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mercredi 16 janvier 2013

❛Disque & Concert❜ G.-P.Telemann (1681-1767), Œuvres pour clavier • Olivier Baumont, des 'heureuses contrées' à 'l'instant de grâce'. ❛4 Chocs de 2012

Un disque Euromusic pouvant être acheté ICI
Né en 1681 à Magdebourg (Saxe), contemporain de Georg Friedrich Haendel et Jean Sébastien Bach, attaché aux autorités de Hambourg de 1721 à sa mort en 1767 (1), l'autodidacte Georg Philipp Telemann fut - si cette expression eut jamais un sens - un compositeur prolifique. Qu'on en juge ! Dans le domaine de la musique instrumentale, plus de six cents Suites pour orchestre, Symphonies, Concertos, Sonates, Duos, Trios, Quatuors, Sérénades, des pages pour clavecin et orgue... La musique vocale profane ou sacrée revendique pour sa part plus de quarante Opéras et de nombreux intermezzos, près de mille sept cents (!) Cantates d'église, quinze Messes, vingt-deux Psaumes, environ quarante Passions, six Oratorios... Et puis des Motets à huit voix, des Cantates profanes, des Odes, des Canons, des Chants. Mais n'oublions pas : la fameuse Tafelmusik - en trois productions -, la Wassermusik, les quatre Quatuors Parisiens...

Et encore les Œuvres pour clavier, lesquelles ne comptent pas moins d'une vingtaine d'opus connus - qu'ils soient à l'état de manuscrit, ou bien édités. De cette dernière catégorie - si nous mettons à part les les trois douzaines de Fantaisies (TWV 33:01-36), les six Ouvertures (TWV 32:05-10) et le Concerto en si mineur (TWV 32:A1) - nous ne pouvons assurément écrire qu'elle est la part du legs de Telemann la plus connue, ni la plus enregistrée, ni la plus jouée au concert. La survenue du présent CD, de marque Euromusic, consacré par Olivier Baumont (ci-dessous) à quelques-unes de ces partitions, n'en est que plus appréciée.

Olivier Baumont, © Jean-Baptiste Millot pour Qobuz.com
Olivier Baumont (ci-dessus), premier prix de clavecin et de musique de chambre au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, où il enseigne, est à la tête d'une discographie relevée, particulièrement à l'égard de la musique française. Couperin et Rameau y côtoient ainsi Balbastre, Dandrieu, Daquin, Champion de Chambonnières, D'Anglebert, Le Roux... La voici désormais agrémentée d'un voyage en l'heureuse contrée des pièces pour clavier du Hambourgeois. L'image d'une heureuse contrée est bien la première qui vienne à l'esprit à l'écoute du présent recueil, illustrant à l'envi le goût que Telemann - grand Européen devant l'Éternel - entretenait pour la musique française et italienne. Ce choix en miroirs (2) n'est pas pour rien dans la réussite de l'entreprise. Ajoutons-y sans hésiter le recours à divers clavecins (deux italiens, deux français, alternés en fonction du style requis)... et même à un clavicorde ! Ces maints attraits, combinés au charisme reconnu de l'interprète, concourent à faire de cet album un enchantement.

Georg-Philipp Telemann (1681-1767)
Démonstration avec l'Ouverture en sol majeur, dans la forme et le style français, ou du Concerto en sol mineur, transcrite par J.-S. Bach pour le clavier, que Baumont nous livre de manière très fluide, dans toute leur (apparente) simplicité. 
Les richissimes Fantaisies proposées, deux hexagonales et quatre ultramontaines, sont elles aussi traitées avec une liberté, un naturel, une évidence... paraissant se jouer de la complexité de leur écriture (TWV 33:13 et TWV 33:34).

Inclure en conclusion de ce programme à la prise de son superlative, un choral de Johann Crüger (1598-1662), harmonisé par le grand Händel (Jesu meine Freude, HWV 480) pour honorer l'amitié profonde qui liait les deux musiciens - puis, lui faire succéder deux harmonisations éponymes (TWV 31:33 et TWV 31:34) est à nouveau une trouvaille bienvenue... même si le passage subit du clavecin italien au clavicorde peut laisser plus d'un auditeur a priori dubitatif. Le choix de de dernier instrument coule pourtant de source à l'écoute, conférant à ces trois Jesu meine Freude la fragrance adéquate. Propre à refermer ce captivant hommage à la versatilité de Telemann, elle se fait soudain vaporeuse, mais si justement bouquetée (3).


