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mercredi 1 mai 2013

❛Disque❜ "Piazzolla Monteverdi", Leonardo G. Alarcón, Mariana Flores, William Sabatier, Cappella Mediterranea • Intercontinental & intemporel Incontro Improvviso !

Un disque Ambronay Éditions pouvant être acheté ICI
Betweeen two worlds ! Nous savions Leonardo Garcìa Alarcón (photo plus bas) concepteur et finisseur doué, intuitif, défricheur infatigable de partitions oubliées (Falvetti, Zamponi...), voici que nous le découvrons un brin allumé, à l'image de la Balada para un loco (Piazzolla). Allumé, c'est à dire audacieux bâtisseur de passerelles originales ; relier l'atemporel Monteverdi à notre quasi contemporain Piazzolla , abolir les frontières du temps, il fallait y songer... La devise de Leonardo : memento audere semper (1).

Être iconoclaste, c'est un art réservé aux gentilshommes. Un tel parti pris, d'abord dérangeant (et conçu pour cela, sans doute), s'avère en seconde lecture,   cohérent, si peu exotique !  Il s'agit , de fait, de deux figures mythiques, musiciens pionniers, révolutionnaires, dont l'empreinte a marqué durablement, chacun en ce qui le concerne, l'histoire et l'écriture musicale. Le Crémonais (1567-1643) est manifestement à l'origine de l'opéra moderne, avec un style et une science inimitables, visionnaires : le recitar cantando, mélodie continue ou immense récitatif accompagné avant la lettre, le madrigal à l'origine du sprechgesang. À notre sens d'ailleurs, Il ritorno d'Ulisse in patria s'avère tout simplement un condensé homérique ... wagnérien avant l'heure.

William Sabatier, bandonéoniste, © son compte Facebook
Astor Piazzolla (1921-1992) a donné ses lettres de noblesse à un instrument consubstantiel à la bouillonnante culture sud-américaine, le bandonéon, aux inflexions tripales accaparantes, à l'instar du cymbalum hongrois. Référence absolue du tango, l'Argentin sait aussi réinventer complètement "notre" drame lyrique : Maria de Buenos Aires (livret d'Horacio Ferrer, 1968), fable fantasque et expressionniste, est un opéra particulier à l'atmosphère  ensorcelante - disons un Street Scene à la sauce argentine - si peu couru, hélas, sous nos latitudes européennes !

Mariana Flores, © non fourni
Nous lévitons de l'Italie du XVII° siècle à l'Argentine du XX° avec un naturel déconcertante et un bonheur égal : sans que ce supposé grand écart paraisse un seul instant plaqué, artificiel, ni même savant exercice de style du type "pastiche". Les deux esthétiques, hautement complémentaires, se confondent, se juxtaposent, se déhanchent ensemble avec une unité insoupçonnée. La démarche, d'une logique implacable finalement, est un double hommage à deux foisonnants Argentins de notre temps (Alberto Ginastera, 1916-1983 & Osvaldo Golijov, né en 1960) n'envahissant pas davantage les salles de concert du Vieux Monde.

Leonardo G. Alarcón, © non fourni
Un "genre mineur", le tango ? Allons donc ! Bien au contraire, cette noble danse a inspiré de très grands compositeurs, tels Alfred Schnittke (1934-1998) ou Thierry Escaich (né en 1965). Un illustre chef d'orchestre, Michel Plasson, n'a pas cru déchoir en  enregistrant Carlos Gardel (1890-1935). À quoi il convient d'ajouter Tangos Argentinos des légendaires I Salonisti.

Les solistes embarqués dans cette drôle d'équipée sauvage sont littéralement bouleversants. D'abord, Mariana Flores (ci-dessusl'une de nos deux chanteuses de l'année 2012) : aussi lumineuse dans le lamento baroque... (2) que dans l'incantation insinuante, la déploration à fleur de lèvre si propre à l'univers de Piazzolla. Après un Diluvio Universale assez miraculeux (disque de l'année 2011, récemment offert à l'Opéra Comique de Paris), la soprano au timbre capiteux et suave, s''empare avec fraicheur des mélodies enfiévrées aux mélismes bariolés. Elle en dévoile l'incroyable poésie primitive, mélancolique - parfois même désespérée - le tout nimbé d'une profondeur insondable (plages 4, 8, 15 & 16). Sans doute moins ensorcelant de timbre, mais tout aussi enjôleur et entraînant, se révèle le baryton Diego Valentín... Flores.

