À propos du mythique
Fleuve de Jean Renoir, l'illustre cinéaste Martin Scorsese déclarait :
"ce film est l'un des plus beaux qui soit, il s'est imprégné en moi et ne m'a jamais quitté depuis". Quel coffret étonnant que cette livraison confiée par le
Palazzetto Bru Zane aux
Ediciones Singulares : ce
"Very good trip" procurera à l'auditeur des sensations incomparable, en le perdant délicieusement dans un labyrinthe harmonique. Proche du paradis ! Ainsi que le rappellent en notice les toujours remarquables articles d'Alexandre Dratwicki, ou Patrice d'Ollone (petit-fils du compositeur), l'institution vénitienne est infatigable dès qu'il s'agit de défendre l'honneur d'un patrimoine enfoui. Quitte à s'attacher cette fois à un quasi inconnu.
Maximilien, Paul, Marie, Félix - dit Max - d'Ollone (Besançon 1875 - Paris 1959), élève de
Jules Massenet (1) : musicien original, sensible, écorché vif - complètement occulté. D'ailleurs on n'en entend jamais la moindre note au concert ! Pourquoi un tel mépris ? Pareil oubli est injustifiable ? Il est surprenant, voire choquant qu'un vaste
corpus, puissant, somptueux, d'une telle dimension soit purement et simplement passé à la trappe. Un mystère, Max d'Ollone? Quasiment ! Pourtant, ce livre-disque généreusement garni de
Cantates, chœurs et musique symphonique prouve à l'envi combien ce dernier joue dans la cour des grands, se hissant indiscutablement à la hauteur des
Henri Rabaud,
Charles Kœchlin,
Albert Roussel ou autres
Paul Dukas... dopés aux amphétamines.

Les atouts du Bisontin sont multiples, et sa musique parle d'elle même. Un rival dangereux pour ses pairs, peut-être ? Encore une fois, les obscures raisons de sa disparition déconcertent. Atypique, inclassable, de style hautement personnel, clairement incompris, le jeune impétrant faillit presque céder aux découragement. Heureusement, Massenet, prodiguant ses précieux et paternels conseils, fut là pour le
"booster", le défendre contre contre les autres et le protéger de lui-même, le remotivant au besoin, ayant décelé chez lui une nature d"élite. De fait, face aux gardiens du temple et autres brideurs de talent. il
galéra longtemps pour obtenir une relative (et fugace) reconnaissance.
 |
Frédéric Antoun - © non communiqué |
À quel dithyrambe recourir pour tenter de caractériser cette écriture ? Inspiration continuelle, imagination débridée, orchestration déroutante (agrémentée parfois de subtiles et discrètes dissonances), tout cela est vrai, mais demeure assez générique. Le fin bretteur chérit les discours musicaux enflammés, aux envolées visionnaires préfigurant Raphael Fumet... voire les fulgurances voluptueuses d' un Olivier Greif ! Coloriste onirique voire psychédélique, D'Ollone peut se targuer de dérouler une science instrumentale renversante - traitement des cordes et de la harpe -, une sensualité languide, une délicatesse post-impressionniste en tous points digne de Frederick Delius, nimbée d'une mélancolie allant
crescendo au fil de ces riches enluminures .
 |
Le jeune Max d'Ollone (1875-1959) |
Le Franc-Comtois excelle à déployer une luxuriance de forêt tropicale, forcément spectaculaire mais jamais étouffante, que domine une écriture chorale lumineuse, crépitante, et pourquoi pas picaresque. Écouter à cet égard son galop d'essai pour l'obtention du Prix de Rome,
Sous-bois ; ou
Les Villes maudites, deux suprêmes fééries sonores. D'un certain point de vue, il serait comme un Franz Schreker français, par là proche de la singulière polychromie d'un Antoine Mariotte (spécialement dans la cantate
Mélusine).
Ce volume, synonyme d'évasion et de fantaisie, embrasse - et embrase - tout. Probablement est-il le plus réussi des quatre dédiés aux
Cantates du Prix de Rome (en soi,
le Gustave Charpentier plaçait déjà la barre très haut). C'est une réhabilitation majeure d'un artiste complet, dépassant les maîtres qui l'ont précédé, voire influencé, tel Saint-Saëns. Rien de formaté ou d'académique chez D'Ollone : orfèvre, tisserand, peintre ou aquarelliste accompli, il est est libre, Max ! Il n'hésite pas à dynamiter, et avec quel brio, les codes scolaires de l'exercice
cantate. Exemple, l'impériale
Frédégonde (1897, premier prix), une page ramassée, à l'érotisme sous-jacent. D'une densité exceptionnelle, sa musique atteste d'une grande maturité et régale d'une myriade de miroitements ou de couleurs, gorgés de lumière wagnérienne. Mais pas seulement : son esthétique lorgne du coté tutélaire de Massenet et annonce...
