautbois fort présents (qui deviennent deux flûtes dans un air de l'Acte III) et un basson assez souvent obligé, voire concertant. Les associations entre vents et voix autorisent les combinaisons mélodiques les plus fruitées, cependant que les cordes basses retenues par Fabio Biondi – pas moins d'un violoncelle, une contrebasse et une viole de gambe – sont en charge d'un propos plus dramatique. Impossible, en revanche, d'échapper à la (longue) procession d’airs, les ensembles se limitant à quelques ariosi a due et à un imparable quatuor final, du genre lénifiant le plus quintessencié. À l'occasion de cette création française (une coproduction avec Fondazione Cantiere Internazionale d'Arte di Montepulciano) en version de concert (1), on attend donc variété, imagination - et, si possible, distanciation. Autant dire qu'on reste globalement en-deçà.

Presque aussi heureux est son compatriote Johannes Weisser (ci-dessus), le Don Giovanni de René Jacobs. Le stylé baryton-basse fait valoir autant de juvénile puissance que de souplesse (surprenante doublette d'entrée au I, un véhément Forse in sen presque enchâssé dans le chantant Chi del cor). Seul un manque de caractérisation le fait passer à côté du sans-faute : son Garzia est un rien trop phrasé, trop joliment méchant et trop monochrome, en dépit d'un ou deux graves franchement outrés, pour solde de toute vilenie (crainte de la caricature, sans doute).

Voici un Konzertmeister virtuose, à l'incomparable prestige, qui pour un soir agrémente là où il aurait ciselé il y a encore peu. Frustrant !
(1) la pièce a été donnée avec mise en scène à Sienne (illustration en milieu d'article) ; comme un retour aux sources livresques...
‣ Montpellier, Salle Pasteur, 23 août 2011 - Attilio Ariosti (1666-1729), La Fede ne' tradimenti (1701), version de concert - Création française en collaboration avec la Fondazione Cantiere Internazionale d'Arte di Montepulciano - Marianne-Beate Kielland, Johannes Weisser, Roberta Invernizzi, Lucia Cirillo -
Europa Galante, direction : Fabio Biondi.
Europa Galante, direction : Fabio Biondi.
‣ Crédits iconographiques - Marianne-Beate Kielland, www.bach-cantatas.com - Attilio Ariosti - Sienne (Siena), www.photocompetition.hispeed.ch - Johannes Weisser, www.koelner-philharmonie.de -
Fabio Biondi, ©Ana de Labra.
Fabio Biondi, ©Ana de Labra.