mardi 18 juin 2013

❛Opéra❜ Réouverture de l'Orangerie de Meudon avec un Atys de J.-B. Lully en version "aménagée" • Belle vitalité culturelle et baroque entre Paris et Versailles.

Le Sommeil : Lisandro Nesis - à l'arrière : Esther Labourdette, Lucas Bacro, Dagmar Saskova - © Ville de Meudon
Vingt-sept ans après sa résurrection légendaire à l'Opéra-Comique, Atys (Saint Germain en Laye, 1676), "l'opéra préféré du Roi", s'est installé dans le paysage baroque français au point d'en devenir - au moins sous l'angle vocal - le symbole incontournable. Non seulement la production des Arts Florissants, William Christie et Jean-Marie Villégier s'est exportée (jusqu'à New York), non seulement elle a bénéficié de plusieurs reprises dans les années 90, mais encore a-t-elle connu un come back spectaculaire en 2011. Nous avions largement pu alors apprécier, lors des reprises de Paris et Versailles, cette capacité que seuls les chefs d'œuvres peuvent revendiquer : savoir perdurer, continuer d'émouvoir, au-delà de la marche symbolique représentée par le passage d'une génération d'artistes.

Lisandro Nesis - © selon son site
Autre preuve de santé, les sessions  d'Hugo Reyne et de sa Simphonie du Marais à La Chabotterie, donnant naissance, quelques mois auparavant, à une deuxième version discographique hautement recommandée (extraits à l'écoute simple en bas d'article). Atys respire, Atys vit, Atys essaime ! Preuve en est le choix de la Ville de Meudon, conservatrice du Potager du Dauphin, de confier à Lisandro Nesis (ci-dessus et ci-contre) et aux ensembles I Sospiranti et Quentin Le Jeune le soin de marquer la réouverture de l'Orangerie par une version "aménagée" de la tragédie lyrique due au compositeur Jean-Baptitste Lully (1632-1687) et au librettiste Philippe Quinault (1635-1688).

De quel aménagement s'agit-il ? Impossible, ne serait-ce que pour des raisons techniques, de prodiguer la totalité d'une partition aussi fournie dans un espace autre qu'un théâtre avec fosse - ou, à tout le moins, une salle de concert. Pas vraiment la destination d'une Orangerie, aux murs épais et aux voûtes un tantinet oppressantes ; en plus de glaciales, puisque ce 24 mai 2013, la température en soirée était de l'ordre de 10°C (1) ! L'idée était donc, en opérant les coupes dans la durée et l'effectif devenues indispensables, de trouver une cohérence, un fil narratif et musical qui s'éloigne le moins possible d'un drame désormais notoire.

Exit le Prologue très politique, avec ses allégories, cependant que des personnages tels que Célénus, le  Dieu du Fleuve Sangar, Morphée... sont priés de disparaître de même. Pas de Chœur non plus, les danses sont réduites (mais demeurent essentielles, avec deux danseurs figurant le Grand Dauphin et la Princesse de Conti). Enfin, l'orchestre laisse la place à un quintette (Ensemble Quentin le Jeune) composé de deux violons d'amour, un violoncelle, un théorbe et un clavecin. Ainsi épuré, Atys se voit recentré sur son triangle majeur (Atys, Sangaride, Cybèle) et sa paire des confidents (Idas, Doris), dont les échanges  - tendres, vénéneux ou tragiques, mais toujours contenus - constituent toute la grammaire.

Dagar Saskova, Esther Labourdette, Akiko Veaux - © Ville de Meudon
Resserrée de la sorte, la pièce se rapproche davantage de la Pastorale, appelée à un grand succès au siècle suivant, qu'à la Tragédie Lyrique, du moins assortie de toute la pompe que nous attachons ordinairement au Roi Soleil. Pour autant, transitant de la Cour au salon galant, Lisandro Nesis a réussi son pari. Certes, davantage centré sur les moirures de l'âme des protagonistes que sur une action compliquée ou des décors spectaculaires, ce sujet tiré d'Ovide se prête plus à une telle expérience, qu'une Armide ou un Bellérophon ! Encore fallait-il effectuer tout ce travail avec doigté - surtout, conserver la nécessaire respiration de la chorégraphie - pour conserver cette part de faste et d'éclat, qui fait d'Atys autre chose que du Bergman avant la lettre. Akiko Veaux, qui danse elle-même au côté d'Alex Dos Santos, règle des éléments de ballet suffisamment récurrents et pénétrants, pour que demeure perceptible ce complexe et fragile mélange des arts si propre à la France.

Ces deux jeunes gens se meuvent avec beaucoup de naturel dans un cadre scénique très approprié. Mathilde Étienne concentre son théâtre sur l'essentiel, en phase avec la direction musicale : sur l'estrade qu'habillent de discrets feuillages de pin (l'arbre de Cybèle, en quoi Atys sera métamorphosé à la fin), pas d'autre décor que celui constitué par les voûtes. En revanche, la dramaturge - qui a fait siennes les recherches sur les éclairages effectués ces dernières années dans l'opéra baroque - tire un parti maximum de la lumière, issue de projecteurs d'avant scène tout aussi discrets. Outre l'effet exquis produit sur les pierres mordorées, ce sont bien sûr les (très beaux) costumes et, plus encore, les visages merveilleusement expressifs (perceptibles sur les différents clichés) qui sont mis en valeur, certains pans de pénombre accentuant le caractère très pictural, comme à la chandelle, de scènes que n'aurait pas désavoué un Georges de La Tour. Elle aussi issue d'un travail poussé, la gestuelle baroque, codifiée et éloquente, où rien n'est laissé au hasard, achève de captiver le spectateur.