Buenos Aires de nuit, © non communiqué
Transcendants : virtuosissimes et bouleversants, tels ceux d'un violoniste hors pair sur son Stradivarius, sont les épanchements du bandéoniste William Sabatier (photo tout en haut) - omniprésent, obsédant. Près de lui, et comme lui arrangeur de plusieurs pièces, Quito Gato (photo ci-dessous) - bien connu au sein du continuo relevé de la Cappella Mediterranea - faisant flèche de trois bois (théorbe, guitares baroque... et électrique !) mérite de pareils éloges. Tout aussi investis, d'autres familiers de la formation genevoise : Marie Bournisien (harpe), Gustavo Gargiulo (cornet), François Joubert-Caillet (viole de gambe)... Alarcón, incomparable ordonnateur de ce singulier et rayonnant ballet- road movie musical, n'est pas en reste, lui qui s'emploie à rien moins qu'au clavecin, à l'épinette, à l'orgue et au piano.

Tout ceci, servi par une séduisante prise de son, tient du voyage festif, de l'exploration nostalgique, introspective. Dès lors, en si joyeuse compagnie, nous foulons à la fois les immenses boulevards périphériques de Buenos Aires, la turbulente exubérance de ses quartiers populaires chamarrés, et ses terrains vagues, repaires de possibles Cachafaz. Deux moments en sont hypnotiques. D'abord la Romance del Diablo, interlude lancinant et mystérieux, proche romance sans parole (plage 3, extrait musical n° 1 à l'écoute ci-dessous).

Quito Gato, théorbe, guitare baroque... et guitare électrique, © son compte MySpace
Ensuite, le contigu Chiquilín de Bachín, un lien entre les cultures plus éloquent que les Monteverdi eux-mêmes (dont l'incontournable Pur ti mirò). En effet, tant son début - aux cordes pincées - que surtout sa fin - à l'orgue - citent, en imperceptible clin d'œil, la courbe mélodique du... Che si può fare de Barbara Strozzi, naguère enregistré par Flores et Alarcòn eux-mêmes, en un album admirable, Strozzi virtuosissima compositrice. La cantatrice s'y paie même le luxe fugace d'une déclamation alla Kurt Weill (Je ne t'aime pas) : vertigineux Pont des Arts (plage 4, extrait musical n° 2 à l'écoute ci-dessous) !

Mais soyons franc : il est presque impossible de mettre en avant un extrait particulier plutôt qu'un autre dans cette sidérante cantate-symphonie,  marginale, et osons le mot : underground. Utopia Argentina, c'est son nom, ou plutôt son sous-titre. Une utopie délicieuse (3), alliant rigueur et divertissement, un défi au temps et à l'espace. Passionnant et incontournable.

Un extrait du spectacle Monteverdi-Piazzolla, © Flâneries Musicales de Reims

(1) Littéralement, "souviens toi d'oser toujours". Une règle, si ce n'est une hygiène de vie, plus explicite et plus ambitieuse que "la fortune sourit aux audacieux"...

(2) À propos de baroque - et quitte à attendre un enregistrement aussi transversal pour l'écrire enfin - il ne fait aucun doute que cette artiste aux sobres moirures d'or et d'ébène, toujours perlantes de nostalgique rosée... s'impose peu à peu à nous comme l'héritière naturelle de la si regrettée Montserrat Figueras.

(3) Les grands interprètes du "mouvement historiquement informé" semblent priser ces reconstitutions ou voyages hypothétiques dans le temps et/ou l'espace : relevons Bach, une cantate imaginaire de Nathalie Stutzmann, Un requiem du temps de Bach de Bruno Boterf... Dans le tout dernier CD AgOgique, Violaine Cochard et Stéphanie-Marie Degand font se rencontrer Duphly et Mozart ! Quant à Alarcòn lui-même, le voici multi-récidiviste, si ce n'est relaps, après Une passion allemande et les Vêpres à Saint-Marc de Vivaldi, chroniquées ici-même.


‣ Pièces à l'écoute simple, en bas d'article  ① Astor Piazzolla, Romance del Diablo, 1965  ② Astor Piazzolla, Chiquilín de Bachín, 1968 ‣ ③ Claudio Monteverdi, Lamento della ninfa, 1638 ‣ © Ambronay Éditions 2012.


 Piazzolla - Monteverdi, Una Utopia Argentina.
Un programme "en miroir", conçu par Leonardo Garcìa Alarcòn pour la Cappella Mediterranea.

 La Cappella Mediterranea : Mariana Flores, soprano - Diego Valentín Flores, baryton -
William Sabatier, bandonéon - Quito Gato, théorbe, guitares baroque et électrique -
Girolama Bottiglieri & Juan Roqué Alsina, violons - François Joubert-Caillet, viole de gambe -
Romain Lecuyer, contrebasse - Gustavo Gargiulo, cornet à bouquin & cornet muet - Marie Bournisien, harpe -
Leonardo García Alarcón, clavecin, orgue, épinette, piano & direction.

