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Joseph Haydn (1732-1809) |
Nul ne l'ignore, la jeune troupe et son non moins jeune chef sont devenus en quelques années une coqueluche, voire - pour d'aucuns - un parangon dans le domaine interprétatif qui est, pour l'essentiel, le leur : la musique de la seconde moitié du XVIII° siècle, restituée sur instruments originaux. Nous conservons d'assez bons souvenirs pour notre part, par exemple de
l'Amadis de Gaule de Jean-Chrétien Bach recréé en janvier dernier à l'Opéra Comique (malgré plus d'une longueur...) - et aussi, de la
Grande Messe en Ut mozartienne chatoyante, offerte à la Basilique de Saint Denis en 2011. En revanche, l'
Idomeneo de la même année au Théâtre des Champs Élysées, volontiers présenté, ici ou là, comme une réussite absolue, nous avait agacé par quelque raideur ou monotonie.
Faut-il que Rhorer ressente des tendances schizophrènes, pour qu'en ce 15 septembre 2012 à Ambronay, ce soit - hélas - ce dernier versant de son métier qui ait été asséné sans modération ? Dès le Haydn (1772), tout est dit : il nous faut remonter loin pour nous remémorer une œuvre du courant
Sturm und Drang précité, délivrée avec autant de désinvolture. L'
Adagio liminaire (que Haydn a émancipé d'une simple fonction de mise en bouche soudée à son
Allegro, pour devenir une séquence à part entière) paraît se tenir si loin de ce que son
fa mineur appelle à l'évidence ! En fait d'anxiété, de trouble, de compulsion, voici de la grâce et de l'élégance, certes fort bien troussées... mais totalement hors de propos. Sans surprise, les trois mouvements suivants ne peuvent que puiser à la même eau, tant le compositeur a voulu sa symphonie structurellement définie par premières mesures. Résultat globalement décoratif, donc déplacé.
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Chœur Aedes, C. Hulcup, S. Schwartz, J. Rhorer, J. Ovenden, A. Wolf, © Bertrand Pichène, CCR Ambronay |
La
Messe du Couronnement de 1778 (année du voyage de Mozart à Paris et Mannheim) pourrait être qualifiée de
messe brève, tant l'économie du matériau a permis au Salzbourgeois de délivrer son message liturgique en un temps d'exécution très court. Elle n'en est pas moins spectaculaire : autant par son ossature vigoureuse (si ce n'est brusque), que par le contraste qu'y apporte un
Agnus Dei tout en tendre
legato, prémonition probable d'un mémorable
Et incarnatus est à venir... Au sein du quatuor vocal classique, c'est essentiellement le soprano - Sylvia Schwartz, efficace - qui offre matière à briller. Si leurs parties congrues n'offrent pas aux trois autres (agréables Caitlin Hulcup, Jeremy Ovenden et Andreas Wolf) de saillie fabuleuse, le Chœur Aedes, sollicité d'un bout à l'autre, trouve en revanche mille occasions de s'employer.
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W.-A. Mozart (1756-1791) |
Ce très beau chœur étant, à juste titre, en train de se doter d'un grand renom, nous ne pensons pas que la pâteuse sensation de
magma ressortant de ses interventions soit de son cru - mais bel et bien de celui de Rhorer, lequel trahit ici un défaut nouveau : la brutalité. Hors
Agnus Dei, la scansion n'est plus que spasme, le
fortissimo se décline à toute occasion ; tout doit aller vite, très vite, le concept de
mobilité étant réduit aux acquêts, c'est à dire à la succession des coups, le timbalier en particulier étant soumis à une labeur de galérien.
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Julien Chauvin, excellent premier violon du Cercle,
© B. Pichène, CCR Ambronay |
Cela ne nous place guère dans les meilleures dispositions, à l'approche d'un tel monument que l'ultime
Symphonie de Mozart. Le résultat s'avère au-delà de toute désespérance : dès l'
Allegro vivace initial, la surenchère dynamique débute sabre au clair, par une dichotomie outrée entre un martèlement lourdement souligné (
thème I), pontifiant au possible, et une niaiserie proprement insupportable (
thème II). Ceci n'est rien en comparaison de l'
Andante cantabile - une des plus poignantes créations de son auteur, et de tout le répertoire classique - superficiel, métronomique, sans lyrisme aucun. À la vérité, le chef se borne à le verrouiller dans un cadre rhétorique scolaire lesté, lors des modulations, de bouffées de sensiblerie parmi les plus
communes.
Passé le
Minuetto, traité telle une simple anecdote, qu'attendre, ici, du mythique
Finale légendé
Molto allegro, dont nous savons les litres d'encre que sa cellule nourricière ("do-ré-fa-mi",
ci-dessous) ou son foisonnement protéiforme ont fait couler ? Rien de mieux, hélas. Non seulement la frénésie véhémente de Jérémie Rhorer repart de plus belle... mais la texture arachnéenne du contrepoint s'en trouve de surcroît encerclée, étouffée, piétinée par un amoncellement de pétarade, où chacun fournit l'impression de jouer une partie qui serait totalement indifférente à celle des autres.
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Le socle du Finale de la 41° |
Ce mouvement de génie, perdant sa limpide cohérence organique au profit d'une démonstration d'esbroufe brouillonne, fait tourner par là-même la
Jupiter tout entière à la corvée. Étrangement, c'est lors du
bis consenti (
le miraculeux Ave Verum Corpus de Mozart), dont la tendresse et la plénitude, directement issues de la main de Dieu, forment un contraste saisissant avec la
furia à peine éteinte, que l'oreille et le cœur - enfin ! - reçoivent un tant soit peu le baume espéré. C'est, pour le moins, bien tard.
‣ Ambronay, Abbatiale, samedi 15 septembre 2012 - Joseph Haydn : Symphonie n°49 en fa mineur "La Passion" - Wolfgang Amadeus Mozart : Messe en ut majeur "du Couronnement", Symphonie n°41 en ut majeur "Jupiter".
‣ Sylvia Schwartz, Caitlin Hulcup, Jeremy Ovenden, Andreas Wolf. Chœur Aedes, direction : Mathieu Romano.
Le Cercle de l'Harmonie, premier violon : Julien Chauvin, direction : Jérémie Rhorer.
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