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vendredi 1 novembre 2013

❛Disque & Concert❜ Henri TOMASI (1901-1971) en majesté auprès du label Indésens • Éric AUBIER, Fabrice MILLISCHER, "Rentrée solaire"... ou "Sound the trumpet" !

Un disque Indésens pouvant être acheté ICI
Constater que les œuvres d'Henri TOMASI (1901-1971) ne sont pas légion dans les  programmes de concerts... relève de l'évidence. Je me rappelle la courageuse initiative d'une dynamique directrice de théâtre marseillaise, Renée AUPHAN, ville natale du musicien !

Au cours  d'une surprenante saison lyrique (en 2001), consacrée à l'Orient et ses mille et un sortilèges, elle avait osé un pari risqué : redonner sa chance à L'Atlandide, un des opéras de TOMASI... jamais représenté ailleurs. Quel théâtre, maintenant, remettra à l'honneur  Don Juan de Manara ?

Sa vie durant, ce compositeur s'est évertué à forger un langage singulier. Sobre car émaillé d'un lyrisme discret, subtil,  puissant, il demeure magnétique, bien que traversé de soubresauts insolites et de contrastes inattendus.

Je cite pour mémoire le formidable enregistrement Naxos - datant maintenant d'une quinzaine d'années - des Fanfares liturgiques si proches d'Olivier MESSIÆN, et le miraculeux Requiem pour la paix, pouvant rivaliser sans coup férir avec le War Requiem de Benjamin BRITTEN, en matière de fulgurante dramaturgie.

Difficile, dès lors, de comprendre l'ostracisme dans lequel semble être tombé TOMASI ? Il n'a pourtant rien d'un dangereux novateur, d'un iconoclaste dynamitant la tonalité... ou d'un "contrapuntique" austère ! Et à l'inverse, il est l'exact contraire d'un simple faiseur estimable.

Henri TOMASI (1901-1971)
Qui est-il ? Un artisan atypique, de tempérament fascinant et de talent sans égal, avec un quelque chose de  rebelle à la Jean GIONO, autre illustre Provençal. Son originalité est  aussi forte que celles d'un Darius MILHAUD ou d'un Jean FRANÇAIX ; voire, dans un style bien différent, un Max D'OLLONE !

C'est ce que démontrent les pages présentées dans ce CD Indésens, en avant-premières mondiales. Et, plutôt que d'écrire un n-ième Concerto pour piano, ou pour violon, il choisit de célébrer deux cuivres, la trompette et le trombone : visiblement, ses instruments de prédilection.

Éric AUBIER, trompettiste - © www.lieksabrass.com
La trompette... Fluide et aérienne, est poussée par Henri TOMASI dans ses ultimes retranchements ; sous sa plume, ses multiples (et inattendues) capacités expressives - à la fois élégiaque, fantasque, hypnotique - sont ahurissantes. De la haute voltige. Confronté à de telles acrobaties, Éric AUBIER (ci-dessus), extrêmement brillant, déroule une virtuosité décoiffante dans un jeu subtil, tout de précision diabolique et de poésie troublante. Résultat miraculeux d'émotion, l'auditeur en sort K.O. pour le compte !

Autre modèle de raffinement et d'élégance : le Concerto pour trombone, une des ses partitions les plus abouties, où c'est au tour de Fabrice MILLISCHER (ci-dessous) de faire merveille. TOMASI se métamorphose ici en ciseleur de diamant : alliage unique de timbres, imbrication de thèmes sidérante de doigté, et rutilance de l'orchestration, lumineuse, transparente, tour à tour cuivrée et suave. À l'arrivée,  une architecture musicale hors norme pour un chaos abrupt au sein duquel se love un incandescent brasier sonore.

Fabrice MILLISCHER, tromboniste - © Jean-Claude GORIZIAN
Incontestablement, la partition la plus  forte demeure Noces de cendres, une splendide ode onirique aux accents dignes d'un Silvestre REVUELTAS, d'un Igor STRAVINSKY, d'un Maurice RAVEL... et de la musique de jazz ! Ici prévaut un ballet étourdissant d'harmonies très richement colorées, et fortement scandées - entre le poème symphonique, le conte fantastique, la fantaisie, et même la ballade.

L'extraordinaire - et si poignant - Andante "La jeune fille et la mort" s'avère une séquence d'une beauté suffocante, en apesanteur, au pouvoir littéralement incantatoire.

Riant, rayonnant, audacieux, ce disque mérite d'être encensé sans réserve, tant il donne Foi en la Musique... au sens ou l'entend le personnage du Compositeur (Komponist) dans l'Ariadne auf Naxos de Richard STRAUSS.

 Henri TOMASI (1901-1971) : Concertos pour trompette et pour trombone -
Noces de cendres - Suite pour trois trompettes.

