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vendredi 7 juin 2013

❛Disque & Concerts❜ Guillaume Costeley, Heinrich Schütz, Johann Sebastian Bach • De la France à l'Allemagne, du profane au sacré : Ludus Modalis, un épanouissement.

Un disque Ramée pouvant être acheté ICI.
Les seules dates de naissance et décès de Guillaume Costeley (Pont Audemer, 1530 – Évreux, 1606) rangeraient celui-ci parmi les musiciens de la Renaissance... À la condition que la chronologie seule ne suffise pas à faire d'un artiste le héraut d'une époque !

Installé vers 1554 à Paris, le Normand devient organiste et valet de chambre du roi Charles IX jusqu'en 1572, puis "joueur d'instruments" sous Henri III. C'est en 1570 qu'il publie Musiques de Guillaume Costeley, vaste corpus de chansons... Si son inspiration le rattache bien entendu à l'héritage de la polyphonie française, quelques tendances italianisantes ne peuvent pas ne pas évoquer son contemporain Roland de Lassus (1532-1594). À certains égards même, le raffinement de son écriture fait de lui comme un prédécesseur de l'air de cour.

Mignonne allons voir si la rose est un illustre sonnet, bien connu des écoliers français, dû à Pierre de Ronsard (1524-1585). Lui conférant au passage un titre bienvenu, il ouvre le présent disque Ramée, que l'ensemble vocal Ludus Modalis (ci-dessous), géométrie variable dirigée par  le ténor Bruno Boterf, a choisi de consacrer à Costeley. La chanson dérivée, comme nombre d'autres de son auteur, a été conçue pour les chanteurs de la Chambre du Roi. Le compositeur expérimenta et chercha sans cesse de nouvelles formes, de nouvelles harmonies : ainsi, le Seigneur Dieu, ta pitié, au chromatisme étonnant, utilise-t-eil des tiers de tons, et s'avère fort caractéristique de l'esprit d'investigation de son créateur.

L'ensemble Ludus Modalis - © non communiqué
Le choix effectué par Bruno Boterf pour ce recueil est très éclectique et représente bien cette diversité d'inspiration. Chansons martiales (La prise du Havre), chansons graves (J’ayme mon Dieu), chansons "honnestes et poliz" (Muses chantez, Mignonne allons voir...), chansons de Noël (Sus debout gentils pasteurs), chansons à boire (La terre les eaux va buvant) - enfin chansons scatologiques (Grosse garce noire et tendre) se succèdent, apportant tour à tour ces touches parfois rabelaisiennes, que notre imaginaire rattache volontiers à l'idée de la Renaissance.

Guillaume Costeley (1530-1606)
Mieux : entrecoupé de pièces instrumentales (plages 5, 8, 13, 16 et 24), entremêlant à l'envi des chansons en trio, quatuor, quintette vocal (accompagnées ou non), ce récital extrêmement abouti nous préserve de la monotonie que n'aurait pas manqué de constituer une simple litanie. Il devient, par la grâce des artistes, une profonde chambre d'écho... somme toute conforme à l'esprit doux-amer (Comme à cette fleur, la vieillesse / Fera ternir votre beauté) de la pièce liminaire.

Outre le claveciniste Freddy Eichelberger qui accompagne certaines de ces pages et nous offre des solos instrumentaux de toute beauté, l'équipe vocale ne mérite que des éloges... La prononciation du "vieil langage françois", la souplesse de texture requise par certaines chansons, la profonde compréhension de celles-ci par les artistes (on ne chante évidemment pas Seigneur Dieu, ta pitié et Grosse Garce noire et tendre de la même manière), sont autant d'atouts contribuant à l'éclat d'un objet discographique de qualité, résolument propre à nous ébaudir.

 Pièces à l'écoute simple ci-dessous  ① Mignonne, allons voir si la roze ‣  Seigneur Dieu, ta pitié   Grosse garce noire et tendre ‣ © Ramée 2013.


 Guillaume Costeley (1530-1606) - Mignonne allons voir si la rose.
Recueil de vingt-sept chansons et extraits instrumentaux.