‣ Un disque Ambronay Éditions pouvant être acheté ICI.

samedi 2 février 2013

❛Livre & Initiative❜ Venetian Centre for Baroque Music, Olivier Lexa • Donner à "la Sérénissime" les moyens d'honorer le défi de sa mémoire. ❛Coup de ❤ 2012

Un livre d'Olivier Lexa pouvant être acheté ICI
Soucieux de pédagogie, Olivier Lexa, directeur du Venetian Centre for Baroque Music (Centre de Musique Baroque de Venise) a souhaité faire partager la passion de sa ville au travers d'un livre (ci-contre) présentant l'histoire du baroque dans la Sérénissime. Une élégante brochure se présentant comme une topographie, atypique mais logique - pour tout dire : une promenade. Sous-titré Itinéraire musical de Monteverdi à Vivaldi, ce recueil de quelque deux cents pages s'articule telle une progression spirituelle. Ainsi nous propose-t-il de guider nos premiers pas vénitiens au long d'un itinéraire profane, avant les mener, par beaucoup de chemins de traverse, sur un itinéraire sacré. Entre les deux, comme un point de passage initiatique, se découvre un patrimoine mixte, mi-profane, mi-sacré, autour des fameux hospices (ospedali) et non moins célèbres écoles (scuole).

Au début de l'ouvrage, le lecteur est invité à découvrir successivement les théâtres d'opéra, les grandes demeures (case) et palais (palazzi) patriciens, les maisons de tailles plus modeste (casiniridotti), les ambassades... et la musique en plein air (musica all'aperto). Il est convié, à sa fin, à s'intéresser aux innombrables basiliques et églises (chiese), aux deux couvents et au ghetto juif (ghetto ebraico). Nous sommes très loin cependant d'un guide touristique, fût-il d'inspiration mélomane et de haute qualité littéraire ou iconographique - les nombreux clichés (en noir et blanc) sont d'Olivier Lexa lui-même. Hautement documenté et précis, ce parcours ne trouve son sens plein qu'adossé à la longue et riche introduction (quinze pages), qui enracine la naissance, au XVII° siècle, d'une musique vénitienne spécifique dans le contexte socio-économique et diplomatique des périodes écoulées.

Olivier Lexa, © non communiqué
L'auteur (ci-contre) s'attelle à montrer comment les rapports tendus, d'ordre religieux et politique, entre la Cité des Doges et la Ville Éternelle, ont pu contribuer à dissocier la pratique musicale de toute liturgie ou pompe ecclésiastique, pour aboutir à cette fameuse naissance de l'opéra. Non le genre en tant que tel - l'Euridice de Iacopo Peri (1600) fut florentin -, mais sa pratique sociale, vouée à devenir un référent culturel, voire identitaire : c'est le sens de l'ouverture (1637) à Venise du premier théâtre public payant, dédié à cet art nouveau et "total". En outre, Lexa prend soin de souligner comment, dans le domaine instrumental aussi, les abords de la Lagune furent fondateurs et précurseurs. C'est tout le prix artistique des deux Gabrieli (Andrea & Giovanni), ou Giovanni Legrenzi, qui, de fait, inventa la sonate en trio avant le Romain Corelli soi-même.

D'autres musiciens, plus ou moins connus du plus grand nombre, ponctuent ce retour sur les hauts lieux - profanes et sacrés - de leurs créations : entre Monteverdi et Vivaldi (l'un et l'autre violoniste) par conséquent, s'égrènent les noms de Cavalli, Albinoni, les frères Marcello, Marini, Galuppi... Des anecdotes, telles que la guerre des loges (guerra dei palchi), montrent à l'envi l'importance, pour les grandes familles de la ville, d'assurer non seulement leur divertissement, leur confort, leur train de vie - mais encore, de lutter sans merci contre l'influence des dynasties rivales. Renchérir sur les cachets extravagants des vedettes (dont les castrats) ne suffit pas, il importe aussi de s'abonner à l'année chez l'adversaire... afin de lui nuire, en laissant ostensiblement des loges vides ! La lecture s'agrémente d'instructifs apartés, comme ceux sur 'La finta pazza', modèle de l'opéra vénitien, ou Giacomo Torelli, inventeur de la scénographie moderne, ou encore Apostolo Zeno, la naissance de l'opera seria.

Giovanni Antonio Canal, dit Canaletto (1697-1768) : Arrivée d'un ambassadeur français à Venise
Dans sa conclusion, le musicologue tente de répondre, avec beaucoup de poésie, à la question "Qu'est-ce que la musique vénitienne ?". Nous y aimons sa formulation de "musique de la lagune, musique de l'eau (...) simple, libre, spontanée, pleine de naturel, qui va droit au cœur". Ajoutons-y sans hésiter ces mots de Richard Wagner (mort le 13 février 1883, au Ca' Vendramin Calergi, aujourd'hui musée à sa mémoire), qu'Olivier Lexa cite lui-même en point d'orgue de son chapitre sur la barcarolle, ou chant des gondoliers : "Peut-être ces impressions, liées à Venise dans mon souvenir, m'ont-elles directement inspiré l'air plaintif du pâtre, au début du troisième acte de Tristan - en projet à ce moment".

