Affichage des articles dont le libellé est Milanesi. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Milanesi. Afficher tous les articles

lundi 25 juillet 2011

❛Concert❜ Festival du Mont-Banc, I Virtuosi Delle Muse • La Méditerranée : mythes, héros... et sortilèges.

Mare Nostrum, la Méditerranée : tout un programme !
 Comment accoster à de tels ports sans rebattre les cartes convenues, accumuler les redites, étaler les poncifs ? S'agit-il de compiler des musiques natives de ce bassin – et ici, on parle d'Italie –, ou de s'ouvrir à une inspiration plus large, à vague connotation méridionale ? Étalée sur les deux siècles baroques, de Marini à Porpora, la charpente proposée par le claveciniste Stefano Molardi et I Virtuosi delle Muse (en petite formation de tournée : clavier, deux violons, alto, violoncelle, contrebasse, théorbe) défend la première option ; seul Purcell est sans rapport connu avec la Péninsule, mais rattaché au flux ultramontain par le nom même de sa Ciaccona. Comme le titre générique Mythes et Héros le laisse supposer, la mythologie la plus épicée y revendique une large place : de Polyphème à Vénus, ou de Médée à Télémaque. Le parcours, écrivons même la traversée, s'organise finement, de précieuses trouvailles encadrant un tube central, ô combien maritime, le Son qual nave de Broschi.

Le plus grand péril de cette aria di bravura désormais fameuse n'est peut-être plus sa transcendante technique vocale... mais certain statut de faire-valoir pour gosiers en mal de Farinelli attitude ; de là, paradoxalement, une éventuelle étiquette de facilité. À Raffaella Milanesi de réfuter cette dernière, ce dont elle s'acquitte avec une crâne audace et un panache certain. S'il est permis d'y préférer davantage de staccato, une vocalité plus franchement napolitaine que mozartienne (cœur de métier du soprano romain), il n'est en revanche pas possible de résister à la volute troublante – et de durée raisonnable – de sa messa di voce en reprise. Atout supplémentaire, une volubilité rhétorique en parfait écho à des dynamiques instrumentales drues, d'autant plus ébouriffantes que l'effectif est limité.

Un show relevé par une gestique appuyée mais pleine de goût, poses élégantes plutôt que postures, en seyante harmonie avec le decorum (et l'iconographie sulpicienne) du lieu. C'est toutefois dans l'aria dolente que le matériau capiteux, la variété d'inflexion, le sens du mot et le legato souverain de la cantatrice déploient leur meilleur. L'Alto Giove de Porpora (autre pierre de touche, religieusement phrasée), les camées raffinés de Cesti ou la fière Medea de Cavalli font ainsi mouche ; et c'est de Cavalli encore, par l'Ercole amante, que vient la commotion la plus vive. L'exceptionnel recitar cantando de Deianira, Misera, ohimè, offre à Milanesi, en sus des qualités précitées, des graves intéressants et, partant, une grandeur tragique – la vraie, à la pointe sèche, sans la moindre esbroufe – que véritablement nous n'avons connue qu'à très peu d'autres. Mémorable magie !

Charme toujours : au lieu d'accompagnateurs, voici d'authentiques partenaires. Nullement en retrait, mais en continuel échange avec la soliste. Cas d'école pour le Telemaco de Scarlatti, déploration à nouveau (et de quelle hauteur), bien plus musique de chambreavec voix que simple bel canto. Confiée à de tels orfèvres, la partie instrumentale du concert n'est pas moins fastueuse. Quand trois œuvres dix-septiémistes pour deux violons et basse (Matteis, Marini et surtout Uccellini, enivrante Bergamasca) permettent à Jonathan Guyonnet et Paolo Cantamessa de cultiver leur virtuose complémentarité, c'est Purcell qui rafle la mise, au cours d'une poignante Ciaccona, dont l'anxieux sol mineur et l'ostinato obsédant sont développés avec un sens du jouer ensemble qui se passe de mots. Moins pathétique, mais non moins foisonnant, le Vivaldi des Variazioni sulla Follia lui dispute son statut – quoique sa lecture puissante et didactique, taquinée par le septentrion, rappelle que le turbulent rouquin vit plus souvent de ses fenêtres l'Adriatique que la Méditerranée.

Et si cette Méditerranée hypnotique soutirée à l'extravagant Kircher n'était que le révélateur d'un singulier algorithme ? I Virtuosi delle Muse, c'est assurément une pâte sonore particulière, ductile et volontiers crue, qu'un Farnace vivaldien d'une innovante séduction illustrait à Paris . N'y sont pas étrangères des individualités fortes qui savent prendre des risques, parmi lesquelles l'inventif contrebassiste-barde Ludovic Coutineau ou, au théorbe, Michele Pasotti dont les vigoureux mais dosés sforzandi sont un théâtre à eux seuls.