‣ Éric AUBIER, trompette - Fabrice MILLISCHER, trombone.
Orchestre d'Harmonie de la Garde Républicaine - dir. : François BOULANGER - Sébastien BILLARD.

 Concert (même programme, moins la Suite) à la Cathédrale Saint Louis des Invalides, PARIS, le 7 II 2013.

 Un disque Indésens pouvant être acheté ICI.

lundi 30 septembre 2013

❛Disque❜ "Outre-Mers", Label Paraty, Bruno PROCOPIO, Charles BARBIER • Marcos PORTUGAL et sa Missa Grande : Riders to the Sea !

 Retrouvez ICI la critique de Jacques DUFFOURG relative à cette Missa Grande jouée en concert à PARIS (2011) ...

Un disque Paraty pouvant être acheté ICI
Étrange sensation, que cette expédition musicale  au centre d'un rococo mystique ! De cette Missa Grande, le chœur liminaire n'offre-t-il pas une anticipation (pour le moins inattendue) de ce que seront les captivantes enluminures chorales de Merlin - un opéra d'Isaac ALBÉNIZ -, mâtinées d'un soupçon de la Liturgie de Saint Jean Chrysostome de Sergeï RACHMANINOV ?

Le Brésilien Marcos PORTUGAL (1762-1830, portrait plus bas), qui détient la clef de ces contrées exotiques est un quasi inconnu en France : la consécration des musiciens d'expression lusitanienne tardant largement à y venir (connaît-on seulement, pour ne pas dire joue-t-on, Luís DE FREITAS BRANCOS ?).

Science des contrastes, effets de miroir, tourbillonnants changements rythmiques : quelle surprenante musique des sphères ! Un exemple : au  Chant d'entrée répondent en écho le Graduel, l'Alleluia et l'Offertoire. Ces trois derniers déroulent un somptueux plain-chant, une déconcertante mélopée, atemporelle, digne du Recordare de Kurt WEILL ou - j'irai encore plus loin - des Lamentations de Saint Jérémie d'Eřnst KRENEK...

Partition encore trop méconnue, éminemment lyrique, quoique parfois austère, elle jette un pont entre l'art grégorien et la polyphonie franco-flamande (se souvenir du magnifique recueil Roland DE LASSUS dû au même ENSEMBLE L'ÉCHELLE), tout en se livrant aux délices vocales du rococo. L'ensemble plonge dans une étrange lumière, quasi atonale. Visionnaire, génie protéiforme, Marcos PORTUGAL bouscule, bien avant KRENEK précité, nos repères, boussoles ou autres concepts ! D'une certaine manière, il annonce - avec quelque avance - l'ascèse brucknérienne ou... l'esthétique spectrale.

Bruno PROCOPIO dans la salle de l'Opéra de RIO DE JANEIRO - © Classique News
A contrario, le bondissant et extraverti Kyrie, primesautier, fantasque, fuse ; tel du ROSSINI déjanté.

Nous tenons là une œuvre paradoxale, atypique, d'une puissance inédite. Au gré de cette navigation musicale, le dépouillement y cède la place à un bel canto du genre le plus débridé, omniprésent, d'une rare inventivité. Ainsi se succèdent de spectaculaires feux d'artifice de vocalises extravagantes, des cascades de fioritures facétieuses, des enchevêtrements d'ornementations... fort éprouvantes pour les chanteurs.

Marcos PORTUGAL (1762-1830)
Caroline MARÇOT - © N.P.
Abondance d'harmonies envoûtantes ne nuit pas. Nous nous situons au-delà des frontières "classiques" de la musique religieuse ; c'est une immersion dans un drame sacré hors normes, une messe audacieuse, se permettant les plus folles embardées - bref, une fantaisie jubilatoire (le démonstratif Et ressurexit !) avec détour inattendu par la cantate avec orgue. Je salue hautement, sur cet instrument la prestation superlative d'Olivier HOUETTE.

De ce disque, chaque instant, chaque séquence est un pur enchantement, un miracle de subtilité. Le mérite en revient aux passionnés artisans d'un concert fort et prenant : le CHŒUR L'ÉCHELLE, sous la direction de Charles BARBIER pour le plain-chant et Quetzal, et de Bruno PROCOPIO (ci-dessus) chef invité pour la Missa Grande. Leurs atouts ? Sens de l'unité, de la cohésion, enthousiasme - exaltation même, tout cela se déployant avec une verve éblouissante.

La Cathédrale de CUENCA (Espagne), lieu de l'enregistrement - © www.spain.info/fr
Le prix de ce joyau musical est élevé, à double titre :  partition négligée, exhumée même, elle est un témoignage "outre-mers" d'un âge charnière, entre XVIII° et XIX° siècles. Elle n'en ouvre pas moins des perpectives audacieuses, voire inattendues, comme je l'ai indiqué. La Missa Grande de PORTUGAL "rejoint" ainsi la Passion Grecque de Bohuslav MARTINŮ, ou l'Apocalypse selon saint Jean de Jean FRANÇAIX.