 Pour acheter ce livre 
☞ ☞ ☞  ☜ ☜ ☜

Inauguré à l'été 2011, le Centre de Musique Baroque de Venise - dont le directeur artistique est Olivier Lexa (plus haut), un expert du domaine - œuvre, à l'instar d'autres institutions comparables telles son aîné de Versailles, dans des directions pluridisciplinaires. L'objectif présenté est de réhabiliter et faire mieux connaître les musiques de "l'âge d'or" de la Sérénissime, entre Monteverdi et Vivaldi. Parmi ses axes d'effort, un travail de documentation et de diffusion, ainsi que l'organisation d'un foisonnant festival annuel, mettant particulièrement en lumière les jeunes artistes. Concernant la saison 2012, la brochure programmatique est en ligne.

Le terme de "défi", employé dans notre titre - s'il n'a d'autre prétention que d'attirer l'œil sur la pertinence et la richesse de cette entreprise, en tentant (modestement) de la promouvoir - souhaite, également, mettre l'accent sur son courage.  Ce n'est certes pas le zénith budgétaire de nos politiques culturelles européennes qui l'a portée sur les fonts baptismaux...

San Giorgio Maggiore, vue depuis le Lido - © Jacques Duffourg
Ceci est particulièrement vrai pour l'Italie, où la nature atypique du mécénat ainsi que la raréfaction des financements publics rendent très aiguë la nécessité de communiquer, encore et toujours plus, en faveur de telles missions. Serait-on tenté de parler d'apostolat ? Dans ce contexte morose,  le VCBM, à l'énergie, a vu en 2012 son volume d'activité doubler - réussissant la performance de faire entrer le baroque au Teatro La Fenice, sous la forme de six concerts : une authentique première !

Giovanni Antonio Canal, dit Canaletto (1697-1768) : La Pointe de la Douane
Le mélomane amateur de baroque - et même : le mélomane tout court - ne peut par conséquent que se féliciter de ces premiers résultats (centre, programmation... et bien entendu livre) ô combien prometteurs, dus à Olivier Lexa et à toutes les équipes impliquées. Et, bien sûr, les remercier de souhaiter ainsi rendre à la Cité des Doges une part illustre, redevenue vivante et féconde, de son incomparable héritage - sur laquelle, pourtant, il n'est que trop évident qu'elle s'était assoupie.

"Dans la première moitié du XVIIe siècle, Venise ouvre un nouveau chapitre de l’histoire de l’art : non seulement elle invente l’opéra public, mais elle donne également ses lettres de noblesse à la musique instrumentale. Pendant plus de cent-cinquante ans, la Sérénissime métamorphose l’art d’Euterpe. En prenant les noms des deux compositeurs qui ont inauguré et conclu cet âge d’or, la Fondazione Monteverdi Vivaldi propose de raconter une histoire écrite par de nombreux créateurs, émaillée de chefs d’œuvres auxquels Les Quatre Saisons font souvent de l’ombre. Centre de ressources et de diffusion, le Venetian Centre for Baroque Music mène un travail de fond dans les domaines de la recherche et de l’interprétation. Ponctuant les activités éditoriales, un festival international est programmé chaque année parallèlement à une académie de jeunes artistes, afin de redonner vie à des joyaux méconnus qui méritent de faire le tour du monde." (Présentation que fait de lui-même le Venetian Centre for Baroque Music, sur son site)


La Salute - © J. D.
Note importante : une partie de cet article (celle concernant le Centre, à l'exclusion de celle abordant le Livre) a été préalablement mise en ligne le 11 avril 2012. Nous avons fait le choix, en le complétant et en l'actualisant, d'en modifier temporairement - à des fins de visibilité - la date de parution.

‣ Pièces à l'écoute simple, en bas d'article  1. Claudio Monteverdi, Con che soavità (Libro Settimo dei Madrigali), Anne Sofie von Otter et Reinhardt Göbel, extrait du CD Lamenti, © Archiv Produktion, DG.  2. Antonio Vivaldi, Concerto per archi e basso continuo RV 128 (Allegro non molto), Giuliano Carmignola et Sonatori della Gioiosa Marca, extrait du CD Vivaldi-Farina, © Divox Antiqua.