‣ Ludus Modalis : Annie Dufresne, Edwige Parat, Jean-Christophe Clair,
Bruno Boterf, Vincent Bouchot, François Fauché, chant.
Freddy Eichelberger, clavecin - Bruno Boterf, direction.

 Un disque Ramée pouvant être téléchargé ICI.




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"Bassus. Musique de G. Costeley, organiste et vallet de chambre du Roy"
Lors du récital offert à l'appui du CD, à l'Auditorium de la Bibliothèque Nationale de France le 22 mars 2013, Ludus Modalis s'est employé, non seulement à mettre en valeur son programme Mignonne allons voir si la rose, mais encore à l'agrémenter d'une "mise en déclamation", par la grâce d'une lecture confiée à un maître de la l'histoire de la prononciation de la langue française, Olivier Bettens. Ainsi, les Statuts de l'Académie de Poésie et de Musique, ou encore des textes de De Baïf, Ubert Philippe de Villiers, Robert Garnier - voire Guillaume Costeley soi-même - ont-ils constitué un roboratif contrepoint aux chansons ou pièces pour clavecin.

Intérêt supplémentaire, l'insertion d'autres compositeurs, susceptibles de mettre en miroir l'auteur principal et son contexte historique, au premier plan desquels (à tout seigneur tout honneur) Roland de Lassus ; mais aussi Philippe de Monte, Claude Le Jeune, Pierre Certon, Adrien Le Roy, Nicolas de la Grotte... Prodigué sans entracte (ce qui en aurait dénaturé la logique narrative), ce menu plantureux nous est  cependant apparu d'une légèreté aérienne. En effet, les qualités musicales et prosodiques relevées  au sujet du disque ci-dessus, étaient fidèles au rendez-vous, servies par une acoustique particulièrement soignée. Signal révélateur, la haute qualité d'écoute du public, lors d'un concert de l'après-midi... de surcroît dans un lieu plutôt froid, et pas forcément sacral pour de la musique  dite "classique" !

L'ensemble Ludus Modalis - © non communiqué
Par ailleurs, qu'un large public puisse juger sur pièces ce qu'est une direction, un tactus par nature conduit de l'intérieur (puisque, rappelons-le, Bruno Boterf chante sa partie de ténor tout en coordonnant sa troupe), représente une plus-value pédagogique inappréciable. Celle-ci aide largement à goûter l'alchimie d'une homogénéité aussi stupéfiante, dont le l'élaboration en amont est en réalité aussi exigeante que son déroulement paraît simple et naturel. Un grand moment de noble vulgarisation et de partage.

 Paris, Auditorium de la Bibliothèque Nationale de France, 22 III 2013.
Guillaume Costeley (1530-1606) : Mignonne allons voir si la rose.
Concert à l'appui du disque Ramée relaté ci-dessus.

‣ Ludus Modalis : Annie Dufresne, Edwige Parat, Jean-Christophe Clair,
Bruno Boterf, Vincent Bouchot, François Fauché, chant.
Freddy Eichelberger, clavecin David Boinnard encordé en boyau.
Olivier Bettens, déclamation - Bruno Boterf, direction.


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Toutefois, dans un laps de temps très restreint, Ludus Modalis a pris soin, s'il est possible, de frapper un coup plus fort. En prélude à une tournée de cinq mois devant mener l'ensemble à partir sa résidence normande d'Évreux vers divers lieux de France, le Temple du Foyer de l'Âme de Paris a accueilli, le 1er mai, Un Requiem du temps de Bach. Le propos (dans la lignée de réussites telles que Nathalie Stutzmann ou Violaine Cochard avec Bach, Hervé Niquet avec Striggio et ses contemporains, Leonardo García Alarcón avec Vivaldi...) est d'imaginer, à partir des sources les plus rigoureuses, un concert virtuel mais cohérent - ici, un Office Funéraire abreuvé de sources d'ordre très élevé, les Musikalische Exequien d'Heinrich Schütz (1585-1672), "coupées" de trois Motets et de l'illustre Cantate Christ lag in Todesbanden de Johann Sebastian Bach (1685-1750).

