Appoggiature n'a pas trois mois. Créé le 16 octobre 2011, ce petit site est si jeune qu'il n'a pas achevé - loin de là - de mettre en ligne ses archives. Des archives ? Billets épars, récolés au long de dix ans de vagabondage musical, parfois consignés dans des media ; parfois conservés, isolément, au fil de l'eau. Si, depuis le lancement, douze articles nouveaux ont été publiés - ce qui peut paraître peu, mais découle pourtant d'une discipline de chaque instant -, le ressenti du millésime musical écoulé par ses auteurs ne commence pas, il s'en faut, un beau jour d'octobre !
C'est pourquoi, après réflexion, il a semblé amusant (et qui sait, utile) de se plier, comme tant d'autres, au petit jeu des distinctions - ou florilège, comme on voudra. :) Un petit macaron a été inséré à cette fin dans les chroniques, pour désigner - en sus des récompenses régulières, dites "d'or" - un ou deux disques (ou concerts) de l'année. Et puis, macaron ou pas, ceci a été, peu à peu, étendu à plusieurs catégories artistiques. Voici donc les nominés 2011 ! Répétons-le, c'est un jeu... en ne perdant pas de vue qu'un jeu, c'est sérieux. :)
Qui connaissait, en dehors des bibliothèques et universités, au début de 2010, Michelangelo Falvetti (1642-1692) ? Nicolò Maccavino qui l'a redécouvert, Leonardo García Alarcón, destiné en quelque sorte, avec la 'Cappella Mediterranea', à rendre au monde une partition surprenante de ce compositeur calabrais - et quelques autres spécialistes. C'est dans le cadre d'Ambronay que fut monté, en septembre de la même année, Il Diluvio Universale, un dialogue (oratorio) créé à Messine en 1682. Grosse onde de choc, et décision de porter l'œuvre en tournée à l'automne 2011, concomitamment à sa sortie en disque. Le voici, ce disque, à qui nous remettons sans hésiter l'une des Appoggiature de l'année de la catégorie ! Cappella, Chœur de Chambre de Namur, chanteurs, percussionniste iranien - et bien entendu chef - exacerbent la variété, l'éloquence et le fort pouvoir émotionnel de ce qu'il nous faut bien nommer un chef d'œuvre métissé.
Elle est bien plus qu'une valeur sûre, elle est une souveraine. Formée aux plus rudes exigences du chant baroque - ce n'est pas qu'une question d'éclat et de virtuosité - Sandrine Piau est depuis longtemps l'une de nos dames de cœur. Versatile, éclectique, elle couvre un immense répertoire de son expressivité sans égale ! Elle est de plus, en Liedersängerin pour qui le mot et la note importeront toujours plus que le grand apparat, une de ces personnalités droites, à la carrière intelligente, dont chaque rendez-vous avec la musique est un parachèvement. En guise de couronnement, dans la foulée du CD Après un rêve - et pour un titre de chanteuse de l'année incontesté (2) - Sandrine a terminé 2011 sur l'un de ses rôles emblématiques, illuminant la Zauberflöte du Théâtre des Champs-Élysées de sa Pamina surnaturelle... Et remettant le couvert, entre deux soirées, par un impalpable Piangerò (Cleopatra de Giulio Cesare, souvenir de Pleyel en 2008) lors des Dix Ans du Concert d'Astrée.
Elle aussi étoile du chant français venue du baroque, elle aussi servie depuis des lustres par des choix judicieux, qui la mèneront prochainement jusqu'à cette Seconde Prieure des Dialogues de Carmélites guettée avec une impatience infinie, Véronique Gens se révèle à nous comme 'l'autre' chanteuse de l'année. Au cours d'un millésime vécu essentiellement en binôme avec Christophe Rousset, elle a offert son immense talent à Antoine Dauvergne lors des Grandes Journées du CMB de Versailles (Hercule Mourant, à la réécoute sur France Musique jusqu'au 9 février). Et, surtout, en disque comme en tournée (à Paris le 10 avril), elle a poursuivi le pari (un peu fou ?) des Tragédiennes. Leur troisième opus, consacré aux 'Héroïnes Romantiques' de Gluck à Saint-Saëns en passant par Mermet et Verdi, tout en légitimant le cycle entier, réussite absolue, aura considérablement enrichi notre approche du Grand Opéra.
Elle aussi étoile du chant français venue du baroque, elle aussi servie depuis des lustres par des choix judicieux, qui la mèneront prochainement jusqu'à cette Seconde Prieure des Dialogues de Carmélites guettée avec une impatience infinie, Véronique Gens se révèle à nous comme 'l'autre' chanteuse de l'année. Au cours d'un millésime vécu essentiellement en binôme avec Christophe Rousset, elle a offert son immense talent à Antoine Dauvergne lors des Grandes Journées du CMB de Versailles (Hercule Mourant, à la réécoute sur France Musique jusqu'au 9 février). Et, surtout, en disque comme en tournée (à Paris le 10 avril), elle a poursuivi le pari (un peu fou ?) des Tragédiennes. Leur troisième opus, consacré aux 'Héroïnes Romantiques' de Gluck à Saint-Saëns en passant par Mermet et Verdi, tout en légitimant le cycle entier, réussite absolue, aura considérablement enrichi notre approche du Grand Opéra.