 Le site du Centre de Musique Baroque de Venise.
 Un fort captivant entretien vidéo avec Olivier Lexa.
 Un non moins remarquable entretien écrit avec le même.

jeudi 27 décembre 2012

❛Concerts❜ Première édition de Paris Baroque • XVII° siècle italien & allemand par les ensembles Amarillis & La Fenice : des débuts au sommet pour le nouveau Festival.

Le visuel du Festival Paris Baroque
Après l'acte de décès fort prématuré du Festival de Musique Ancienne du Marais, le paradoxe baroque de Paris s'est trouvé renforcé. En effet, de nombreux interprètes, chanteurs et instrumentistes de haut niveau, résident dans notre capitale - et pourtant, l'offre festivalière, avec ce qu'elle apporte de visibilité, de pédagogie, de rayonnement, en est redevenue absente.

Conséquence logique de ce terne état de fait, l'apparition d'un tout nouveau venu, Paris Baroque, ne peut que réjouir les nombreux amateurs de musique ancienne que compte l'Île de France. Des ambitions conséquentes ont été déployées pour cela, comme en atteste la programmation de la première édition (cliquez sur la légende de l'affiche ci-contre). Quelques noms en vrac : Skip Sempé, la Simphonie du Marais, les Folies Françoises, Pulcinella, Benjamin Alard, les Ombres...  liste loin d'être exhaustive ! Pléthore valant mieux que carence, nous n'avons pu, malheureusement, contenter notre oreille que des aubades respectives de Stéphanie d'Oustrac avec l'Ensemble Amarillis, et Jan van Elsacker avec l'Ensemble La Fenice ; à deux reprises à l'église Saint Louis en l'Île, les 30 novembre et 2 décembre derniers. Chacun de ces concerts correspondait, peu ou prou, à une thématique antérieurement enregistrée par les artistes.

      

"Ferveur et extase", c'est le titre d'un disque confié par D'Oustrac et Amarillis, par conséquent, aux Éditions Ambronay. Un parcours dont l'originalité est d'offrir un parallèle entre des restitutions musicales de sentiments de deux figures archétypiques (L'amour aux deux visages) : ceux de la Vierge Marie pour son Fils crucifié, et ceux de la Reine de Carthage, Didon, envers Énée qui l'abandonna. Des partitions du XVII° siècle italien ont été choisies à cet effet par la co-directrice artistique Héloïse Gaillard. Auprès d'illustres compositeurs tels que Francesco Cavalli, Claudio Monteverdi ou Alessandro Scarlatti, ont ainsi trouvé place Barbara Strozzi (1619-c.1664), Biagio Marini (c.1587-1663), Michelangelo Faggioli (1666-1733), Andrea Falconieri (1585-1656), et Luigi Rossi (c.1597-1663).

V. Cochard, G. Gaubert-Jacques, F. Pacoud, A. Piérot, L. Coutineau, H. Gaillard, F. Baldassaré, M. Pustilnik, © site
En compagnie du mezzo soprano français s'affairent huit artistes : des personnalités fortes, certaines bien connues des amateurs, pour leur participation à diverses phalanges baroques, orchestres ou petits ensembles. Sous l'égide d'Héloïse Gaillard et Violaine Cochard - aussi  éloquentes que virtuoses à la flûte à bec et aux claviers - nous retrouvons ainsi les violonistes Alice Piérot et Gilone Gaubert-Jacques (lire ailleurs sur ce site, pour cette dernière), Fanny Paccoud (alto), Monica Pustilnik (archiluth)... Ludovic Coutineau (lire ailleurs sur ce site) a troqué sa contrebasse pour un caressant violone, tandis qu'au violoncelle Frédéric Baldassaré (lire ailleurs sur ce site) sort le grand jeu, spécialement pour la Didone abbandonata de Faggioli. À relever, parmi des pages instrumentales qui sont bien mieux que simples intermèdes, la célèbre Passacaglia de Falconieri, et le pianto d'Orfeo (de l'opéra éponyme de Rossi). Tous deux sont intelligemment accolés aux plaintes de Didon, en paraphrases, voire litotes d'une extrême sobriété.

© www.stephaniedoustrac.com/photos.html
Au plan vocal, cinq pièces ont permis à Stéphanie d'Oustrac (ci-contre) de s'illustrer : un O Maria (tiré des Sacri Musicali Affetti) de Strozzi, le Pianto della Madona de Monteverdi, qui n'est rien d'autre qu'une version mariale du célèbre Lamento d'Arianna, des extraits de la Didone delirante de Scarlatti, la cantate précitée de Faggioli - enfin, le Lamento final de La Didone, un opéra de Cavalli que les Parisiens ont pu découvrir récemment au Théâtre des Champs-Élysées. Nous avons vu la  carrière de la jeune cantatrice - dont nous apprécions entre autres la versatilité, le timbre, l'élégance et le jeu théâtral - considérablement s'étoffer au cours des dernières années. La soirée confirme que son matériau est devenu de fait plus opulent, très rond et d'un aplomb altier d'un bout à l'autre de la tessiture... sans rien perdre de ses lancinantes moirures, au point de tourner, présentement, à la démonstration.