C'est également le spectacle, tout de rigueur poétique, du couplage rythme/mélodie qui fédère les deux fondateurs, Molardi et Guyonnet. Si leur déjà longue pratique commune ne peut qu'évoquer les Hogwood et Schröder de la première Academy of Ancient Music, elle s'illumine, au détour de quelque trait, d'un regard intensément complice du premier violon ou d'un imperceptible mouvement d'index du claveciniste. Direction bicéphale au doigt et à l'œil ? Mieux : connivence. Le plus sûr chemin de la rhétorique à l'incantation – et, pourquoi pas, au mythe.

 L'article original publié sur Anaclase peut être lu ICI.

Église de Cordon (Haute-Savoie), 17 juillet 2011 - Mythes et héros méditerranéens,
un programme d'I Virtuosi Delle Muse avec Raffaella Milanesi :
Matteis, Kircher, Uccellini, Vivaldi, Purcell, Scarlatti A., Cesti, Porpora... -
Jonathan Guyonnet, premier violon - Stefano Molardi, clavecin et direction.

À consulter avec profit, le site d'I Virtuosi Delle Muse.

Crédits iconographiques - Raffaella Milanesi & I Virtuosi Delle Muse : Jean Marc Barey, Festival du Baroque du Pays du Mont Blanc - Église de Cordon en hiver : www.eglise-cordon.fr.

jeudi 5 mai 2011

❛Concert❜ I Virtuosi Delle Muse au Théâtre des Champs-Élysées • Vivaldi, Farnace ritrovato

Quelques semaines après Orlando Furioso, le Théâtre des Champs-Élysées propose, en cette toute fin d'avril, de remettre le couvert vivaldien avec Farnace, cette fois en version de concert : un opéra au canevas antique rodé (les vicissitudes de Pharnace, roi du Pont, fils de Mithridate, combattant Pompée et la reine de Cappadoce Bérénice), qui fut en son temps le plus joué de tous ceux du compositeur. Sans aucun doute ce dernier était-il conscient de la haute qualité de son corpus, puisqu'il n'hésita pas à le remettre sept fois sur le métier, au long de onze années de vie créatrice (1727-1738). De Venise à Mantoue, de Pavie à Trévise, Ferrare et même Prague, en avisé impresario de son propre labeur, le Prêtre Roux s'adonna ainsi à un impressionnant nombre de variantes, sans doute au-delà de la moyenne d'une époque pourtant peu chiche de remplois, transpositions et autres pasticci.

Autant que d'importantes modifications textuelles – que seuls deux manuscrits autographes (1731,1738) permettent de pointer avec précision –, ce sont aussi des oscillations récurrentes dans la tessiture du rôle-titre (de contralto à ténor) qu'attestent les programmes des théâtres. La lecture des Virtuosi delle Muse, phalange baroque fondée en 2004 par Stefano Molardi et Jonathan Guyonnet, est d'autant plus attendue que nous ne comptons au catalogue qu'une seule recension discographique : une captation faite en 2001 à Madrid, d'un Jordi Savall qu'on a connu plus heureux... inexplicablement reprise dans l'intégrale Naïve. Au choix aberrant d'un baryton en Pharnace se joignent, hélas, acidités vocales, direction passe-partout et prise de son hasardeuse. Autant dire que nous partons d'extrêmement peu.

Stimulante fraîcheur, de fait, que ce roulement de timbales ouvrant avec le plus grand naturel le Tempo primo de la Sinfonia. Martiale sans raideur, cuivrée sans dureté, celle-ci éblouit d'emblée par des cordes félines dont la cambrure incisive (le diapason est bas), la vélocité et l'imagination dynamique vont faire merveille au long de la soirée. La version retenue reposant pour l'essentiel sur des airs tripartites, l'invention instrumentale se montre d'autant plus nécessaire qu'un simple jeu sur les coloris ne peut nourrir plus de trois heures de musique en coupe réglée ! Heureusement, Farnace, s'il illustre à l'envi tous les affects baroques en vogue, comporte des archétypes évoluant avec suffisamment d'habileté pour que s’y puisse ouvrager une authentique dramaturgie.