Bernard Hermann (les accords initiaux) ! S'ensuivent des chefs d'œuvres, à commencer par
Clarisse Harlowe (1895, d'après
Samuel Richardson), monodrame aux thèmes obsédants qui aurait du recevoir le premier prix d'emblée, au lieu du second.
La pépite de cet enregistrement, ce sont les énigmatiques
Villes maudites déjà citée (l'un des envois de Rome), troublant
opus aux proportions quasi symphoniques. La partition distille une atmosphère enchanteresse, saupoudrée d'hypnotiques et torrentueuses volutes ; nourrie de merveilleux et de fantastique, elle fait se succéder une rafale de trouvailles harmoniques et rythmiques. Beauté irradiante, apparente simplicité, magnificence !
Rigoureuse exubérance fondue dans un sens mélodique imparable, telle est "la marque de fabrique" de Max d'Ollone. Retournons pour l'illustrer à
Frédégonde, mini-fresque opératique, tragédie héroïque et désespérée. Atteignant des sommets paroxystiques, ce parangon de déferlante, au lyrisme effusif, mène sa brûlante intensité
crescendo ; le tout est mené à fond de train par un Hervé Niquet survolté (
notre chef de l'année 2011,
portrait plus bas), à la tête d'une phalange (
Brussels Philharmonic) elle-même chauffée à blanc. Son magistère - il n'y a pas d'autre mot - s'avère trépidant, d'une précision et d'une fluidité confondante. Implacable, il sait être à la fois élégant et "sabre au clair", d'une grâce omniprésente... et omnisciente.
Quels artistes à ses côtés ! Enthousiastes et bondissants, flamboyants et virtuoses.
Julien Dran, en premier lieu, jeune ténor à la fois fougueux et d'une tendre fragilité, capable des nuances les plus fines, comme des aigus les plus dardés. Une excellence partagée par un autre ténor lyrique-léger "à la française",
Frédéric Antoun (
portrait plus haut). Ensuite, officie un trio de dames superlatif.
Jennifer Borghi, mezzo soprano qui a gagné en maturité, est incandescente ; à l'instar de
Chantal Santon (
ci-dessus), modèle de tenue, soprano à la plénitude vocale désormais épanouie, affrontant crânement une tessiture épouvantable. Enfin, brille ici une révélation, sous les traits de Marie Kalinine, autre mezzo (
ci-contre) : voix chaude, opulente mais souple, dotée d'un timbre aurifère irrésistible. D'autres habitués des productions maison, à des titres divers, tirent plus que correctement leur épingle du jeu :
Mathias Vidal,
Andrew Foster-Williams et
Virginie Pochon, particulièrement.

Puisse notre Palazzetto Bru Zane prolonger l'ivresse, en enregistrant les opéras de D'Ollone,
Arlequin, très admiré d'
André Messager (l'Opéra Comique serait l'écrin idéal),
la Samaritaine... voire son ballet
le Temple abandonné, créé à Monte Carlo. Entre fantasmagorie et nomadisme musical hors normes, dans la droite lignée de
Florent Schmitt, venez boire à cette oasis sonore, grisante, jubilatoire ! Et laissez le mot de la fin à
Reynaldo Hahn :
"Max d'Ollone a presque sans cesse laissé librement chanter son coeur". Toute l'âme de ce choc discographique (et livresque) est là.
‣ Pièces à l'écoute simple en bas d'article (MISES EN LIGNE ULTÉRIEUREMENT) ‣ ① Frédégonde, fin de la scène Frédégonde-Chilpéric ‣ ② Mélusine, finale Mélusine-Raymondin-Spectre ‣ ③ Clarisse Harlow, fin de la scène Clarisse-Lovelace ‣ ④ Les Villes Maudites, seconde partie ‣ © Ediciones Singulares 2013.
 |
Hervé Niquet - © non communiqué |
‣ Max d'Ollone (1875-1959) : Cantates, chœurs et musique symphonique :
Frédégonde - Sous-bois - L'Été - Mélusine - Pendant la tempête -
Clarisse Harlowe - Les Villes maudites - Hymne - Sposalizio.
‣ Chantal Santon, Virginie Pochon, Gabrielle Philiponet, Jennifer Borghi, Marie Kalinine, Noëlle Schepens, Frédéric Antoun, Julien Dran, Mathias Vidal, Andrew Foster-Williams, Jean Teitgen, Joris Derder.
‣ Flemish Radio Choir & Brussels Philharmonic, direction : Hervé Niquet.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.