Quant au sublime chant de sortie, Quetzal (2002) de Caroline MARÇOT (ci-dessus), il se nourrit des clameurs de PENDERECKI, voire de WAINBERG ! Marginal, insolite, il est une captivante Leçon de Lumières, magnifié par un chœur en apesanteur. Un périple inoubliable.

 Pièces à l'écoute simple (lecteur DivShare, tout en bas de l'article)  ① Chant d'entrée, Loquebar de testimonis tuis (plain-chant) ‣  Et resurrexit   Chant de sortie, Quetzal (2002) de Caroline MARÇOT ‣ © Label Paraty 2013.


 Marcos PORTUGAL (1762-1830) : Missa Grande - Caroline MARÇOT (née en 1974) : Quetzal.

‣ Luanda SIQUEIRA, Charles BARBIER, Karine AUDEBERT,
Hervé LAMY, Sorin Adrian DUMITRASCU, Frédéric BOURREAU.
Orgue historique de la Cathédrale de CUENCA (Espagne) : Olivier HOUETTE.

‣ CHŒUR L'ÉCHELLE - dir. (plain-chant) : Charles BARBIER - dir. (ensemble) : Bruno PROCOPIO.

 Un disque Paraty pouvant être acheté ICI.

vendredi 5 juillet 2013

❛Disque & Livre❜ Palazzetto Bru Zane, Ediciones Singulares, Cantates du Prix de Rome • Max sorti des sables de l'oubli, ou : "Qui connaît monsieur D'Ollone ?"

Un livre-CD Ediciones Singulares vendu ICI
À propos du mythique Fleuve de Jean Renoir, l'illustre cinéaste Martin Scorsese déclarait : "ce film est l'un des plus beaux qui soit, il s'est imprégné en moi et ne m'a jamais quitté depuis". Quel  coffret étonnant que cette livraison confiée par le Palazzetto Bru Zane aux Ediciones Singulares : ce "Very good trip" procurera à l'auditeur des sensations incomparable, en le perdant délicieusement dans un labyrinthe harmonique. Proche du paradis ! Ainsi que le rappellent en notice les toujours remarquables articles d'Alexandre Dratwicki, ou Patrice d'Ollone (petit-fils du compositeur), l'institution vénitienne est infatigable dès qu'il s'agit de défendre l'honneur d'un patrimoine enfoui.  Quitte à s'attacher cette fois à un quasi inconnu.  

Maximilien, Paul, Marie, Félix - dit Max - d'Ollone (Besançon 1875 - Paris 1959), élève de Jules Massenet (1) : musicien original, sensible, écorché vif - complètement occulté. D'ailleurs on n'en entend jamais la moindre note au concert ! Pourquoi un tel mépris ? Pareil oubli est injustifiable ? Il est surprenant,  voire choquant qu'un vaste corpus, puissant, somptueux, d'une telle dimension soit purement et simplement passé à la trappe. Un mystère,  Max d'Ollone? Quasiment ! Pourtant, ce livre-disque généreusement garni de Cantates, chœurs et musique symphonique prouve à l'envi combien ce dernier joue dans la cour des grands, se hissant indiscutablement à la hauteur des Henri Rabaud, Charles Kœchlin, Albert Roussel ou autres Paul Dukas... dopés aux amphétamines. 

Les atouts du Bisontin sont multiples, et sa musique parle d'elle même. Un rival dangereux pour ses pairs, peut-être ?  Encore une fois, les obscures raisons de sa disparition déconcertent. Atypique, inclassable, de style hautement personnel, clairement incompris, le jeune impétrant faillit presque céder aux découragement. Heureusement, Massenet, prodiguant ses précieux et paternels conseils,  fut là pour le "booster", le défendre contre contre les autres et le protéger de lui-même, le remotivant   au besoin, ayant décelé chez lui une nature d"élite. De fait, face aux gardiens du temple et autres brideurs de talent. il galéra longtemps pour obtenir une relative (et fugace) reconnaissance.

Frédéric Antoun - © non communiqué
À quel dithyrambe recourir pour tenter de caractériser cette écriture ? Inspiration continuelle, imagination débridée, orchestration déroutante (agrémentée parfois de subtiles et discrètes  dissonances), tout cela est vrai, mais demeure assez générique. Le fin bretteur chérit les discours musicaux enflammés, aux envolées visionnaires préfigurant Raphael Fumet... voire les fulgurances voluptueuses d' un Olivier Greif ! Coloriste onirique voire psychédélique, D'Ollone peut se targuer de dérouler une science instrumentale  renversante   - traitement des cordes  et de la harpe -, une sensualité languide, une délicatesse post-impressionniste en tous points digne de Frederick Delius, nimbée d'une mélancolie allant crescendo au fil de ces riches enluminures .

