samedi 9 juin 2012

❛Opérette❜ Arthur Sullivan & William Gilbert, The Mikado à Saint Quentin en Yvelines • Opera Fuoco, David Stern, Jay Bernfeld : "À nous les petites (opérettes) anglaises" !

Sir Arthur Sullivan (1842-1900)
Atmosphère so british ce 25 mai 2012 au Théâtre de Saint Quentin en Yvelines ! L'initiative est, pour le moins, hardie : l'humour si typiquement anglais des opérettes de Sir Arthur Sullivan (1842-1900, ci-contre) est en effet largement sous-estimé en France... alors que dans tous les pays de culture anglo-saxonne l'on fredonne certains airs du Mikado (ainsi, le trio Three little maids...) ancrés dans la mémoire collective. Voici un autre pan de la richissime musique britannique à l'époque de la révolution industrielle - plus léger que celui de Charles Villiers Stanford ou de ses successeurs (Delius, Vaughan Williams...) - qui mériterait de ce côté-ci de la Manche une reconnaissance bien plus grande. À la compagnie Opera Fuoco de David Stern (grande habituée du lieu) de reprendre le flambeau "sullivanien" au Musée d'Orsay qui, sous l'égide de Michael Rosewell, a proposé  l'an dernier Patience, et rencontré par là une large audience.

Un peu l'Offenbach anglais, l'ami Sullivan - mâtiné d'un Arnold Bax encanaillé et annonçant l'opérette méconnue de Benjamin Britten, Paul Bunyan. La notoriété en ses terres de ce pince-sans-rire est due, quasi exclusivement, à ses nombreuses pochades conçues avec son inséparable librettiste Sir William Schwenck Gilbert (The Gondoliers, The Yeomen of the Guard, HMS Pinafore)... Et pourtant, à l'instar d'Offenbach, il souffrit d'être cantonné dans ce rôle d'amuseur public limité aux plaisanteries musicales. Il fut en effet entre autres l'auteur de Symphonies et d'un Grand Opéra romantique "sérieux", Ivanhoe, d'une inspiration foisonnante. 

Julie Fioretti et les enfants-choristes des écoles de Saint Quentin en Yvelines, © Jean-Julien Kraemer
Neuvième collaboration entre les deux comparses, ce Mikado (1885) est incontestablement le chef d'oeuvre comique du tandem. Il s'agit d'une farce désopilante, à l'humour noir ravageur tissé de nonsense, entièrement développée sur un sujet fort scabreux : la décapitation des coureurs de jupons ! L'action sait être également, tour à tour, lyrique, douce-amère - voire mélancolique... ce par quoi elle n'est pas sans rappeler la pétaradante, multicolore (et à peine antérieure) Étoile de "notre" Emmanuel Chabrier. Avec cette dernière, elle partage le sens de situations cocasses et décalées (1), une écriture chorale très élaborée, pour ne pas dire sophistiquée... Ainsi que des formules mélodiques bondissantes et enlevées - tels la chanson de Ko-Ko On a tree by a river ou le madrigal (sic) "purcellisant" Brightly dawns our wedding day - et des séquences primesautières, notamment un final de l'acte I savoureux, d'un raffinement extrême.

Le chef David Stern, © non fourni
Le défi, un concept que David Stern (ci-contre) semble décidément affectionner, est ici multiple. Raccourcie, transcrite pour petit ensemble, la partition "adaptée librement" perd le protagoniste Pish-Tush, tandis que les dialogues revus par Félix Pruvost sont en langue française. Selon la loi du genre, les chanteurs/acteurs ne se privent pas d'y intégrer des allusions contemporaines, voire franchement politiques, déclenchant connivence et hilarité dans la salle... Au peu de familiarité, donc, du public hexagonal avec ce répertoire, s'ajoute la nécessité de restituer un Japon d'opérette, sans excès de mièvrerie, dans le cadre si vaste de la Scène Nationale. Enfin, présentement, s'avère exigeante la magnifique volonté d'associer et intégrer, aux chanteurs professionnels et à l'Ensemble Vocal de Saint Quentin, des musiciens en culotte courte - puisque rien moins que quatre classes de niveau primaire de la Ville Nouvelle (photos de scène, ci-dessus/ci-dessous) sont en charge, sous l'autorité de Valérie Josse, des sémillantes parties chorales que l'ouvrage dispense à profusion.

Le trio Three little maids : Luanda Siqueira, Aurélia Marchais, Julie Fioretti & les enfants, © J.-J. Kraemer
De jolis costumes et quelques accessoires seyants permettent à Véronique Samakh de signer une mise en scène aimable et de bon goût ; à la recherche cependant, devant des décors congrus (2), d'une existence topographique crédible, sur un plateau dont le gigantisme est décidément piégeux. La remarque peut valoir pour le groupe de... neuf (!) instrumentistes, dont l'opiniâtreté à obtenir un son suffisamment souple et mousseux est, vu leur nombre, en lutte permanente avec la vacuité d'une fosse par contrecoup surdimensionnée, elle aussi. Par chance, au sein de cette transcription habile, le piano, de par sa polyphonie, opère les miracles attendus pour donner, en quelque sorte, le change orchestral.

Jay Bernfeld, © www.fuocoecenere.org
Les plus grandes satisfactions de la soirée, toutefois, sont à rechercher du côté du chant, chœurs et solistes. Parmi ces derniers se font remarquer essentiellement les hommes : non que les femmes déchoient, mais tant Julie Fioretti qu'Aurélia Marchais ou Luanda Siqueira n'offrent, malgré un style gracieux, qu'une projection vocale (et même une existence théâtrale) des plus modestes. En revanche,  chez les messieurs officie un quarteron majeur, conduit par le feu follet élégant, et pour sa part bien projeté, du ténor Sebastian Monti à la belle tessiture (Nanki-Poo, fils du Mikado).

