Affichage des articles dont le libellé est Franck. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Franck. Afficher tous les articles

vendredi 4 octobre 2013

❛Disque❜ Indésens, Solenne PAÏDASSI & Laurent WAGSCHAL • Dans l'intimité d'un magnifique concert à ILLIERS COMBRAY, en compagnie de M. de VINTEUIL...

Un disque Indésens pouvant être acheté ICI
Redoutable programme, que celui qui nous est proposé dans ce nouveau disque du label Indésens... Effectivement, les Sonates regroupées ici - notamment celle de César FRANCK (1822-1890) - ont tenté les plus grands archets, et ce, presque depuis les débuts du gramophone et autres cires, ou rouleaux. Et si elles les ont tentés, le moins que l'on puisse dire est que les réussites sont légion !

Redoutable encore, car les deux solistes ici présentés (portraits plus bas), s'ils ont déjà foulé les plus grandes scènes internationales, en y remportant de vrais succès, n'en sont pas moins à l'orée de leurs carrières. Surtout Solenne PAÏDASSI, qui n'est présente que sur un DVD, y jouant le troisième Concerto de Camille SAINT-SAËNS (déjà !) ; Laurent WAGSCHAL quant à lui ayant déjà une bonne quinzaine de disques à son actif : musique de chambre de Maurice EMMANUEL, Gabriel PIERNÉ (tiens donc), Camille SAINT-SAËNS, Gabriel FAURÉ, Jean CRAS, Claude DEBUSSY - ou Florent SCHMITT...

Marcel PROUST (1871-1922) (Jacques-Émille BLANCHE)
Redoutable enfin... car comment ne pas avoir à l'esprit l'univers proustien et la fameuse Sonate du compositeur VINTEUIL, lequel vient la jouer chez les VERDURIN, Madame tenant salon après avoir rencontré un succès parisien plus qu'honorable... C'est dans Un Amour de Swann (À la recherche du temps perdu) que cette Sonate accompagne les sentiments de Swann et d'Odette. Celle de FRANCK est présentée en tant que l'un de ses modèles... même si Marcel PROUST (ci-contre) n'a jamais confirmé – ou infirmé – cette assertion, et même si d'aucuns y ont plutôt reconnu la Sonate op. 75 de Camille SAINT-SAËNS, tout comme d'autres y ont entendu Gabriel FAURÉ).

The Art of Violin, voilà ce qui est inscrit au frontispice de ce disque : c'est un comble pour un disque censé célébrer l'école franco-belge de violon ! et pourquoi pas l'Art du Violon ? Pour autant, il est indéniable que ces trois Sonates - ainsi que la fameuse Méditation tirée de l'opéra Thaïs de Jules MASSENET (1842-1912) - incarnent la quintessence de cet art violonistique de la fin du XIX° et début du XX° siècles. Et, ainsi que PROUST nous le fait comprendre lui même à travers la Sonate de Monsieur de Vinteuil, elles sont l'archétype de la sonate pour piano et violon ; genre qui, de BEETHOVEN à SCHUMANN en passant par BRAHMS, de FAURÉ à YSAŸE jusqu'à DEBUSSY et RAVEL, a vu naître tant de chefs d’œuvre.

Solenne PAÏDASSI, © d'après son site
C'est avec un classicisme "naturel" et confondant de facilité que les deux instrumentistes abordent et mènent à leur terme les partitions offertes par cet enregistrement.

Que l'on me comprenne bien. Employant le mot de classicisme, j'évoque toutes les qualités de la grande école de violon française, représentée par Christian FERRAS, Jacques THIBAUD, Ginette NEVEU, Pierre AMOYAL, Gérard POULET, Augustin DUMAY... ou, plus récemment, Laurent KORCIA, Renaud CAPUÇON - sans omettre, par assimilation, le Belge Arthur GRUMIAUX.

Justement notoire, la Sonate de César FRANCK revendique une discographie huppée, où brillent de magnifiques témoignages : Christian FERRAS & Pierre BARBIZET, Jean HUBEAU & Olivier CHARLIER, Jacques THIBAUD & Alfred CORTOT, Yehudi & Hephzibah MENUHIN, Itzakh PERLMAN & Martha ARGERICH, David OÏSTRAKH & Svjatoslav RICHTER... Celle de SAINT-SAËNS (1835-1921) l'est un peu moins, ce qui n'a pas empêché Jean-Jacques KANTOROW & Jacques ROUVIER,  Gérard POULET & Noël LEE, Jean HUBEAU & Olivier CHARLIER... de s'y montrer à leur meilleur. Au service de l'une ou de l'autre, PAÏDASSI et WAGSCHAL ne rougissent à aucun moment face à de tels parrainages.