(1) Son successeur dans la cité hanséatique fut Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788), deuxième fils survivant de Johann Sebastian.

(2) À l'image, bien entendu, des Goûts Réunis (ou des Nations)... chefs d'œuvres de François Couperin "le Grand",  un musicien qu'Olivier Baumont a particulièrement défendu et illustré. Son enregistrement intégral - un coffret de 10 CD Warner - peut être acheté ICI.

(3) Il convient de louer le remarquable texte autographe d'Olivier Baumont inséré dans le recueil. Son titre "Une caisse de fleurs" fait allusion à un envoi de bulbes floraux (assortis d'une lettre en français) par Händel à l'adresse de Telemann. Autour de cette anecdote, à la source des Jesu meine Freude au clavicorde, l'artiste jardine une présentation de son travail, documentée et stylée - d'une pédagogie limpide à cent lieues de tant de notices absconses, ou faméliques. Il n'est pas jusqu'à la couverture du livret qui ne file la métaphore horticole ! C'est aussi pour des élégances de cet ordre, que le CD physique garde toute sa saveur.

 Pièces à l'écoute simple, tout en bas d'article ‣ ➀ Ouverture en sol majeur, n°5 : Aria - ➁ Concerto en sol mineur, n°1 : Allegro - ➂ Fantaisie I en do mineur, n°1 : Tendrement - ➃ Fantasia X en majeur, n°1 : Allegro Olivier Baumont, clavecins. © Euromusic 2012.


 Georg Philipp Telemann (1681-1767) - Œuvres pour clavier (Ouverture, Concerto, Fanraisies, Chorals).

 Clavecins français : Jacques Goermans (c.1740-1789) - "initiales DF dans la rosace" (c. fin XVII° s.).
Clavecins italiens anonymes : Piémont (?) c.1720 - Florence c.1610.
Clavicorde anonyme de pays germanique (Autriche ?), seconde moitié du XVIII° siècle.

‣ Olivier Baumont, claviers. Un disque Euromusic pouvant être acheté ICI.


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Le 26 novembre 2011, au Théâtre Le Ranelagh de Paris, Olivier Baumont a choisi d'offrir un récital dérivé de ces affinités européennes - en l'occurrence, leur versant français. C'est en toute logique, par conséquent, que l'artiste a disposé, entre une ouverture (sol majeur) et deux Fantaisies (do mineur & do majeur) de Georg Philipp Telemann figurant dans le corpus ci-dessus, cinq Pièces de Jean-Henry d'Anglebert (1628-1691) et une Suite de Jean-Philippe Rameau (1683-1764).

Du premier, dont l'œuvre intégral a été enregistré par Christophe Rousset ou Scott Ross (ce dernier y ajoutant les Fugues pour orgue), Baumont sait faire ressortir l'exquise délicatesse. Ces Prélude, Allemande et autres, pas forcément d'une personnalité flagrante, requièrent, comme souvent dans l'école française, suffisamment de détachement vis à vis du texte, pour faire ressortir tout leur charme de camées. Mieux, leur élégance un peu grêle de porcelaines... ce qu'illustre à la perfection le visuel retenu pour le disque.

Olivier Baumont, lors d'un concert à Rungis, le 2 février 2010. © www.rungis.fr
L'allure change de braquet avec Rameau, ne serait-ce que par l'ampleur de la Suite en la mineur qu'il écrivit à l'âge de vingt-trois ans. Dotée de huit mouvements très contrastés (Allemande et Sarabande étant doublées), parmi lesquels une Vénitienne (1), elle est assise sur une perfection harmonique et formelle semblant ouvrir toutes grandes les portes du siècle nouveau. Elle partage également son éloquente faconde avec la verve de Telemann... lequel n'est rien d'autre, à peu d'années près si l'on y songe, que le strict contemporain du Dijonnais !

À marquer d'une pierre blanche !
Pour servir celui-ci comme celui-là, Baumont tire profit d'un clavecin dont les volumes parfaits, tout comme la sobriété de décor, s'intègrent à merveille aux riches boiseries du Ranelagh, tout en frises, bas-reliefs et médaillons : voilà pour l'élément visuel. Dès qu'intervient le composant sonore, une alchimie particulière opère entre ce cadre, aux touffeurs de bonbonnière, et le suc capiteux que l'artiste extrait de chaque touche, avec une habileté de sorcier vaudou.