Le jeune Max d'Ollone (1875-1959)
Le Franc-Comtois excelle à déployer une luxuriance de forêt tropicale, forcément spectaculaire mais jamais étouffante, que domine une écriture chorale lumineuse, crépitante, et pourquoi pas picaresque. Écouter à cet égard son galop d'essai pour l'obtention du Prix de Rome, Sous-bois ; ou Les Villes maudites, deux suprêmes fééries sonores. D'un certain point de vue, il serait  comme un Franz Schreker français, par là proche de la singulière polychromie d'un Antoine Mariotte (spécialement dans la cantate Mélusine). 

Ce volume, synonyme d'évasion et de fantaisie, embrasse - et embrase - tout. Probablement est-il le plus réussi des quatre dédiés aux Cantates du Prix de Rome (en soi, le Gustave Charpentier plaçait déjà la barre très haut). C'est une réhabilitation majeure d'un artiste complet, dépassant les maîtres qui l'ont précédé, voire influencé, tel Saint-Saëns. Rien de formaté ou d'académique chez D'Ollone : orfèvre, tisserand,  peintre ou aquarelliste accompli,  il est est libre, Max ! Il n'hésite pas à dynamiter, et avec quel brio, les codes scolaires de l'exercice cantate.  Exemple, l'impériale Frédégonde (1897, premier prix), une page ramassée, à l'érotisme sous-jacent. D'une densité exceptionnelle, sa musique atteste d'une grande maturité et régale d'une myriade de miroitements ou de couleurs, gorgés de lumière wagnérienne. Mais pas seulement : son esthétique lorgne du coté tutélaire de Massenet et annonce... Bernard Hermann (les accords initiaux) ! S'ensuivent des chefs d'œuvres, à commencer par Clarisse Harlowe (1895, d'après Samuel Richardson), monodrame aux thèmes obsédants  qui aurait du recevoir le premier prix d'emblée, au lieu du second.

Chantal Santon-Jeffery - © Opera Fuoco
La pépite de cet enregistrement, ce sont les énigmatiques Villes maudites déjà citée (l'un des envois de Rome), troublant opus aux proportions quasi symphoniques. La partition distille une atmosphère enchanteresse, saupoudrée d'hypnotiques et torrentueuses volutes ; nourrie de merveilleux et de fantastique, elle fait se succéder une rafale de trouvailles harmoniques et rythmiques. Beauté irradiante, apparente simplicité, magnificence !

Rigoureuse exubérance fondue dans un sens mélodique imparable, telle est "la marque de fabrique" de Max d'Ollone. Retournons pour l'illustrer à Frédégonde, mini-fresque opératique, tragédie héroïque et désespérée. Atteignant des sommets paroxystiques, ce  parangon de déferlante, au lyrisme effusif,  mène sa brûlante intensité crescendo ; le tout est mené à fond de train par un Hervé Niquet survolté (notre chef de l'année 2011portrait plus bas), à la tête d'une phalange (Brussels Philharmonic) elle-même chauffée à blanc. Son magistère - il n'y a pas d'autre mot - s'avère trépidant, d'une précision et d'une fluidité confondante.  Implacable, il sait être à la fois élégant et "sabre au clair", d'une grâce omniprésente... et omnisciente.

Marie Kalinine - © d'après son site
Quels artistes à ses côtés ! Enthousiastes et bondissants, flamboyants et virtuoses. Julien Dran, en premier lieu, jeune ténor à la fois fougueux et d'une tendre fragilité, capable des nuances les plus fines, comme des aigus les plus dardés. Une excellence partagée par un autre ténor lyrique-léger "à la française", Frédéric Antoun (portrait plus haut). Ensuite, officie un trio de dames superlatif. Jennifer Borghi,  mezzo soprano qui a gagné en maturité, est incandescente  ; à l'instar de Chantal Santon (ci-dessus), modèle de tenue, soprano à la plénitude vocale désormais épanouie, affrontant crânement une tessiture épouvantable. Enfin, brille ici une révélation, sous les traits de Marie Kalinine, autre mezzo (ci-contre) : voix chaude, opulente mais souple, dotée d'un timbre aurifère irrésistible. D'autres habitués des productions maison, à des titres divers, tirent plus que correctement leur épingle du jeu : Mathias Vidal, Andrew Foster-Williams et Virginie Pochon, particulièrement.