La découverte nous vient du merveilleux Gabriel PIERNÉ (1863-1937), un ami de DEBUSSY et disciple de FRANCK et MASSENET ! Relativement connus sont Cydalise et le Chèvre-pied, ballet panthéiste, les Paysages franciscains, ou encore le Quintette pour piano et cordes. Sa Sonate opus 36 est en effet une exquise rareté, dont le positionnement aux côtés de celles de ses aînés témoigne d'un goût particulièrement bienvenu.

Laurent WAGSCHAL, © Nikos SAMALTANOS
Dés les premières mesures de la Sonate de SAINT-SAËNS, le ton - magistral - est donné. Servie par une remarquable prise de son, la complicité des deux artistes ne se dément pas tout au long des douze plages d'un disque passionnant de bout en bout. Tour à tour rêveur et très tendre (SAINT-SAËNS), enthousiaste mais profondément lyrique (PIERNÉ) : plusieurs écoutes ne parvenant pas à percer tous les secrets de ses charmes.

Le jeu de Solenne PAÏDASSI et Laurent WAGSCHAL a ceci d'équilibré qu'il n'est ni "trop virtuose" (surtout chez FRANCK dont l'écriture peut parfois donner au soliste des idées démonstratives qui n'ont pas lieu d'être ici) ni "trop romantique" (la Méditation de Thaïs est, en ce sens, un écueil que certains violonistes n'évitent pas, transformant en guimauve une pièce qui, jouée sans mesure, peut aisément tomber dans ce travers)...

Ceci suscite grandement l'envie que ces deux acolytes inspirés - à l'instar d'HASKIL avec GRUMIAUX, d'OÏSTRAKH avec BAUER ou de FERRAS avec BARBIZET - nous guident encore pas à pas dans cet univers incantatoire ; qui sait avec des FAURÉ, LEKEU, et autres ROUSSEL ?

L'un et l'autre ont d'évidence tellement d'autres trésors à nous faire partager !


 Pièces à l'écoute simple (lecteur tout en bas de l'article)  ① Sonate de SAINT-SAËNS : Adagio ② Sonate de PIERNÉ : Allegretto   Sonate de FRANCK : Recitativo Fantasia ‣ © Label Indésens 2013.


 Camille SAINT-SAËNS (1835-1921) : Sonate - Gabriel PIERNÉ (1863-1937) : Sonate -
César FRANCK (1822-1890) : Sonate - Jules MASSENET (1842-1912) : Méditation de Thaïs.

 Solenne PAÏDASSI, violon - Laurent WAGSCHAL, piano.

 Un disque Indésens pouvant être acheté ICI.

mercredi 15 juin 2011

❛Disque❜ Yannick Nézet-Séguin • Somptueux diptyque 'Florent Schmitt & César Franck' chez Atma.

L’heure de la reconnaissance pour Florent Schmitt, créateur parmi les plus originaux du siècle dernier, sonnera-t-elle enfin ? Espérons, attendons, pour paraphraser le comte de Montecristo. Véritablement, un tel disque, anthologique, met en évidence une injustice criante, l’absence quasi totale du compositeur lorrain des salles de concert. Premier choc : la Tragédie de Salomé, capiteux poème symphonique, version raccourcie d’un ballet à l’origine – ce que rappelle judicieusement la notice.

Il s’agit de l’un de ses opus les plus renommés, avec le Psaume 47 ou le grandiose Quintette avec piano. Il fait partie, en quelque sorte, d’une trilogie orientale passionnante comprenant encore Antoine et Cléopâtre et Salammbô. À ce sujet, souhaitons que la bouillonnante phalange de Yannick Nézet-Séguin poursuivre son exploration d’un vaste corpus novateur en enregistrant les partitions précitées. On tient là une référence majeure au souffle visionnaire. L’envoûtement est total, et ce dès les premiers accords : insolite lamento de cordes graves en sourdine, cor anglais mortifère, flûte mélancolique – les contrastes d’atmosphères sont saisissants. Jusqu’au crescendo paroxystique final, le maître canadien règle une implacable chorégraphie. Chaque note de ce flot ininterrompu est sculptée, ciselée, enluminée. Résultat : un surprenant thriller musical, une partition arachnéenne, délétère, languide… à l’image de la Princesse de Judée elle-même ! La première partie (Prélude et Danse des perles), au lyrisme luxuriant, fleure les sublimes Évocations de Roussel ou le Kœchlin du Livre de la Jungle – au plan, notamment, de la superposition de lignes mélodiques et des mélismes vaguement exotiques.