Si ses Monteverdi, Scarlatti et Cavalli sont superbes par leur tenue dramatique comme par leur variété expressive, ce sont toutefois deux pages (une par partie, auxquelles il convient de rajouter, en bis, un Dido's Lament purcellien de très haute tenue) qui s'avèrent magistrales. Le Strozzi permet à d'Oustrac de toucher d'entrée par une oraison incantatoire à Marie, dont la piété révérencieuse tournant à l'obstination est déroulée avec une palette de coloris digne d'une transe poétique (1). La cantate précitée de Faggioli, quant à elle plus tardive et constituée de deux récitatifs et airs au balancement d'affects bien huilés, lui offre l'occasion, sous les apprêts de Didon, de faire jouer à fond ses dons de tragédienne-née. Notamment au cours d'un finale dramatique, porté par les halètements du cello. Révérence !

      

Deux jours plus tard, se sont produits, dans le même lieu, La Fenice et Jan van Elsacker, proposant un parcours de Psaumes autour de la Nativité - allemands cette fois, et du XVIIe siècle toujours, sous le nom d'In dulci jubilo. Là encore, une parenté (très partielle) avec un recueil Alpha, réunissant l'ensemble de Jean Tubéry et Hans Jörg Mammel à la place d'Elsacker, Psaumes de David en Allemagne du Nord. Et là toujours, une grande variété de compositeurs de notoriété diverse : les renommés Dietrich Buxtehude, Heinrich Ignaz Biber et Heinrich Schütz faisant office de tuteurs, auprès de Johann Sommer (c.1570-1627), Jan Pieterson Sweelinck (1562-1621), Christoph Bernhard (1628-1693), Johann Hermann Schein (1586-1630), Matthias Weckmann (c.1616-1674) - Nicolaus Bruhns (1665-1697) ferme la marche. Une promenade en forme de florilège autour de quelques bourgeons du stylus fantasticus, déclinaison germanique du  stil nuovo transalpin (2).

© http://animaeterna.be/geen-categorie/janvanelsacker/
Le ténor belge (ci-contre), nanti d'un curriculum vitae plutôt huppé (Collegium Vocale, Chapelle Royale, Anima Eterna, La Petite Bande, Radio Flamande, Huelgas Ensemble, Akadêmia... et tant d'autres) fait valoir d'emblée un matériau ductile et agile, joliment projeté, en sus d'un timbre agréable. Un rien de rigidité "luthérienne" (O höchster Gott, de Sommer) pour débuter - puis notre artiste prodigue ses offrandes à l'envi, tant dans l'ornement (Bernhard, Aus der Tiefe), les affects et formes mobiles de Schütz (Meine Seele erhebt den Herren, extrait des Sinfoniae sacrae), que la haute virtuosité d'un Buxtehude, dans le psaume Singet dem Herren. C'est toutefois la dernière pièce, un solaire Jauchzet dem Herren de Bruhns, d'une invention et d'une plasticité incomparables, qui le met le plus en valeur ses qualités de ligne et de vocalisation. Pour ne rien dire de l'acuité illuminée, regard pénétrant à l'appui, avec laquelle il s'approprie les textes sacrés de l'Avent. Autant dire un Évangéliste... ce qui tombe bien compte tenu de ses emplois, l'Histoire de la Nativité de Schütz - par exemple.

Les interventions des musiciens de La Fenice (outre Jean Tubéry : Stéphanie Pfister, Mathurin Matharel, Thomas Dunford, Krzysztof Lewandowski, Philippe Grisvard) sont conformes à la flatteuse réputation qu'on leur connaît ; tant en appui du chanteur, que sans lui. Leur leçon instrumentale la plus impressionnante nous est fournie par un Sweelinck de toute beauté, le Da Pacem Domine, conclu par un Ricercar à quatre voix véritablement hypnotique. Pertinente préparation au Biber intemporel des vertigineuses Sonates du Rosaire (Rosenkrantzsonaten), dont Pfister propose une Annonciation lumineuse, à défaut d'extatique. À noter également, le prophétique Preambulum de Weckmann, toccata livrée par Grisvard à l'orgue de tribune en début de seconde partie.

© http://www.ensemblelafenice.com/les-favoriti-de-la-fenice_fr_03_22.html
D'un tel équilibre entre maîtrise technique et hauteur spirituelle ne peuvent naître que des bis forts. C'est le cas, et de manière très opposée, entre l'enivrante chaconne Quemadmodum desiderat cervus de Buxtehude, jouée et chantée avec beaucoup d'esprit - et, en tribune de l'orgue Aubertin, le choral Gloria sei dir gesungen tiré de la Cantate BWV 140 de Johann Sebastian Bach, livré comme à nu. Piété et concision : seconde révérence. Vivement l'année prochaine !