Puisse notre Palazzetto Bru Zane prolonger l'ivresse, en enregistrant les opéras de D'Ollone, Arlequin, très admiré d'André Messager (l'Opéra Comique serait l'écrin idéal), la Samaritaine... voire son ballet le Temple abandonné, créé à Monte Carlo. Entre fantasmagorie et nomadisme musical hors normes, dans la droite lignée de Florent Schmitt, venez boire à cette oasis sonore, grisante, jubilatoire ! Et laissez le mot de la fin à Reynaldo Hahn"Max d'Ollone a presque sans cesse laissé librement chanter son coeur". Toute l'âme de ce choc discographique (et livresque) est là.


 Pièces à l'écoute simple en bas d'article (MISES EN LIGNE ULTÉRIEUREMENT)  ① Frédégonde, fin de la scène Frédégonde-Chilpéric ‣  Mélusine, finale Mélusine-Raymondin-Spectre   Clarisse Harlow, fin de la scène Clarisse-Lovelace  Les Villes Maudites, seconde partie ‣ © Ediciones Singulares 2013.

Hervé Niquet - © non communiqué
(1) Grâces soient rendues aux signataires et éditeurs d'avoir joint à leur riche travail le texte de nombreuses lettres envoyées par Jules Massenet à Max d'Ollone, ainsi que le fac-similé d'une carte-portrait du premier, dédicacée au second.

 Découvrir des vidéos relatives aux Cantates de Max d'Ollone sur Classique News




 Max d'Ollone (1875-1959) : Cantates, chœurs et musique symphonique :
Frédégonde  - Sous-bois - L'Été - Mélusine - Pendant la tempête -
Clarisse Harlowe - Les Villes maudites - Hymne - Sposalizio.

‣ Chantal Santon, Virginie Pochon, Gabrielle Philiponet, Jennifer Borghi, Marie Kalinine, Noëlle Schepens, Frédéric Antoun, Julien Dran, Mathias Vidal, Andrew Foster-Williams, Jean Teitgen, Joris Derder.

‣ Flemish Radio Choir & Brussels Philharmonic, direction : Hervé Niquet.

 Un livre-CD Ediciones Singulares pouvant être acheté ICI

mercredi 1 mai 2013

❛Disque❜ "Piazzolla Monteverdi", Leonardo G. Alarcón, Mariana Flores, William Sabatier, Cappella Mediterranea • Intercontinental & intemporel Incontro Improvviso !

Un disque Ambronay Éditions pouvant être acheté ICI
Betweeen two worlds ! Nous savions Leonardo Garcìa Alarcón (photo plus bas) concepteur et finisseur doué, intuitif, défricheur infatigable de partitions oubliées (Falvetti, Zamponi...), voici que nous le découvrons un brin allumé, à l'image de la Balada para un loco (Piazzolla). Allumé, c'est à dire audacieux bâtisseur de passerelles originales ; relier l'atemporel Monteverdi à notre quasi contemporain Piazzolla , abolir les frontières du temps, il fallait y songer... La devise de Leonardo : memento audere semper (1).

Être iconoclaste, c'est un art réservé aux gentilshommes. Un tel parti pris, d'abord dérangeant (et conçu pour cela, sans doute), s'avère en seconde lecture,   cohérent, si peu exotique !  Il s'agit , de fait, de deux figures mythiques, musiciens pionniers, révolutionnaires, dont l'empreinte a marqué durablement, chacun en ce qui le concerne, l'histoire et l'écriture musicale. Le Crémonais (1567-1643) est manifestement à l'origine de l'opéra moderne, avec un style et une science inimitables, visionnaires : le recitar cantando, mélodie continue ou immense récitatif accompagné avant la lettre, le madrigal à l'origine du sprechgesang. À notre sens d'ailleurs, Il ritorno d'Ulisse in patria s'avère tout simplement un condensé homérique ... wagnérien avant l'heure.

William Sabatier, bandonéoniste, © son compte Facebook
Astor Piazzolla (1921-1992) a donné ses lettres de noblesse à un instrument consubstantiel à la bouillonnante culture sud-américaine, le bandonéon, aux inflexions tripales accaparantes, à l'instar du cymbalum hongrois. Référence absolue du tango, l'Argentin sait aussi réinventer complètement "notre" drame lyrique : Maria de Buenos Aires (livret d'Horacio Ferrer, 1968), fable fantasque et expressionniste, est un opéra particulier à l'atmosphère  ensorcelante - disons un Street Scene à la sauce argentine - si peu couru, hélas, sous nos latitudes européennes !

Mariana Flores, © non fourni
Nous lévitons de l'Italie du XVII° siècle à l'Argentine du XX° avec un naturel déconcertante et un bonheur égal : sans que ce supposé grand écart paraisse un seul instant plaqué, artificiel, ni même savant exercice de style du type "pastiche". Les deux esthétiques, hautement complémentaires, se confondent, se juxtaposent, se déhanchent ensemble avec une unité insoupçonnée. La démarche, d'une logique implacable finalement, est un double hommage à deux foisonnants Argentins de notre temps (Alberto Ginastera, 1916-1983 & Osvaldo Golijov, né en 1960) n'envahissant pas davantage les salles de concert du Vieux Monde.