Plus étrange encore est la deuxième partie, les Enchantements sur la mer : l’instrumentation anticipe certaines formules harmoniques et autres chromatismes profus que l’on rencontrera chez quelques coloristes italiens (Malipiero, Respighi ou encore le Pizzetti de Fedra). L’impétueuse Danse des éclairs préfigure les raucités dévastatrices du futur Sacre du printemps, course effrénée vers l’abîme. Quelle tension ahurissante ! Que louer le plus, alors, dans la battue de Yannick Nézet-Séguin : fluidité du discours, précision des attaques, magie des cordes transparentes ? L’art inné d’insuffler à cette musique flamboyante un climat, un élan épique ? Une direction nerveuse, colorée, scintillante, enveloppante et chaleureuse ? Les Enchantements de la mer offrent un fascinant tableau d’harmonies lunaires, une mosaïque d’éclats de cristaux et de saphir brisés, nimbée dans une lumière crépusculaire ; on croit contempler une toile de Gustave Moreau.

Second choc de ce disque : la gravure de la Symphonie de Franck, rejoignant Bernstein, autre référence absolue... dans un style diamétralement différent. En l’occurrence, le Canadien relie Franck à Bruckner, ce qui n’est pas un contresens vu les profondes affinités entre les deux compositeurs. D’abord, par la mise en avant de l’écriture organistique que l’on décèle un peu partout dans le discours musical. Ensuite, à l’aide d’une atmosphère religieuse et solennelle. Enfin – justement – au moyen d’un mysticisme fervent et généreux et ce qu’on pourrait appeler la mise en place de perspectives monumentales. Ici le chef déploie une science maitrisée de bâtisseur et construit (Lento initial) une impressionnante cathédrale gothique, une nef titanesque, une grande arche sonore.

Rien de terrestre dans le deuxième mouvement, calme et serein Allegretto, modèle miraculeux de recueillement introspectif, incomparable fragment d’éternité. Écoutez à partir de la deuxième minute : audacieux, le chef opte pour des tempi « lentissimes » presque paradoxaux pour ce tempo : suspendus, en apesanteur. Et d’offrir une lecture éminemment personnelle – soyons iconoclaste – alla Wand ou Celidibache, avec un zeste de Jochum. Précisons que Yannick Nézet-Séguin a gravé une Huitième de Bruckner, ce qui atteste une connivence évidente avec la geste de ce compositeur. Partant, sa démarche est totalement fondée : jeter des passerelles, élaborer des ramifications entre des univers sonores a priori éloignés : c’est Vie et Transfiguration.

Cette lecture analytique, incandescente, sa fougue interprétative ne l’empêchent nullement de dominer son propos. En outre, il récuse tout clinquant spectaculaire dans le final, défaut rédhibitoire qui entache souvent l’œuvre, la faisant basculer dans une envolée emphatique déplacée : exit, la boursouflure inutile. Sens de l’architecture, rutilances des cors à la justesse infaillible, Franck résonne également comme du Magnard ombrageux – encore des correspondances inédites.

"Enivrez-vous", disait Baudelaire. Pour fuir la morosité ambiante, des douleurs passées (pour citer Lahor et Duparc), il faut s’enivrer sans trêve, de vin, de poésie, de vertu, à votre guise ! Enivrez-vous de musique, grâce à ce disque de haute volée. Enivrez-vous sans cesse !

un texte d'Étienne Müller.

▸ L'article original publié sur Anaclase peut être lu ICI.
Florent Schmitt (1870-1958) : La Tragédie de Salomé - César Franck (1822-1890) : Symphonie en Ré mineur - Orchestre Métropolitain, direction : Yannick Nézet Séguin - 1 CD Atma Classique, 2011.
  À consulter avec profit, le site de Yannick Nézet-Séguin.
  Ce disque peut être acheté ICI.
  Crédits iconographiques - Illustration du CD, Atma Classique - Yannick Nézet-Séguin, www.paperblog.fr - Florent Schmitt photographié en 1900 par Eugène Pirou, BNF -
Bernardino Luini (c.1481-1532) : Salomé reçoit la tête de Jean-Baptiste.