(1) À noter, une anecdotique mais très obsédante parenté (pas seulement verbale...) entre la chute de cette prière, et celle du lied Die junge Nonne de Franz Schubert !

(2) (...) le stylus fantasticus, issu du stil nuovo ou moderno italien et adapté aux pays germaniques. Exporté vers l'Autriche puis l'Allemagne, il devint une référence pour Schmelzer et Biber et arrive à pleine maturité dans la musique d'orgue de Buxtehude, et chez les allemands du Nord jusqu'à Bach sous le nom de "stylus fantasticus". "Le style fantastique est particulièrement instrumental. C'est la forme de composition la plus libre et la moins contrainte, qui n'est liée à aucun texte, à aucun sujet mélodique. Il a été institué pour faire preuve de génie et enseigner les formes harmoniques cachées, ainsi que d'ingénieuses compositions de phrases et de fugues". (Athanasius Kircher, Musurgia universalis, sive ars magna consoni et dissoni, 1650). Ce vocable employé historiquement dans sa forme latine stylus fantasticus, désigne en musique un style libre plus particulièrement instrumental et italien (Merulo, Frescobaldi), de la première moitié du XVII° siècle. Si le stylus fantasticus recouvre une manière particulière de composer, pleine de fantaisie par opposition à la sobriété de l'écriture plus ancienne du stil antico, il impliquait nécessairement une attitude différente de la part de l'interprète. (...)  © William Dongois lire plus sur le site du Concert Brisé.




 Paris, Église Saint Louis en l'Île, 30 novembre & 2 décembre 2012. Festival Paris Baroque 2012.
Une programmation initiée par Julien Le Mauff et son équipe.

‣ Ferveur et extase, L'Amour aux deux visages - Stéphanie d'Oustrac, mezzo soprano.
Ensemble Amarillis : Alice Piérot, Gilone Gaubert-Jacques, Fanny Pacoud,
Frédéric Baldassaré, Ludovic Coutineau, Monica Pustilnik.

‣ Cavalli, Strozzi, Marini, Monteverdi, A. Scarlatti, Faggioli, Falconieri, Rossi - bis : Pergolesi, Purcell.
Héloïse Gaillard & Violaine Cochard, flûte à bec, clavecin, orgue & direction.

‣ In dulci jubilo. Psaumes & Nativité dans le baroque allemand - Jan van Elsacker, ténor.
Ensemble La Fenice : Stéphanie Pfister, Mathurin Matharel,
Thomas Dunford, Krzysztof Lewandowski, Philippe Grisvard.

‣ Sommer, Sweelinck, Bernhard, Biber, Schein, Schütz, Weckmann, Buxtehude, Bruhns  - bis : J.S. Bach.
Jean Tubéry, cornets, flûtes & direction.

lundi 2 mai 2011

❛Concert❜ Anne Sofie von Otter & Leonardo García Alarcón, Cappella Mediterranea • "I have a Baroque Dream !"

Il est, à l'issue de concerts de très haute tenue, des bis qui sont professions de foi. Entendre Anne Sofie von Otter proposer, de son français impeccable, de « revenir à ses racines » en s'intégrant au Chœur de la Cappella Mediterranea pour le serpentin Wretched Lovers d'Acis and Galatea est, à cet égard, exemplaire. Si les années d'apprentissage du mezzo suédois se firent en effet à la double enseigne du chant choral et baroque, c'est en réalité tout au long de sa splendide carrière que l'artiste a mis en valeur des projets d'équipe, sur scène comme au disque. Qui ne se souvient du Rendez-vous with Korngold, du Gala Offenbach ou de La Bonne Chanson ?

Faire équipe, donc, et défendre avec celle-ci un projet, ce n'est pas seulement s'insérer dans un groupe ou faire se succéder des solistes invités, si admirable que cela soit. C'est aussi donner du sens, en échafaudant un programme qui ouvre des perspectives, en recherchant assonances et accointances originales. C’est créer un jeu de miroir entre des époques, des écoles et des styles qui se complètent et se répondent, enfin tisser une complicité forte avec l'ensemble associé - autant une intelligence textuelle qu'une harmonie de couleurs. Une ambition qui s'est nouée voici peu avec Leonardo García Alarcón, au détour de préparatifs d'Ombre de mon amant.