Ceci est non seulement affaire de métier (transcendant), de goût, d'intelligence dans le choix des ornements - mais aussi, dans les deux acceptions, physique et psychologiques, de tact. Ceci, en public comme devant les micros, rejoint à la lettre les explications si joliment fournies par ailleurs (note 3 de l'article précédent) : "(...) agréments, mètres dansés, notes inégales et écriture luthée pour [l'influence de] la France". De la sorte resplendit Telemann : toute l'Ouverture TWV 32:13, où les incessants entrelacs dynamiques le disputent à un fruité tout à fait exceptionnel, naît autant d'un toucher sculptural, que d'un instrument hors pair.

Georg-Philipp Telemann (1681-1767)
Fidèle à sa seconde nature de pédagogue - espiègle de surcroît - Olivier Baumont ne se contente pas,  avec les deux Fantaisies, d'enfoncer le clou de la francité de Telemann : il a l'idée de rendre celle-ci plus chaleureuse, plus vivante et plus vraie, en concluant par les talents du comédien Nicolas Vaude - revêtu des atours du compositeur, qui se présenterait lui-même en quelques mots. Rien d'artificiel ni de rébarbatif, au contraire... Offrant un écho très baroque aux Tendrement ou Gayment de la musique - et quelle musique ! - ces courtes explications de bon aloi  forment avec elle un point de croix de nature à ravir l'assistance.

Telle osmose entre la plus rigoureuse investigation (adossée à un matériau d'autant plus exigeant que peu fréquenté), la plus accomplie des techniques, et le plus stimulant des dons de soi, cela porte un nom. Appelons-la l'instant de grâce.


(1) Le XVIII° siècle, s'il est le temps du déclin économique et social de la Sérénissime, est aussi celui de l'avènement de sa notoriété - à laquelle les védutistes (peintres de panoramas, vedute) Canaletto, Guardi et Bellotto contribueront de façon déterminante. Canaletto n'est que de quatorze ans le cadet de Rameau.

 Pour lire l'entretien d'Olivier Baumont avec Bruno Serrou, sur le site Musicologie.
 Pour lire la page consacrée à Oliver Baumont, avec le podcast et la playlist, sur le site Qobuz.
 Pour consulter le site d'Olivier Baumont.

  Paris, Théâtre du Ranelagh, 26 XI 12 : Georg Philipp Telemann et la France.
Un concert en relation avec le CD  Telemann publié chez Euromusic (lire ci-dessus).

‣ Œuvres de Jean Henry d'Anglebert (1628-1691), Georg Philipp Telemann (1681-1767)
& Jean-Philippe Rameau (1683-1764).

‣ Olivier Baumont, clavecin - Nicolas Vaude, comédien (Georg Philipp Telemann).


dimanche 3 juin 2012

❛Disque❜ Christophe Rousset, Éditions Ambronay • Louis Marchand (1669-1732) & Jean-Philippe Rameau (1683-1764) à la lumière du clavecin de Pierre Donzelague

Ce disque peut être acheté ICI
Quelle merveilleuse idée que de nous faire partir à la découverte de ce clavecin lyonnais de Monsieur Donzelague !!!  Et quelle heureuse initiative que d'avoir choisi deux compositeurs ayant exercé à Lyon, Louis Marchand (1669-1732) et Jean-Philippe Rameau (1683-1764)... Le premier, avouons-le, est autrement moins fameux que le second ; son métier cependant n'en demeure pas moins exemplaire (1).

L'instrument, de prime abord... De Pierre Donzelague, facteur installé à Lyon en 1688, nous est offert ici l'un de ces clavecins de toute beauté qui firent sa gloire. En atout, un élargissement particulier vers le grave, apportant par là une ampleur que la tradition de la facture française du XVII° siècle ne connaissait pas encore. 

Quid de l'art du claveciniste lui-même ? C'est effectivement tout un art - un don, et un apostolat - que de faire sonner de tels joyaux... en parvenant à nous faire oublier leurs sonorités parfois métalliques, parfois sèches. (Comme ici d'ailleurs : à se demander si la prise de son est toujours à la hauteur au sein du catalogue Ambronay.) Des caractéristiques qui ont même pu, au cours de l'histoire du disque, en arriver à rebuter nombre de mélomanes ! Que tous les inquiets se rassurent : Christophe Rousset nous démontre, une fois de plus, son attachement viscéral à ces claviers ; vélocité, précision et cantabile étant, dans son toucher, fusionnels.