La vidéo promotionnelle du Requiem au temps de Bach, captée au Temple du Foyer de l'Âme

L'extrait vidéo ci-dessus permet de mieux saisir l'originalité de la démarche, telle qu'explicitée par Boterf en personne ("renaissanciser Bach, baroquiser Schütz"...). Instaurer un tel continuum entre ces deux piliers de la musique germanique, dont les naissances sont séparées d'exactement un siècle, c'est  suggérer une descente verticale du temps, depuis les sources polyphoniques, en passant par le stylus fantasticus (ou stil nuovo), jusqu'à certains (rares) italianismes, perceptibles dans les vocalisations des deux airs de la Cantate Christ lag. (1) Tant qu'à faire : autant partir également à la conquête de l'espace ! C'est précisément ce que réalisent les musiciens, ceux de Ludus comme ceux de l'Académie Sainte Cécile, se prêtant, d'un morceau à l'autre, à toutes les combinatoires offertes par la disposition du Temple (éloquent dans la vidéo, ainsi que ci-dessous).

Des artistes de Ludus Modalis au Temple du Foyer de l'Âme, le 1° mai 2013 - © Jacques Duffourg
Il n'est pas nécessaire de rappeler quel chef d'œuvre incontournable constituent les Musikalische Exequien de Schütz, ce qu'est venu encore souligner un récent enregistrement référentiel de Vox Luminis. Séparer leurs trois parties, aux durées inégales, pour les interpoler avec du Bach, pouvait sembler a priori risqué. Risque conjuré par l'intelligence du choix des Motets (le Jesu meine Freude étant lui-même fractionné), l'utilisation optimale des ressources variées de la spatialisation, l'éloquence du cornet et des trois tessitures de sacqueboutes ; enfin, l'adéquation fusionnelle des cordes de l'Académie à la phalange vocale en total état de grâce bien que fort étoffée...

Tous ces éléments contribuent à faire d'Un Requiem du temps de Bach plus qu'une trouvaille : à n'en pas douter, un essentiel de la musique sacrée jouée en France cette année, que nous retrouverons avec joie lors de festivals à venir, d'Arques la Bataille à Toulouse Les Orgues.


(1) Cette continuité, au moins partielle, de la liturgie musicale "germanique" nous est encore plus familière depuis que l'Ensemble Les Métaboles et Léo Warynski ont rendu à nos oreilles cette Messe hors du commun de Johannes Brahms - laquelle plonge également dans la Polyphonie, parcourt le baroque et le rococo autrichiens, s'imprègne de Mendelssohn ou Bruckner... et annonce le XX° siècle. Lire notre chronique ICI.

 Paris, Temple du Foyer de l'Âme, 1er V 2013 - Un Requiem du temps de Bach.
À partir des Musikalische Exequien d'Heinrich Schütz (1585-1672)
et de Motets et Cantates de Johann Sebastian Bach (1685-1750).

‣ Ludus Modalis : Annie Dufresne, Edwige Parat, Eva Zaicik, Kaoli Isshiki,
Jean-Christophe Clair, Sophie Toussaint, Bruno Boterf, Vincent Bouchot,
Hugues Primard, Olivier Coiffet, François Fauché,
Jean-Claude Saragosse, chant.
Simen van Mechelen, Stéphane Müller, Franck Poitrineau, sacqueboutes.
Freddy Eichelberger, orgue.

‣ Académie Ste Cécile : Philippe Couvert, Franck Pichon, violons -
Hélène Suignard, alto.
Jean-Christophe Marcq, violoncelle - Miguel Frechina Ten, contrebasse.
Bruno Boterf, direction.

jeudi 27 décembre 2012

❛Concerts❜ Première édition de Paris Baroque • XVII° siècle italien & allemand par les ensembles Amarillis & La Fenice : des débuts au sommet pour le nouveau Festival.

