Il est toujours méritant pour une scène parisienne d’afficher Mignon : l’œuvre n’y apparaît, hélas, que de façon sporadique. Cette partition phare d’Ambroise Thomas (avec Hamlet) créa en 1887 le "buzz", en provoquant au deuxième acte le célèbre incendie de la Salle Favart. Pas de jettatura pour autant, la millième étant même atteinte du vivant de l'auteur ! La musique contient de fort belles pages (l’intégralité du rôle-titre, le personnage mystérieux de Lothario, les trois airs de Wilhelm Meister, entre autres) - et aussi quelques saillies plus discutables, notamment des finale un brin "pompiers" et conventionnels.
Force est de reconnaître que Mignon n’a pas eu droit, dans cette production de l'Opéra Comique, aux égards qu'il méritait. Une mise en scène totalement indigente, d'abord : personnages raides comme la justice face à la fosse, mouvements collectifs de sous-préfecture. Ensuite, des éléments de décor mistouflards et poussiéreux, du ballet des chaises en bois brut de l'ouverture à la toile peinte chloroformée de l'ultime tableau. Enfin, et c’est toute la clé du problème : un choix de la version d’origine "opéra comique", avec ses inévitables dialogues parlés cassant le rythme de l’action, chef dirigeant face au public, et happy end obligé. Certes, ce parti-pris de la tradition et de l’authenticité est parfaitement justifiable : il reflète peut-être la vraie nature de l’ouvrage et le replace à l’époque de sa création, en 1866. Or, aujourd’hui cette esthétique semble datée et boursouflée.
Quelle platitude même, pour qui a joui à Toulouse en 2001 de la version "Grand Opéra" nantie de somptueux récitatifs chantés, miraculeux ariosi enchâssés dans l’impétueux flot musical, écrits de la main du compositeur ! Illuminée par un quatuor vocal de rêve (Graham, Kaufmann, Massis et Vernhes), la représentation vous laissait ressortir tout à la fois galvanisé, enflammé - bouleversé. Surtout après le finale tragique... Le mezzo-soprano texan était génial dans son incarnation d’asexué ambivalent fragile et tendre - "ni fille, ni garçon" pour paraphraser Jarno - en quête de son passé, de son identité et de sa patrie... avant de connaître l’ivresse de la métamorphose ("Je connais un pauvre enfant de bohème").
Ambroise Thomas (1811-1896)
En 2010, Marie Lenormand, loin de déchoir, est en fait la seule à totalement tirer son épingle du jeu. La voix est souple sur toute la tessiture, robuste. L’artiste arbore de beaux graves soyeux et sonores ; de surcroît, son investissement dramatique n’accuse aucune faille. Belle prestance de Nicolas Cavallier (Lothario), en dépit d’un timbre pénible car rocailleux (que n'auraient pas imposé, par exemple, un Jérôme Varnier ou un Nicolas Courjal) ; il est toutefois désolant d’avoir amputé son magnifique air d’entrée d’un couplet. On louera aussi l’abattage scénique du soprano colorature Malia Bendi-Merad, convaincante Philine, inénarrable garce de service.... et ce, nonobstant quantité d'aigus "verts" et terriblement acides. Encore plus problématique est le cas d'Ismael Jordi en Wilhelm Meister. Belle gueule de ténébreux romantique, assurément ; hélas, la voix et le style sont ceux d'un tenorino d’opérette, couronnés d'aigus nasaux et d’une voix mixte... fort peu euphonique. Étrangement, ce garçon parvient à phraser avec élégance le si enivrant air du III, quand tant d'autres passages - moins exposés pourtant - lui échappent sans retour !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.