Louis Marchand (1669-1732)
Considérons Louis Marchand et ses deux Suites qui nous sont ici proposées. Rousset, grâce a ce clavecin a deux claviers, nous gratifie ici d'une de ses lectures toutes de finesse et de tendresse - nourries d'un son plein, non grêle, ne tombant jamais dans une espèce de "démonstration musicale" que ne manquerait pas de susciter un pareil outil.

De la sorte, le prélude de la Suite en Ré nous fait pénétrer de plain-pied dans le monde sensible de  l'orgue, dont Marchand fut un illustre maître. Louons par exemple la retenue dans le jeu de l'Aixois, laquelle ne retire rien, ni à l'émotion, ni à l'affectivité de l'écriture ! Ou encore, à l'opposé,  sa captivante célérité (Courante, Gigue ou Gavotte), et aussi une méditative majesté (Chaconne)... La Suite en Sol, comme les trois partitions qui la suivent, demeure nimbée de cette même atmosphère.


Jean-Philippe Rameau constitue dans le cursus de Rousset, nous le savons, un essentiel...  Que ce soit pour l'orchestre (Ouvertures avec Les Talens Lyriques, L'Oiseau-Lyre), pour l'opéra (Castor et Pollux ou Zoroastre en DVD, Opus Arte) ; ou pour le clavecin, précisément, l'amour de l'instrumentiste et chef d'orchestre envers l'auteur des Pièces en concert n'a jamais faibli. Et là encore, ne serait-ce que dans la seule Suite en La du Premier Livre, il nous démontre toute son intime intelligence de l'écriture du Dijonnais. 

Christophe Rousset jouant le Donzelague de 1716, © D. R.
Le Prélude de cette Suite - déjà si particulière du style ramiste, alors que son auteur n'en est qu'à sa première série - est ainsi abordé avec toute la tendresse nécessaire, laissant sonner le marteau jusqu'au bout de la note ; et même, parfois, s'installer le silence consubstantiel à la respiration de cette musique. Survient ensuite la virtuosité, non point tapageuse, pas le moins du monde ostentatoire - mais bien au contraire débordante d'une énergie de bâtisseur.


Notons que, si Rameau joué sur l'instrument de son temps nous séduit énormément, nous confessons  un penchant particulier envers les transcriptions "modernes", c'est à dire pianistiques d'Alexandre Tharaud. Et, cela va de soi, de Marcelle Meyer, dont nous disposons par bonheur de quelques enregistrements de 1925 à 1957 réédités en un seul coffret (Les Introuvables volume II, EMI)... Recueil magistral, à écouter, réécouter - savourer sans cesse !

En tout état de cause, voici un CD de bout en bout remarquable, nous laissant espérer que maestro Rousset nous offre encore d'autres perles du même acabit ; pourquoi pas une intégrale Rameau, sur ce fascinant clavecin ?... Qui sait ?

‣ Pièces à l'écoute simple, en bas de page  Louis Marchand, Sarabande de la Suite en Ré (Premier Livre) - Gigue de la Suite en Sol (Deuxième Livre) - Jean-Philippe Rameau, Allemande de la Suite en La (Premier Livre) ‣ © Ambronay Éditions 2012

(1) Natif de Lyon d'une famille d'organistes, grand organiste lui-même, mentor supposé de Louis-Claude Daquin, Louis Marchand figure çà et là dans les monographies comme s'étant soustrait à Dresde, en 1717, à une joute qui devait l'opposer à Jean-Sébastien Bach. Ce fait n'a pourtant jamais été attesté avec certitude. À souligner qu'en 1990 déjà, Blandine Verlet proposa (chez Auvidis) un disque de certaines de ses Pièces de Clavecin... sur le même Pierre Donzelague de 1716.


▸ Christophe Rousset, clavecin Pierre Donzelague 1716 : Louis Marchand • Jean-Philippe Rameau.
Louis Marchand (1669-1732) : Suite en ré, Suite en sol, trois Pièces  -
Jean-Philippe Rameau (1683-1764) : Suite en la du Premier Livre.

1 CD Ambronay Éditions pouvant être acheté ICI.