Ce Baroque Dream inauguré à Ambronay reprend d'ailleurs la partie Charpentier (Médée) du récital français offert il y a peu avec Les Arts Florissants. À quoi se joignent Monteverdi et Strozzi, Purcell et, en conclusion, Händel. Les affinités de Von Otter avec le premier sont anciennes et notoires, particulièrement illustrées par L'incoronazione di Poppea dont elle fut une Ottavia remarquée et, surtout, un Nerone mémorable à Aix-en-Provence. Non encore proposée au théâtre, la Penelope du Ritorno d'Ulisse in Patria (Di misera regina) en impose d'emblée par un talent de diseuse absolument intact : chaque mot-clé y est mis en valeur de manière suggestive, dans un respect absolu d'une ligne musicale parfois ténue, où seules peuvent se regretter quelques superfétatoires mimiques et contorsions.

Plus libre, plus détendue – et même habitée d'un soupçon d'ironie – apparaît la locutrice du Che si può fare de Barbara Strozzi (portrait ci-dessus), dédramatisé mais obsédant, dans un balancement hypnotique à quoi les choristes ajoutent d'impeccables saillies. Ingrédients qui font encore le charme du monteverdien Si dolce è il tormento, précédé d'une introduction de viole de gambe à faire chavirer les sens... Une structure composite (et presque continue) que ce volet italien, lequel nous vaut au surplus une absolue démonstration de la Cappella Mediterranea dans le si complexe madrigal Hor che'l ciel e la terra, livré avec autant de netteté d'articulation que de beauté sonore, d'une intensité théâtrale sidérante.

La séquence Purcell, constituée pour l'essentiel d'une belle entrée chorale et du monologue onirique From the silent shades de The Fairy Queen – avec García Alarcón lui-même au clavecin –, en paraît par contraste d'autant plus rêveuse et poétique. La musique même des mots, nourrie de l'anglais subtil à souhait de Von Otter, y fait aisément pièce à un aigu désormais moins sûr, et en partie détimbré. C'est cependant la Médée de Charpentier qui, rapprochée des sessions Christie de 2009, recèle aujourd'hui le plus de périls : notamment au cours de la séquence (il est vrai abrupte) C'en est fait ! On m'y force où l'élocution légendaire se lézarde dans un tumulte assez confus. En revanche, le talent de la tragédienne compense aisément, tant les invocations Quel prix de mon amour et Noires filles du Styx, magnifiquement phrasées et très efficacement incantatoires, semblent personnifier la magicienne de Colchide. Passage à l'acte mis à part, voici une parenté insolite avec la Pénélope liminaire ! Les choristes sont toujours à leur avantage, dans des interventions très idiomatiques (L'enfer obéit à ta voix) que nous aurions volontiers goûtées plus démoniaques.

Ils demeurent à ce haut niveau – et toute la Cappella avec eux – dans un chapitre Händel principalement dévolu aux oratorios anglais. Ces derniers sont entre autres réputés pour leur « masse chorale » : de fait, ils ont parfois donné lieu à des mégalomanies surprenantes. Autant dire qu'avec huit protagonistes en tout, il y a pour Judas Maccabaeus et Athalia du dégraissage dans l'air. Le résultat convainc au delà des espérances par la clarté des différentes voix, ressortant avec une netteté de contour toute baroque (Leonardo García Alarcón est également à Namur chef de chœur, ne l'oublions pas). Plus encore, fascine le traitement en madrigal, superbe d'éloquence, convoquant à nouveau le Monteverdi initial dans un captivant écho.

Reste à la Suédoise le bercement un peu inhibé de Where'er you walk (Semele) et – retour à l'italianité – l'aria di paragone d'Agrippina, Ogni vento, livrée avec ce qu'il faut de rythmique chaloupée et de déhanchements mutins pour achever de conquérir la salle, par les voies de l'humour, du demi-caractère... et de quatre bis. Un Baroque Dream intensément applaudi, fédérant trois Nations au cours d'un siècle et demi de passions et d'ambiguïtés.S'il rappelle aisément par son répertoire la réussite de Lamenti ou Music for a while, nous disposons de prémices autrement plus patinées. Par exemple, un vénérable disque du Drottningholm Ensemble, à la prophétique gémellité de programme (Carissimi, Purcell, Scheidt, Monteverdi, Rameau) : au sein de l'Ängby Chamber Choir chantait déjà une Anne Sofie Von Otter âgée de... vingt-et-un ans. Prédestination à une martingale baroque.



L'article original publié sur Anaclase peut être lu ICI.

 A Baroque Dream, un programme de Leonardo Garcia Alarcon & la Cappella Mediterranea
avec Anne  Sofie Von Otter - Monteverdi, Strozzi, Purcell, Charpentier & Haendel -
Paris, Théâtre des Champs-Élysées, 27 avril 2011.

 À consulter avec profit, le site de la Cappella Mediterranea.

 Crédits iconographiques - Anne Sofie Von Otter &
Leonardo Garcia Alarcon : Bertrand Pechène (Académie dAmbronay).