Leonardo G. Alarcón, © non fourni
Un "genre mineur", le tango ? Allons donc ! Bien au contraire, cette noble danse a inspiré de très grands compositeurs, tels Alfred Schnittke (1934-1998) ou Thierry Escaich (né en 1965). Un illustre chef d'orchestre, Michel Plasson, n'a pas cru déchoir en  enregistrant Carlos Gardel (1890-1935). À quoi il convient d'ajouter Tangos Argentinos des légendaires I Salonisti.

Les solistes embarqués dans cette drôle d'équipée sauvage sont littéralement bouleversants. D'abord, Mariana Flores (ci-dessusl'une de nos deux chanteuses de l'année 2012) : aussi lumineuse dans le lamento baroque... (2) que dans l'incantation insinuante, la déploration à fleur de lèvre si propre à l'univers de Piazzolla. Après un Diluvio Universale assez miraculeux (disque de l'année 2011, récemment offert à l'Opéra Comique de Paris), la soprano au timbre capiteux et suave, s''empare avec fraicheur des mélodies enfiévrées aux mélismes bariolés. Elle en dévoile l'incroyable poésie primitive, mélancolique - parfois même désespérée - le tout nimbé d'une profondeur insondable (plages 4, 8, 15 & 16). Sans doute moins ensorcelant de timbre, mais tout aussi enjôleur et entraînant, se révèle le baryton Diego Valentín... Flores.

Buenos Aires de nuit, © non communiqué
Transcendants : virtuosissimes et bouleversants, tels ceux d'un violoniste hors pair sur son Stradivarius, sont les épanchements du bandéoniste William Sabatier (photo tout en haut) - omniprésent, obsédant. Près de lui, et comme lui arrangeur de plusieurs pièces, Quito Gato (photo ci-dessous) - bien connu au sein du continuo relevé de la Cappella Mediterranea - faisant flèche de trois bois (théorbe, guitares baroque... et électrique !) mérite de pareils éloges. Tout aussi investis, d'autres familiers de la formation genevoise : Marie Bournisien (harpe), Gustavo Gargiulo (cornet), François Joubert-Caillet (viole de gambe)... Alarcón, incomparable ordonnateur de ce singulier et rayonnant ballet- road movie musical, n'est pas en reste, lui qui s'emploie à rien moins qu'au clavecin, à l'épinette, à l'orgue et au piano.

Tout ceci, servi par une séduisante prise de son, tient du voyage festif, de l'exploration nostalgique, introspective. Dès lors, en si joyeuse compagnie, nous foulons à la fois les immenses boulevards périphériques de Buenos Aires, la turbulente exubérance de ses quartiers populaires chamarrés, et ses terrains vagues, repaires de possibles Cachafaz. Deux moments en sont hypnotiques. D'abord la Romance del Diablo, interlude lancinant et mystérieux, proche romance sans parole (plage 3, extrait musical n° 1 à l'écoute ci-dessous).

Quito Gato, théorbe, guitare baroque... et guitare électrique, © son compte MySpace
Ensuite, le contigu Chiquilín de Bachín, un lien entre les cultures plus éloquent que les Monteverdi eux-mêmes (dont l'incontournable Pur ti mirò). En effet, tant son début - aux cordes pincées - que surtout sa fin - à l'orgue - citent, en imperceptible clin d'œil, la courbe mélodique du... Che si può fare de Barbara Strozzi, naguère enregistré par Flores et Alarcòn eux-mêmes, en un album admirable, Strozzi virtuosissima compositrice. La cantatrice s'y paie même le luxe fugace d'une déclamation alla Kurt Weill (Je ne t'aime pas) : vertigineux Pont des Arts (plage 4, extrait musical n° 2 à l'écoute ci-dessous) !

Mais soyons franc : il est presque impossible de mettre en avant un extrait particulier plutôt qu'un autre dans cette sidérante cantate-symphonie,  marginale, et osons le mot : underground. Utopia Argentina, c'est son nom, ou plutôt son sous-titre. Une utopie délicieuse (3), alliant rigueur et divertissement, un défi au temps et à l'espace. Passionnant et incontournable.

Un extrait du spectacle Monteverdi-Piazzolla, © Flâneries Musicales de Reims

(1) Littéralement, "souviens toi d'oser toujours". Une règle, si ce n'est une hygiène de vie, plus explicite et plus ambitieuse que "la fortune sourit aux audacieux"...

