Quel luxe étrange et paradoxal que l'opéra au Cinéma ! Grâce à cette louable initiative, nous voici téléportés illico presto au mythique "Met". Somptueuse découverte ce Satyagraha (1980) de Philip Glass (né en 1937, photo plus bas) : fresque lyrique chantée en... sanscrit, oratorio qui ne dit pas son nom. Dire que l'on ose ça et là brocarder la programmation new-yorkaise pour sa "pusillanimité" et son côté "plan-plan"! Les spectateurs, eux, apprécient visiblement l'indéniable prise de risque, happés dans une étrange quatrième dimension. L'impact émotionnel agit dès les premiers accords, ésotériques : impossible de résister au pouvoir hypnotique de ces longues, lancinantes mélopées, infinies, sinueuses. Enveloppées dans une écriture vaporeuse ou bien tumultueuse - extraordinaires choeurs omniprésents !
En France, le compositeur américain est très injustement décrié. Voué aux gémonies par un sérail élitiste un brin condescendant. Ses pages dites répétitives (parmi lesquels un redoutable Concerto pour violon, de brillants Quatuors, sans parler des neuf Symphonies) ne squattent guère les salles de concert (si ce n'est ICI), à l'instar d'un John Adams, ostracisé de même. (1)
À quand une reprise d'Einstein on the Beach - Glass, encore - créé à Avignon en 1976 ?! Force est de reconnaitre que Satyagraha, manifeste pacifiste, consacré à la personne de Gandhi, est l'exemple parfait de musique néo-tonale, aux inflexions post-baroques ; minimaliste, dépouillée certes, mais ne cédant jamais à la facilité. Ce langage polychrome, accessible, qui parle directement au coeur et aux tripes, s'avère propice à conquérir un public large... Voire attirer de nouveaux mélomanes rétifs à la forme opératique traditionnelle !
Les quelque trois heures de musique - phosphorescente, étale, plane et planante - retracent le destin de Gandhi. L'homme, l'humaniste et citoyen du monde Gandhi. Trois heures, trois séquences. Le passé : Tolstoi. Le présent : Rabindranath Tagore. Enfin, le futur : Martin Luther King : trois figures charismatiques - et muettes dans la partition. Les interprètes sont épatants ; s'en détache l'immense performance de Richard Croft (photo en tête d'article) ! De ce dernier, le monologue final - lunaire, émouvant, désincarné, immatériel - atteint au bouleversant. Avec Idoménée, le rôle de sa vie ! La saison prochaine, Aknaten ?
(1) Louons donc d'emblée le courageux Châtelet, qui affichera dans quelques mois le magnifique Nixon in China, avec l'immense June Anderson...
‣ E. M.
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