Le visuel du Festival Paris Baroque
Après l'acte de décès fort prématuré du Festival de Musique Ancienne du Marais, le paradoxe baroque de Paris s'est trouvé renforcé. En effet, de nombreux interprètes, chanteurs et instrumentistes de haut niveau, résident dans notre capitale - et pourtant, l'offre festivalière, avec ce qu'elle apporte de visibilité, de pédagogie, de rayonnement, en est redevenue absente.

Conséquence logique de ce terne état de fait, l'apparition d'un tout nouveau venu, Paris Baroque, ne peut que réjouir les nombreux amateurs de musique ancienne que compte l'Île de France. Des ambitions conséquentes ont été déployées pour cela, comme en atteste la programmation de la première édition (cliquez sur la légende de l'affiche ci-contre). Quelques noms en vrac : Skip Sempé, la Simphonie du Marais, les Folies Françoises, Pulcinella, Benjamin Alard, les Ombres...  liste loin d'être exhaustive ! Pléthore valant mieux que carence, nous n'avons pu, malheureusement, contenter notre oreille que des aubades respectives de Stéphanie d'Oustrac avec l'Ensemble Amarillis, et Jan van Elsacker avec l'Ensemble La Fenice ; à deux reprises à l'église Saint Louis en l'Île, les 30 novembre et 2 décembre derniers. Chacun de ces concerts correspondait, peu ou prou, à une thématique antérieurement enregistrée par les artistes.

      

"Ferveur et extase", c'est le titre d'un disque confié par D'Oustrac et Amarillis, par conséquent, aux Éditions Ambronay. Un parcours dont l'originalité est d'offrir un parallèle entre des restitutions musicales de sentiments de deux figures archétypiques (L'amour aux deux visages) : ceux de la Vierge Marie pour son Fils crucifié, et ceux de la Reine de Carthage, Didon, envers Énée qui l'abandonna. Des partitions du XVII° siècle italien ont été choisies à cet effet par la co-directrice artistique Héloïse Gaillard. Auprès d'illustres compositeurs tels que Francesco Cavalli, Claudio Monteverdi ou Alessandro Scarlatti, ont ainsi trouvé place Barbara Strozzi (1619-c.1664), Biagio Marini (c.1587-1663), Michelangelo Faggioli (1666-1733), Andrea Falconieri (1585-1656), et Luigi Rossi (c.1597-1663).

V. Cochard, G. Gaubert-Jacques, F. Pacoud, A. Piérot, L. Coutineau, H. Gaillard, F. Baldassaré, M. Pustilnik, © site
En compagnie du mezzo soprano français s'affairent huit artistes : des personnalités fortes, certaines bien connues des amateurs, pour leur participation à diverses phalanges baroques, orchestres ou petits ensembles. Sous l'égide d'Héloïse Gaillard et Violaine Cochard - aussi  éloquentes que virtuoses à la flûte à bec et aux claviers - nous retrouvons ainsi les violonistes Alice Piérot et Gilone Gaubert-Jacques (lire ailleurs sur ce site, pour cette dernière), Fanny Paccoud (alto), Monica Pustilnik (archiluth)... Ludovic Coutineau (lire ailleurs sur ce site) a troqué sa contrebasse pour un caressant violone, tandis qu'au violoncelle Frédéric Baldassaré (lire ailleurs sur ce site) sort le grand jeu, spécialement pour la Didone abbandonata de Faggioli. À relever, parmi des pages instrumentales qui sont bien mieux que simples intermèdes, la célèbre Passacaglia de Falconieri, et le pianto d'Orfeo (de l'opéra éponyme de Rossi). Tous deux sont intelligemment accolés aux plaintes de Didon, en paraphrases, voire litotes d'une extrême sobriété.

