C'était couru : concert à guichets fermés, forcément. Du baroque servi en version luxe et en quantité XXL (1), un ensemble et une maîtresse d'œuvre associée qui ont désormais fait leurs preuves ; ceci pour une bonne cause (l'Institut Gustave Roussy), et en une période propice à la fête. Tout était forcément réuni pour l'ambiance des grands soirs. Pas de temps mort en effet, et un démarrage de plain-pied en compagnie de Rameau (buste ci-dessous), un compositeur que le Concert d'Astrée connaît bien... et qu'il retrouvera d'ailleurs dans quelques mois pour la reprise d'Hippolyte et Aricie au Palais Garnier. Pas de quoi exulter, malgré tout, avec une Folie de Platée (Patricia Petibon) chez qui trop de déjanté hystérique tue le déjanté, à plus forte raison quand la prononciation se fait dans un sabir incompréhensible. Retenons, bien davantage, la scansion impeccable de la Danse des Sauvages des Indes Galantes, où l'élégante Emmanuelle Haïm (photo ci-dessus) garde ce quelque chose de so chic et malicieux à la fois, qui lui vient sans doute de ses années Christie ; puis la noble - trop guindée peut-être ? - Phèdre (Hippolyte) d'Anne Sofie von Otter ; enfin, Sonia Yoncheva, fastueuse et percutante Zima (les Indes toujours)... Par-dessus tout : une Chaconne de Dardanus fruitée et joliment balancée, venant confirmer que, même sans chanteur lyrique, un orchestre si riche de fortes individualités sait très bien faire la star à lui tout seul.
Le chœur aussi, d'ailleurs : impressionnant non seulement d'homogénéité (ce qui est tout de même le moins qu'on puisse rêver), mais encore d'orfèvrerie et d'incantation au cours d'une généreuse seconde partie qui fait la part belle à Haendel - autre chouchou astréen. Éloquente démonstration dans le How strange their ends de Theodora, mélange de contrepoint, de galbe et d'oraison aux obsédants échos. Et nouveau défilé de pointures solistes, avec une goutte de discutable, et Dieu merci des flots de délectable. Dans la première catégorie, l'exhibition de Rolando Villazon (Bajazet, Tamerlano) plonge dans le malaise et la peine, tant nous avons aimé ce chanteur promis à une carrière brillante, luttant pour la survie - par moment, non sans panache - avec les restes d'une splendeur envolée. À l'inverse, Sara Mingardo (La Resurrezione), Von Otter en duo avec Philippe Jaroussky (Giulio Cesare), et le même Jaroussky auteur d'un Venti, turbini (Rinaldo) incandescent : voilà du lourd, du grand et du beau, tout entier concentré sur la seule festivité qui compte au final, celle de la musique. Natalie Dessay retrouve en Se pietà la Cleopatra de Giulio célébrée avec la même Haïm, en début d'année, à Garnier : qualité de timbre, projection et investissement en imposent, assurément. Peut-être trop : le même personnage, incarné par Sandrine Piau - venue en voisine entre deux de ses surnaturelles Pamina - y offre des inflexions autrement plus tragiques, et tellement plus raffinées (Piangerò).
Une soirée de gala qui se respecte comporte son moment de grâce absolue. Ces Dix Ans du Concert d'Astrée ne font pas exception, et c'est l'Anglais Christopher Purves (photo ci-contre) qui officie. De la pastorale Aci, Galatea e Polifemo, naguère enregistrée par Haïm avec le Polifemo de Naouri, l'air Fra l'ombre et gl'orrori fait partie de ces pages miraculeuses dont on ne sait que chérir le plus. La crâne audace de sauts d'intervalles effrayants, le souffle inépuisable requis... ou simplement la ligne mélodique suppliante, orante, hypnotique ? Purves détient toutes ces clefs, y ajoutant la capacité à planter, en quelques secondes, un total charisme (et un décorum) de faune blessé. Indicateur de performance, la capacité d'écoute de près de deux mille personnes ne bougeant un cil ni n'émettant un décibel, malgré leur tassement dans une chaleur de fournaise (2). Si de tels instants justifient amplement l'organisation d'une soirée, le niveau d'ensemble de cette dernière, sa tenue et bien sûr son peps indispensable - un Sound the Trumpet de Purcell orienté très bossa nova, avec Jaroussky et Pascal Bertin improvisant et swinguant un fabuleux Bœuf sur le Toit baroque - méritent largement le cadeau/gâteau de circonstance, présenté pour prendre congé... quatre heures (!) après le début. Ceci aux accents, partagés entre toute la ribambelle des artistes et le public, de l'Hallelujah de Messiah, bien entendu. Grand merci, Emmanuelle !
(1) Par ordre alphabétique : Jaël Azzaretti, Pascal Bertin, Laura Claycomb, Stéphanie-Marie Degand (violon), Stéphane Degout, Karine Deshayes, Natalie Dessay, Delphine Haidan, Ann Hallenberg, Philippe Jaroussky, Aurélia Legay, Magali Léger, Topi Lehtipuu, Françoise Masset, Marijana Mijanovic, Sara Mingardo, Patricia Petibon, Sandrine Piau, Renata Pokupic, Christopher Purves, Lorenzo Regazzo, Rolando Villazon, Anne-Sofie Von Otter, Sonya Yoncheva...
(2) C'est la bien la preuve qu'en matière de toux "quand on veut, on peut"... Ceci pour les pignoufs (pas d'autre mot) s'employant à transformer, dans le même Théâtre, La Flûte Enchantée en sanatorium.
‣ Télédiffusion (partielle) sur ARTE le samedi 24 décembre 2011 à 17h55 - Radiodiffusion sur France-Musique mardi 27 décembre à 20h00.
‣ Télédiffusion (partielle) sur ARTE le samedi 24 décembre 2011 à 17h55 - Radiodiffusion sur France-Musique mardi 27 décembre à 20h00.
‣ J. D.
‣ Crédits iconographiques - Emmanuelle Haïm, © Frédéric Lovino pour France Musique -
Buste de Jean-Philippe Rameau par Jean-Jacques Caffieri, Musée des Beaux-Arts de Dijon -
Christopher Purves, baryton-basse, www.kuk-art.com/English/Maulbronn/Messiah.html.
Avez-vous remarqué comme cette femme est belle lorsqu'elle dirige un orchestre ? Elle devient aussi fluide que la musique interprétée. Son mouvement, son corps même devient musique...
RépondreSupprimerChère Frédérique,
SupprimerMille mercis pour ce commentaire, aussi élogieux envers une grande artiste, qu'il recoupe pleinement mon propre ressenti.
Emmanuelle Haïm est assurément devenue en quelques années une des figures les plus charismatiques qui soient, sur la scène baroque française... et internationale ! :)
Excellente année 2012 à vous, à bientôt en ces colonnes,
Jacques