Deux instrumentistes de l'année ont pareillement enchanté nos mois. Frédéric Vaysse-Knitter d'abord. Ce pianiste albigeois qui naguère enregistra avec bonheur Liszt et Chopin, puis un Haydn splendide (faisant montre d'une finesse digne d'un pianoforte), s'est à nouveau tourné vers son atavisme polonais en se consacrant aux œuvres de jeunesse de Karol Maciej Szymanowski (1882-1937, compositeur de l'année, voir ci-dessous). Un créateur mieux connu, peut-être, pour Métopes, ses deux Concertos pour violon, son Stabat Mater... et, sûrement, son opéra Król Roger (Le Roi Roger) enfin coutumier des grands théâtres. Assorti d'un concert mémorable à l'Athénée, le CD Integral Classic a révélé une écriture pianistique originale et forte, devant autant, au tournant des siècles, à Chopin et Liszt qu'à des fulgurances personnelles - sans rien renier d'une virtuosité implacable. Un des grands événements pianistiques de ces dernières années.
Rien n'est plus complexe - et ne peut risquer de paraître plus aride - que d'entreprendre puis de jouer un récital de luth de très haut niveau. Alors, deux récitals !... Signataire, en l'espace de trois années, de deux volumes de luth baroque admirables, Les Baricades Mistérieuses puis The Court of Bayreuth, le jeune virtuose Miguel Yisrael en prépare pour le prochain avril un troisième, dévolu à l'école autrichienne, Austria 1676. Le "Bayreuth" s'articule essentiellement autour de deux compositeurs, Falckenhagen et Hagen, le premier ayant sans doute transmis au second une part de l'héritage qu'il reçut lui-même de Silvius Leopold Weiss. Un art de cour, d'une délicatesse infinie - osons le mot, précieux - devant beaucoup à cette culture française dont la margravine Wilhelmine, sœur de Frédéric II de Prusse, était férue. Mais aussi, à bien des égards, un art bercé de cette Empfindsamkeit (sensibilité) proprement germanique, qui entrouvre déjà certaines portes menant au pré-romantisme. Défi clairement à la mesure d'un instrumentiste de l'année.
De la même manière que pour les chanteurs et instrumentistes, il nous a paru légitime d'honorer un chef d'ensemble. Sur le vu de 2011, nous en avons même distingué deux. En première ligne et sans contestation possible, Leonardo García Alarcón. Ce jeune Argentin disciple et assistant de Gabriel Garrido, pour n'être pas novice, a offert l'année écoulée, tant en concert qu'en disque, un parcours franchement exceptionnel : du Baroque Dream d'Anne Sofie von Otter (en cours d'enregistrement, avec le concours de... Sandrine Piau) à l'empyrée du Diluvio Universale - notre disque de l'année, donc - en passant par un vivaldien Vespro a San Marco très remarqué (en dépit d'une prise de son incertaine)... Intuitif et charismatique, innovant et fédérateur, tant avec le Chœur de Chambre de Namur, que l'Ensemble Clematis, Les Agrémens, ou "sa" Cappella Mediterranea : Alarcón, à nos yeux, nos oreilles et notre cœur mérite haut la main d'être étoilé chef de l'année.
Hervé Niquet est sans doute, parmi les chefs d'orchestre "venus du baroque" un de ceux dont le parcours s'est le plus ramifié au fil du temps. L'une de ses particularités est de considérer la musique française comme un continuum allant - au moins - de Lully à Pelléas (un essentiel que, dans le domaine lyrique, le cycle Tragédiennes de Gens et Rousset déjà cité défend et illustre de manière spectaculaire). Cette vision et cette appétence l'ont appelé à être partie prenante du projet Palazzetto Bru Zane, auprès de qui il poursuit de nombreux enregistrements labellisés Glossa, marque réputée pour la beauté ses livres-disques richement documentés. Ses Musiques du Prix de Rome (volume III : Gustave Charpentier, voir plus haut) ainsi que la magistrale leçon donnée l'été dernier à Montpellier avec l'enchanteresse Sémiramis de Charles-Simon Catel (1773-1830, photo ci-contre) font tout naturellement pour nous de Niquet un chef de l'année 2011.