(2) À propos de baroque - et quitte à attendre un enregistrement aussi transversal pour l'écrire enfin - il ne fait aucun doute que cette artiste aux sobres moirures d'or et d'ébène, toujours perlantes de nostalgique rosée... s'impose peu à peu à nous comme l'héritière naturelle de la si regrettée Montserrat Figueras.

(3) Les grands interprètes du "mouvement historiquement informé" semblent priser ces reconstitutions ou voyages hypothétiques dans le temps et/ou l'espace : relevons Bach, une cantate imaginaire de Nathalie Stutzmann, Un requiem du temps de Bach de Bruno Boterf... Dans le tout dernier CD AgOgique, Violaine Cochard et Stéphanie-Marie Degand font se rencontrer Duphly et Mozart ! Quant à Alarcòn lui-même, le voici multi-récidiviste, si ce n'est relaps, après Une passion allemande et les Vêpres à Saint-Marc de Vivaldi, chroniquées ici-même.


‣ Pièces à l'écoute simple, en bas d'article  ① Astor Piazzolla, Romance del Diablo, 1965  ② Astor Piazzolla, Chiquilín de Bachín, 1968 ‣ ③ Claudio Monteverdi, Lamento della ninfa, 1638 ‣ © Ambronay Éditions 2012.


 Piazzolla - Monteverdi, Una Utopia Argentina.
Un programme "en miroir", conçu par Leonardo Garcìa Alarcòn pour la Cappella Mediterranea.

 La Cappella Mediterranea : Mariana Flores, soprano - Diego Valentín Flores, baryton -
William Sabatier, bandonéon - Quito Gato, théorbe, guitares baroque et électrique -
Girolama Bottiglieri & Juan Roqué Alsina, violons - François Joubert-Caillet, viole de gambe -
Romain Lecuyer, contrebasse - Gustavo Gargiulo, cornet à bouquin & cornet muet - Marie Bournisien, harpe -
Leonardo García Alarcón, clavecin, orgue, épinette, piano & direction.

‣ Un disque Ambronay Éditions pouvant être acheté ICI.

lundi 25 mars 2013

❛Opéra❜ Street Scene, "Opéra américain" de Kurt Weill au Châtelet ● Scène de Rue, ou "American Dream" : un chef d'œuvre restitué dans des conditions satisfaisantes !

Paul Featherstone (int. Steve Sankey) & Sarah Redgwick (int. Anna Maurrant) - ©  Théâtre du Châtelet
L'Opéra de Quatre Sous est l'œuvre la plus célèbre de Kurt Weill, avec Grandeur & Décadence de la Ville de Mahagonny et le ballet chanté Les Sept Péchés Capitaux. Et pourtant, il ne s'agit là que de la partie émergée de ce compositeur versatile, protéiforme - au renouvellement incessant ! Bien éloignée des partitions allemandes "bretchiennes", ses nombreux opus américains s'avèrent, peut-être, les plus féconds. Juif exilé, une fois parvenu et installé aux États-Unis, il enchaîne de grandioses comédies musicales, dans le plus pur style natif, telles que Lady in the Dark, One Touch of Venus, ou Lost in the Stars ! September Song reste, d'ailleurs, une des mélodies les plus populaires qui soient outre-Atlantique .

L'arrestation de Geof Dolton (int. Frank Maurrant), après son double assassinat  - ©  Théâtre du Châtelet
Nous voici donc face à un Janus, un démiurge à deux têtes aux facultés d'assimilation stupéfiantes.  Street Scene ("Scène de Rue") demeure peut-être son chef d'oeuvre absolu, le plus riche, le plus foisonnant - le plus personnel quoiqu'acculturé. Le plus abouti. Authentique opéra américain (dénomination littérale), bien davantage que comédie musicale "pure", le drame retient toutes les leçons lyriques de l'Europe, tout en lorgnant nettement vers l'univers coloré, et si roboratif, des lyrics de Broadway. Street Scene est un masterpiece ni plus ni moins fondamental que le si peu joué Porgy and Bess de Gershwin, ou l'encore plus rare Regina de Blitzstein ! Sans qu'il y ait le moindre doute, l'immigré Kurt Weill bat à plate couture l'Amérique sur son propre terrain : en regard de ces constellations d'humanité  - mordorées, triviales et sublimes - rivées au "Lower East Side" des années '40, le mythique Show Boat de Jerome Kern, ou même le savoureux Kiss me Kate de Cole Porter ne sont plus qu'aimables bluettes.