© www.stephaniedoustrac.com/photos.html
Au plan vocal, cinq pièces ont permis à Stéphanie d'Oustrac (ci-contre) de s'illustrer : un O Maria (tiré des Sacri Musicali Affetti) de Strozzi, le Pianto della Madona de Monteverdi, qui n'est rien d'autre qu'une version mariale du célèbre Lamento d'Arianna, des extraits de la Didone delirante de Scarlatti, la cantate précitée de Faggioli - enfin, le Lamento final de La Didone, un opéra de Cavalli que les Parisiens ont pu découvrir récemment au Théâtre des Champs-Élysées. Nous avons vu la  carrière de la jeune cantatrice - dont nous apprécions entre autres la versatilité, le timbre, l'élégance et le jeu théâtral - considérablement s'étoffer au cours des dernières années. La soirée confirme que son matériau est devenu de fait plus opulent, très rond et d'un aplomb altier d'un bout à l'autre de la tessiture... sans rien perdre de ses lancinantes moirures, au point de tourner, présentement, à la démonstration.

Si ses Monteverdi, Scarlatti et Cavalli sont superbes par leur tenue dramatique comme par leur variété expressive, ce sont toutefois deux pages (une par partie, auxquelles il convient de rajouter, en bis, un Dido's Lament purcellien de très haute tenue) qui s'avèrent magistrales. Le Strozzi permet à d'Oustrac de toucher d'entrée par une oraison incantatoire à Marie, dont la piété révérencieuse tournant à l'obstination est déroulée avec une palette de coloris digne d'une transe poétique (1). La cantate précitée de Faggioli, quant à elle plus tardive et constituée de deux récitatifs et airs au balancement d'affects bien huilés, lui offre l'occasion, sous les apprêts de Didon, de faire jouer à fond ses dons de tragédienne-née. Notamment au cours d'un finale dramatique, porté par les halètements du cello. Révérence !

      

Deux jours plus tard, se sont produits, dans le même lieu, La Fenice et Jan van Elsacker, proposant un parcours de Psaumes autour de la Nativité - allemands cette fois, et du XVIIe siècle toujours, sous le nom d'In dulci jubilo. Là encore, une parenté (très partielle) avec un recueil Alpha, réunissant l'ensemble de Jean Tubéry et Hans Jörg Mammel à la place d'Elsacker, Psaumes de David en Allemagne du Nord. Et là toujours, une grande variété de compositeurs de notoriété diverse : les renommés Dietrich Buxtehude, Heinrich Ignaz Biber et Heinrich Schütz faisant office de tuteurs, auprès de Johann Sommer (c.1570-1627), Jan Pieterson Sweelinck (1562-1621), Christoph Bernhard (1628-1693), Johann Hermann Schein (1586-1630), Matthias Weckmann (c.1616-1674) - Nicolaus Bruhns (1665-1697) ferme la marche. Une promenade en forme de florilège autour de quelques bourgeons du stylus fantasticus, déclinaison germanique du  stil nuovo transalpin (2).

© http://animaeterna.be/geen-categorie/janvanelsacker/
Le ténor belge (ci-contre), nanti d'un curriculum vitae plutôt huppé (Collegium Vocale, Chapelle Royale, Anima Eterna, La Petite Bande, Radio Flamande, Huelgas Ensemble, Akadêmia... et tant d'autres) fait valoir d'emblée un matériau ductile et agile, joliment projeté, en sus d'un timbre agréable. Un rien de rigidité "luthérienne" (O höchster Gott, de Sommer) pour débuter - puis notre artiste prodigue ses offrandes à l'envi, tant dans l'ornement (Bernhard, Aus der Tiefe), les affects et formes mobiles de Schütz (Meine Seele erhebt den Herren, extrait des Sinfoniae sacrae), que la haute virtuosité d'un Buxtehude, dans le psaume Singet dem Herren. C'est toutefois la dernière pièce, un solaire Jauchzet dem Herren de Bruhns, d'une invention et d'une plasticité incomparables, qui le met le plus en valeur ses qualités de ligne et de vocalisation. Pour ne rien dire de l'acuité illuminée, regard pénétrant à l'appui, avec laquelle il s'approprie les textes sacrés de l'Avent. Autant dire un Évangéliste... ce qui tombe bien compte tenu de ses emplois, l'Histoire de la Nativité de Schütz - par exemple.