Superbe version (sans les dialogues...) disponible ICI
Tandis que ne lui cèdent en rien ni le serpentin Pooh-Bah ni le tonitruant Mikado (l'Empereur) des deux jeunes basses Virgile Ancely et Douglas Henderson - ce dernier d'un aplomb précisément... impérial à tout juste vingt-deux ans -, c'est surtout Jean-Sébastien Beauvais, nanti des kimonos de Katisha (amoureuse de Nanki-Poo) qui fait chauffer l'applaudimètre. C'est mérité, car ce rôle de composition travesti in a baroque mood - songeons aux nourrices et intrigantes de Monteverdi et Cavalli -, à rebours des habituels altos féminins, est lourd de périls, tant l'outrance peut y desservir la musicalité. Avec ce contre-ténor, drôle mais subtil, il n'en est rien : l'air Alone, and yet alive est ainsi phrasé en sorte de donner au personnage de la duègne ridicule cet instant de fragilité, sans lequel elle ne serait qu'un pantin dépourvu des plus élémentaires attraits.

Délice, naturellement, que de voir officier le polyvalent Jay Bernfeld (ci-dessus) en Ko-Ko ; à la fois condamné et bourreau suite à deux décrets différents, en quelque sorte décapiteur devant être décapité... comme il est des arroseurs arrosés. Avec ce pathétique qui rend le clownesque grandiose, le gambiste américain - à qui Opera Fuoco, comme Fuoco e Cenere d'ailleurs, doivent tant - se sert beaucoup de sa vis comica pour étayer une prestation vocale agréable, mais assez neutre.

Un qualificatif qui ne s'applique pas aux choristes : en particulier les enfants des écoles, dont l'évident travail accompli débouche sur un résultat épatant, de verve, de panache, de justesse de ton. De symbiose aussi, métissage et pédagogie étant ici inséparables. Forcément, aux saluts, la scène en devient moins immense, et davantage chaleureuse.

‣ Pièces à l'écoute simple, en bas de page  Air d'entrée de Nanki-Poo (Anthony Rolfe Johnson) - Chanson de Yum-Yum (Marie McLaughlin) - Entrée du Mikado & Katisha (Donald Adams & Felicity Palmer ‣ Extraits de la merveilleuse lecture de Sir Charles Mackerras (illustration ci-dessus, © Telarc Records 1992).

(1) Supplice du pal pour l'Étoile, supplice de la décapitation pour The Mikado...

2) Noter l'immanence, au centre, de la guillotine : totem francisé figurant la donne scabreuse de l'action, basée comme on vient de l'écrire sur le quiproquo des décapitations.

 Saint Quentin en Yvelines, Théâtre, vendredi 25 mai 2012 -
Sir Arthur Sullivan, The Mikado, ou The Town of Titipu, opérette en deux actes (1885),
sur un livret de Sir William Schwenck Gilbert -
Adaptation libre sur une idée de Jay Bernfeld, conseiller artistique d'Opera Fuoco (livret revu par Félix Pruvost).

 L'Atelier Lyrique d'Opera Fuoco : Sebastian Monti (Nanki-Poo)Virgile Ancely (Pooh-Bah),
Jean-Sébastien Beauvais (Katisha)Douglas Henderson (le Mikado), Jay Bernfeld (Ko-Ko),
Julie Fioretti (Yum-Yum), Luanda Siqueira (Peep-Bo) & Aurélia Marchais (Pitti -Sing).

‣ Ensemble Vocal de Saint Quentin en Yvelines & Chœurs d'enfants des écoles primaires de la Ville Nouvelle (Trappes, Montigny le Bretonneux), direction : Valérie Josse -
Enseignants et classes (Plaisir, Sartrouville) associés à la production -
Mise en scène de Véronique Samakh, assistée d'Anna-Catherine Chagrot -
Direction musicale : David Stern. 



2 commentaires:

  1. Ravie de prolonger la magie de ce spectacle grâce à la chronique si bien documentée de l'ami Jacques.
    Une soirée très émouvante, je trouve, par l'implication des enfants et de leurs familles présentes dans la salle, une belle aventure pour un travail exigeant et de qualité à la conquête d'un nouveau public... mission réussie !

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    1. Merci mille fois ma chère Clairette, qui m'accompagnas et enrichis de ton enthousiasme ce spectacle bien troussé... ♥ :)
      Partager de telles initiatives est très important, car à la réussite pédagogique (tous ces petits gosses multicolores qui apprennent, restituent, nous rendent meilleurs) s'adjoint une belle initiative musicale - même si la scène gigantesque de Saint Quentin a, je trouve, un peu noyé le sushi d'une production "artisanale" (au sens noble du terme) qui n'avait peut-être pas besoin de toute cette voilure...
      On n'est pas assez "décoincé" sur l'opérette en France : nos amis Anglais ont là encore une belle longueur d'avance tant il est vrai que la musique serait bien triste si elle devait ne se limiter, ad perpetuam, qu'aux genres dits "sérieux".
      Des genres qu'on adore, que je révère àl'envi - mais qui parfois, pour paraphraser "Wolfie" dans 'Amadeus', ont un peu tendance à... "chier du marbre" ! :))
      Encore merci à toi, vivement la prochaine !!
      Jacques

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