Avec ce que cela peut exiger d'hyperbole : exemple parmi tant, l'aria di furore de Bérénice fermant ici l'Acte II, Lascerò d'esser spietata, pris à toute allure, où les traits de la cantatrice sont assortis de tonitruants riffs de théorbe. Ou l'entrée poignante de Gilade, un Nel intimo del petto aux tenues virtuoses de cors, serties en un crescendo à l'effet très sûr. Remarquable, en outre, est le travail dramatique effectué sur les récitatifs, secs ou accompagnés : parmi ceux-ci, le déchirant O figlio, o troppo tardi nato de Tamiri, épouse de Pharnace (fin du I). Ce personnage développé ayant à plusieurs reprises échu à la favorite Anna Tessieri Girò, on imagine le soin que Vivaldi porta à sa partie. La Sicilienne Josè Maria Lo Monaco y déploie, de son mezzo ambré et sombre, un phrasé envoûtant et un souffle sans faiblesse qui lui valent un score mérité à l'applaudimètre.

Moins consensuelle se révèle Maria Grazia Schiavo (Bérénice), une Napolitaine rompue à la coloratura baroque. Convenons que l'énergie de la dame irradie au prix d'aigus acerbes et peu royaux (même dans le calme Langue misero quel valore) ; sachons-lui gré toutefois d'user d'un abattage et d'une technique arraisonnant crânement un rôle fort périlleux. Comme l'est celui de Gilade, capitaine de la garde de la reine, dévolu à Sabina Puértolas : cette Espagnole au cursus versatile s'appuie sur un timbre fruité, un grand sens du mot et un port gracieux pour contraster avec goût la riche dotation musicale d'un caractère assez pâle. Son exquis Quell'usignuolo, déroulant ses vocalises sur un paragone usé jusqu'à la corde, est offert avec un second degré si mutin qu'un franc succès lui est acquis.

Selinda, sœur de Pharnace et passable entremetteuse, trouve encore en Raffaella Milanesi une interprète délicate, quoique limitée par une projection modeste. Timide également paraît le ténor Anders Jerker Dahlin en Pompée : le matériau est agréable mais, réduit au conventionnel Roma invitta, le général romain est sans nul doute le protagoniste sacrifié. En revanche, Emiliano Gonzalez Toro (Aquilius, bras droit du précédent), souvent apprécié du public hexagonal, régale d'aigus capiteux et ciselés au cours de ses deux airs – surtout dans l'ardu Alle minacce di fiera belva, l'un de ces parangons de chasse aux irrésistibles appels de cors.

Une galerie de talents enfin renforcée par l'éclat de Sonia Prina (ci-contre) dans les habits du roi du Pont : fort en Vivaldi d'éloquents états de service, le contralto lombard  est ici en démonstration. Son métal androgyne sied à merveille à ce type d'emploi, de même que son autorité native, dès l'initial Ricordati che sei, idéalement péremptoire. À quoi s'adosse une agilité aussi percutante qu'expressive, malgré le tempo peu complaisant d'un Quel torrente ou d'un sidérant Gemo in un punto... importé de L'Olimpiade. Évidemment c'est l'aria d'ombra de l'Acte II aujourd'hui bien connue, Gelido in ogni vena, qui vaut à cette immense artiste, par son jeu fouillé d'inflexions angoissées et délétères, un clair triomphe.

Cette page admirable s'avère au surplus exemplaire de l'entente entre tous ces jeunes intervenants : Molardi, Guyonnet et les leurs réussissent à demeurer tout au long de la soirée d'une présence appuyée (l'invention évoquée plus haut), sans pour autant mettre en danger des chanteurs très exposés par d'intrusives rodomontades. Jusqu'au lénifiant chœur final qui nous touche : un vrai miracle d'équilibre, en somme.

Les amateurs d'opéra vivaldien seront à la fête dans cette même salle la saison prochaine, puisqu'à un second Farnace d'affilée, cornaqué cette fois par Fasolis et ses Barocchisti, s'ajoutera un Giustino dû à ces Virtuosi delle Muse... À nos agendas !



 L'article original publié sur Anaclase peut être lu ICI.

Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 28 avril 2011 - Antonio Vivaldi (1678-1741) : Farnace, dramma per musica (édition critique de Bernardo Ticci) - Sonia Prina, Maria Grazia Schiavo, José Maria Lo Monaco, Sabina Puértolas, Raffaella Milanesi, Emiliano Gonzalez Toro, Anders J. Dahlin - I Virtuosi delle Muse : Jonathan Guyonnet (premier violon), Stefano Molardi (clavecin & direction).

À consulter avec profit, le site d'I Virtuosi Delle Muse.

Crédits photographiques - I Virtuosi delle Muse, Guillaume Eymard Photographisme -
Sonia Prina : non communiqué.