Les interventions des musiciens de La Fenice (outre Jean Tubéry : Stéphanie Pfister, Mathurin Matharel, Thomas Dunford, Krzysztof Lewandowski, Philippe Grisvard) sont conformes à la flatteuse réputation qu'on leur connaît ; tant en appui du chanteur, que sans lui. Leur leçon instrumentale la plus impressionnante nous est fournie par un Sweelinck de toute beauté, le Da Pacem Domine, conclu par un Ricercar à quatre voix véritablement hypnotique. Pertinente préparation au Biber intemporel des vertigineuses Sonates du Rosaire (Rosenkrantzsonaten), dont Pfister propose une Annonciation lumineuse, à défaut d'extatique. À noter également, le prophétique Preambulum de Weckmann, toccata livrée par Grisvard à l'orgue de tribune en début de seconde partie.

© http://www.ensemblelafenice.com/les-favoriti-de-la-fenice_fr_03_22.html
D'un tel équilibre entre maîtrise technique et hauteur spirituelle ne peuvent naître que des bis forts. C'est le cas, et de manière très opposée, entre l'enivrante chaconne Quemadmodum desiderat cervus de Buxtehude, jouée et chantée avec beaucoup d'esprit - et, en tribune de l'orgue Aubertin, le choral Gloria sei dir gesungen tiré de la Cantate BWV 140 de Johann Sebastian Bach, livré comme à nu. Piété et concision : seconde révérence. Vivement l'année prochaine !



(1) À noter, une anecdotique mais très obsédante parenté (pas seulement verbale...) entre la chute de cette prière, et celle du lied Die junge Nonne de Franz Schubert !

(2) (...) le stylus fantasticus, issu du stil nuovo ou moderno italien et adapté aux pays germaniques. Exporté vers l'Autriche puis l'Allemagne, il devint une référence pour Schmelzer et Biber et arrive à pleine maturité dans la musique d'orgue de Buxtehude, et chez les allemands du Nord jusqu'à Bach sous le nom de "stylus fantasticus". "Le style fantastique est particulièrement instrumental. C'est la forme de composition la plus libre et la moins contrainte, qui n'est liée à aucun texte, à aucun sujet mélodique. Il a été institué pour faire preuve de génie et enseigner les formes harmoniques cachées, ainsi que d'ingénieuses compositions de phrases et de fugues". (Athanasius Kircher, Musurgia universalis, sive ars magna consoni et dissoni, 1650). Ce vocable employé historiquement dans sa forme latine stylus fantasticus, désigne en musique un style libre plus particulièrement instrumental et italien (Merulo, Frescobaldi), de la première moitié du XVII° siècle. Si le stylus fantasticus recouvre une manière particulière de composer, pleine de fantaisie par opposition à la sobriété de l'écriture plus ancienne du stil antico, il impliquait nécessairement une attitude différente de la part de l'interprète. (...)  © William Dongois lire plus sur le site du Concert Brisé.




 Paris, Église Saint Louis en l'Île, 30 novembre & 2 décembre 2012. Festival Paris Baroque 2012.
Une programmation initiée par Julien Le Mauff et son équipe.

‣ Ferveur et extase, L'Amour aux deux visages - Stéphanie d'Oustrac, mezzo soprano.
Ensemble Amarillis : Alice Piérot, Gilone Gaubert-Jacques, Fanny Pacoud,
Frédéric Baldassaré, Ludovic Coutineau, Monica Pustilnik.

‣ Cavalli, Strozzi, Marini, Monteverdi, A. Scarlatti, Faggioli, Falconieri, Rossi - bis : Pergolesi, Purcell.
Héloïse Gaillard & Violaine Cochard, flûte à bec, clavecin, orgue & direction.

‣ In dulci jubilo. Psaumes & Nativité dans le baroque allemand - Jan van Elsacker, ténor.
Ensemble La Fenice : Stéphanie Pfister, Mathurin Matharel,
Thomas Dunford, Krzysztof Lewandowski, Philippe Grisvard.

‣ Sommer, Sweelinck, Bernhard, Biber, Schein, Schütz, Weckmann, Buxtehude, Bruhns  - bis : J.S. Bach.
Jean Tubéry, cornets, flûtes & direction.