La photographie officielle de la production - © Théâtre du Châtelet
Weill ne joue en fait pas dans la même cour. Cette comédie humaine déroule une chronique sociale de haute volée ; si ce n'est un drame sociologique, découpé avec un scalpel digne de Steinbeck. S'y ajoute, musicalement, un lyrisme consubstantiel, d'une inédite tendresse, ardent et subtil - à mi-chemin entre Puccini et Korngold. Bref, un hybride de naturalisme ou de vérisme à la mode américaine, à quoi s'ajoute une dramaturgie des "petites gens"... qui ne peut pas ne pas évoquer Louise. Lors son passage à Paris, peut-être l'auteur a-t-il entendu l'opéra de Gustave Charpentier ?  Ici, une fresque bouleversante traite, en creux et par l'absurde, du fameux american way of life. Sous nos yeux, un immeuble sordide d'un quartier pauvre, dans lequel se côtoient divers protagonistes de nationalités hétéroclites, confrontées à la dure promiscuité de la vie entre voisins. À l'arrivée, des personnages attachants, sincères, humbles et dignes, telle la superbe figure d'Anna Maurrant (photographie tout en haut). Des pépites humaines, extrêmement fortes et fragiles à la fois, drues et vraies - jusques et y compris dans leur veulerie.

L'astucieux cadre-décor unique, avec les deux niveaux utilisés par l'Orchestre Pasdeloup - © Jacques Duffourg
Cette peinture miséreuse (ci-dessus) n'est rien d'autre qu'une Fenêtre sur cour opératique, baignée d'un réalisme doux-amer,  mélancolique et suave. S'y succèdent en un savant mélange, des scènes chorales poignantes, d'éphémères passages dansés tourbillonnants, virtuoses et spectaculaires, swingant de façon frénétique (Moon Faced Starry Eyes, notre premier extrait sonore ci-dessous)... Et encore, des moments d'introspection précieuse, où chacun se livre à une réflexion sur sa destinée. Le compositeur, remarquable coloriste, flirte de manière jubilatoire avec l'atmosphère débridée des shows enchanteurs de l'âge d'or de Broadway ; par exemple, le mémorable et mythique Ziegfeld Follies ! Fou, le sextuor Ice cream à l'acte I, à l'écriture si "falstaffienne", folle, l'aria de Mrs. Maurrant adressé à son fils (acte II) ; fou, le joyeux charivari des gamins dégénérant en bagarre  au début du II. Fou, encore - mais aussi acéré, cruel, impitoyable - ce duo décalé des deux gouvernantes à landau de la "haute", venues respirer le frais d'un fait divers sanglant survenu chez la canaille.

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Les acteurs-danseurs-chanteurs se révèlent d'une redoutable efficacité, hyper-impliqués et d'une magnifique humanité, pour mener à son terme cette grande saga populaire. Radieux, même si pas toujours percutants (le Maurrant de Geof Dolton est assez sous-dimensionné), ils sont époustouflants de crédibilité. Par-dessus tous les autres : le couple des tourtereaux Rose et Sam, Susanna Hurrell et le tenore di grazia Paul Curievici (Louise et son Julien ne sont pas loin, là encore). Réparti sur les deux niveaux du dispositif scénique (ci-dessus), l'effectif relativement modeste de l'Orchestre Pasdeloup compense sa ténuité par une perfection de coloris et une netteté de lignes à mettre au crédit de la direction sans faiblesse, nerveuse mais aussi poétique, de Tim Murray.

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Ceci n'est rien d'autre que le frémissement de la jeunesse éternelle, aspirant à la liberté, aux espoirs les plus fous... à un idéal d'évasion vers une vie meilleure, tel que les films de Frank Capra le dépeignent. Un monument, essentiel, constamment inspiré, grave et léger - si injustement méconnu, et pourtant d'une splendeur incomparable. Le génie de Kurt Weill, compositeur binational faisant de nécessité vertu, a atteint ici des sommets inégalés.
‣ Pièces à l'écoute simple, en bas d'article  Moon Faced Starry Eyes (Acte  I)  ② Introduction (Acte II)‣ A boy like you (Mrs. Maurrant, Acte II) ‣ © Decca Limited (enregistrement CD de John Mauceri illustré ci-dessus), 1991.


 Kurt Weill (1900-1950) : Street Scene (Adelphi Theatre of New York, 1947).
"Opéra américain" en deux actes, production du Watford Palace Theatre (2008).
Paris, Théâtre du Châtelet, dimanche 27 janvier 2013.

 Geof Dolton, Sarah Redgwick, Susanna Hurrell, Pablo Cano Carciofa, Paul Featherstone, Kate Nelson, Paul Curievici, Robert Burt, Simone Sauphanor, James McOram Campbell, Margaret Preece, Paul Reeves, Harriet Williams,
Joanna Foote, Riordan Kelly, Ashley Campbell, Darren Abrahams.

‣ Maîtrise de Paris, Chœur du Châtelet, Orchestre Pasdeloup. Tim Murray, direction.
John Fulljames & Lucy Bradley, mise en scène.