Nous avons souhaité - pour conclure - adresser un "coup de chapeau" supplémentaire ; non aux chefs, mais aux phalanges (instrumentales et chorales) elles-mêmes, si tant est que puisse se différencier l'excellence de ces dernières, du travail accompli par ceux qui les dirigent. Ainsi nous a-t-il semblé pertinent de mettre en avant trois ensembles de l'année dont le parcours de 2011 a revêtu pour nous un éclat particulier. La Cappella Mediterranea mérite ce titre sans la moindre hésitation. Forts depuis 1999 d'une discographie déjà fournie, relayée par Ambronay Éditions ou Ricercar, ces musiciens réunis autour d'Alarcón ont su faire preuve d'une flexibilité et d'une inventivité extraordinaires ! Celle-ci les a vus porter à Paris le Baroque Dream ambronaisien d'Anne Sofie von Otter - avant d'obtenir aussi bien en tournée qu'en disque, le succès triomphal que leur Diluvio Universale de Falvetti leur vaut de plein droit.
Les deux autres lauréats - un chœur et un orchestre - ont en commun, outre un effectif à géométrie variable, une transversalité de répertoires qui est sans doute, en nos temps où la musique historiquement informée évolue dans un environnement difficile, l'un de gages les plus sûrs de pérennité. Ainsi des Cris de Paris, chœur de chambre fondé en 1998 par Geoffroy Jourdain, dont l'intérêt marqué pour la création contemporaine ou la musique de divertissement représente bien davantage des atouts majeurs, que des signes de dispersion. L'an 2011 allait bientôt débuter, d'ailleurs, que Cachafaz, subtile mise en musique par Oscar Strasnoy d'une pièce de Copi, permit aux Cris de faire valoir dans l'Hexagone leur fantastique ductilité. Expérimentation toujours, avec Aussi chantent-elles comme des anges..., un choix opéré par Jourdain de retrouver l'environnement choral exclusivement féminin des Ospedali (Hospices) de Venise, que servit une production abondante de Vivaldi... et d'autres. En attendant Memento Mori, d'après Rossi et Monteverdi !
En 2009, Nathalie Stutzmann fondait Orfeo 55, un ensemble lui aussi transversal, capable de travailler autant les instruments originaux que les "modernes". Résidence à l'Arsenal de Metz, signature auprès du fameux "label jaune", tournées, critiques élogieuses... Rarement bébé aura grandi si vite, et si rapidement montré des talents à ce point consensuels ! Nous avons voulu particulièrement retenir, après le récital Haendel de 2010, la session 2011 de la Salle Gaveau ; laquelle, en écho à la sortie du transcendant disque Prima Donna, a apporté là encore à l'art infiniment riche et délicat de Vivaldi, sous le titre de Rivale des Castrats, une contribution majeure. Séduction qui s'est poursuivie en novembre - malgré le brusque forfait de Max Emanuel Cencic - par un Castrat Diva (Haendel/Vivaldi) d'une absolue splendeur.
... Et nous le retrouvons, réinventé, dans le Farnace et les Quattro Stagioni des Virtuosi delle Muse, comme au cours de l'Aussi chantent-elles comme des anges des Cris de Paris. Il irradie chaque mesure du projet audacieux du Vespro a San Marco initié par Alarcón ; et est la raison d'être de Stutzmann pour Rivale des Castrats et Prima Donna... Sacré Antonio, corne d'abondance inflétrissable ! Excellente année à tous. :)
(1) Un ressenti issu de la répétition générale du 7 janvier 2012.
(2) Pour rappel, Sandrine avait été déclarée Artiste lyrique de l'année aux Victoires de la Musique 2009.
‣ Crédits iconographiques : Pèlerinage à l'île de Cythère, une toile de Watteau
conservée au Musée du Louvre.
Pour les photos, détails dans les articles indiqués en liens.
Pour les photos, détails dans les articles indiqués en liens.
Beaucoup de coups de coeur partagés !! en particulier Sandrine Piau, qui nous fait naviguer du baroque au XXe avec toujours le même goût & la même musicalité, chapeau bas !! Quel bonheur de l'avoir entendue pour la première fois en 'vrai' au TCE dans un Piangero magnifique et une semaine plus tard en Pamina rayonnante !
RépondreSupprimerChère Cecile, quel grand plaisir de lire votre commentaire. :) Je suis si heureux que vous partagiez mon admiration envers l'art, tout de naturel et d'expressivité, de Sandrine ! Quand d'autres artistes lyriques - en particulier français, cela s'est encore vu hier soir sur France 2 - pratiquent la mise en scène 'marketeuse' de l'auto-satisfaction la plus stupide, se croyant spirituels à mordre la main qui les nourrit ('je n'aime pas l'opéra', ce qui revient à rabaisser ceux qui l'apprécient et les font vivre)... eh bien, des individualités telles que Sandrine Piau, immense talent et humilité au cœur, c'est, pour les amoureux de 'notre' musique, comme un phare dans la tempête !! Merci à vous, heureuse année 2012 et à bientôt sur nos colonnes... :) jacques
Supprimer