L. Bacro, E. Labourdette, D. Saskova - © Ville de Meudon
Et l'auditeur ? Passée l'adaptation nécessaire, tant à l'absence d'orchestre véritable (celui de Lully, dit-on, comportait soixante-dix sept musiciens, ce qui est considérable), qu'à une sonorité de cordes en boyau fort contrariée par la température et le niveau d'humidité déraisonnables, l'oreille se laisse charmer par la gaze subtile que tissent les cinq instruments. Parmi ceux-ci, le violoncelle doux-amer de Carole Carrive - au sein du continuo donc - soutient de manière très attachante cette scansion chaste et désabusée. Les chanteurs, comme il est aisé de le comprendre, sont le plus souvent à nu, ce qui les expose d'autant plus qu'ils sont, nous l'avons écrit, peu nombreux.

Sans qu'il soit question de fausser la donne en les comparant à leurs prédécesseurs des versions "complètes", tant à la scène qu'au disque, force est de les féliciter à leur tour. Tous font assaut d'une diction soignée (nantie d'une prononciation "restituée" de la langue), ce qui est essentiel dans un répertoire où toute inflexion musicale se doit de découler du poème. La voix aux fragilités encore adolescentes d'Esther Labourdette (déjà entendue avec I Sospiranti dans le programme Ténèbres de Cour, ci-dessus et plus haut) sied à merveille au personnage de Sangaride, oiseau blessé trop tôt tombé du nid que la fière, jalouse et inquiétante Cybèle de Miriam Ruggeri (ci-dessous, au fond) fait sacrifier par Atys lui-même. Dans la peau de la suivante Doris (et accessoirement de Phantase), Dagmar Saskova (ci-dessus) livre une prestation sans faiblesse.

Les deux hommes sont plus convaincants encore. La jeune basse Lucas Bacro (à la fois Idas, Phobétor et un Songe Funeste dans une scène du sommeil nécessairement raccourcie, ci-dessus) signe un sans faute. Prenant parfois le dessus sur son maître ballotté par les événements, le confident se fait narrateur, témoin, porte-parole, avec une variété d'inflexions et d'accents hautement prometteuse. En charge de l'écrasant rôle-titre, enfin, Lisandro Nesis (tout en haut et ci-dessous) s'avère fascinant. Sans être l'Atys le plus claironnant d'aigus que nous ayons entendu, il tire parti de la position plus centrale de sa voix pour restituer des affects déchirants, qu'un haut de tessiture éclatant laisse plus volontiers en retrait. Son jeu d'acteur et ses gestes sculpturaux achèvent de convaincre, et de toucher.

Voilà une ville moyenne, patrimoniale (2) mais parfois effacée, située à mi-chemin de Versailles et de Paris, qui vient de fournir de manière assez spectaculaire et à guichets fermés la mesure de son potentiel musical. À Meudon  l'assoupie de transformer l'essai.

La folie : Lisandro Nesis, Alex Dos Santos, Myriam Ruggeri - © Ville de Meudon

‣ À l'écoute simple en bas d'article  ① Acte I, Scène II, Atys & Idas, "Allons, allons, accourez tous" - ② Acte III, Scène I, Le Sommeil, "Dormons, dormons tous" - ③ Acte V, Scène VI, Cybèle, "Venez, furieux Corybantes"  Romain Champion, Matthieu Heim, Amaya Dominguez, Chœur du Marais, Simphonie du Marais, direction : Hugo Reyne ‣ © Musiques à la Chabotterie 2010.

(1) Faut-il préciser que ces conditions rendent d'autant plus méritants tous ces artistes ? Non seulement l'œuvre - même allégée - est longue, non seulement un larynx humain est ultra-sensible à la température, mais encore instrumentistes et danseurs ont-ils eux aussi à pâtir du froid. Sans parler des effets assez redoutables (et vérifiés, en la circonstance...) d'une hygrométrie élevée sur la justesse des cordes en boyau. Un grand coup de chapeau par conséquent !

(2) Outre le Grand Dauphin, donc, rappelons que Meudon s'honore de conserver la trace des mânes d'Armande Béjart, Richard Wagner, Auguste Rodin, Louis-Ferdinand Céline...

 Jean-Baptiste Lully (1632-1687) : Atys,
tragédie  lyrique en cinq actes sur un poème de Philippe Quinault (1676).
version aménagée pour cinq chanteurs , cinq instrumentistes et deux danseurs.

‣ Lisandro Nesis, Esther Labourdette, Miriam Ruggeri, Dagmar Saskova,
Lucas Bacro, chant (Ensemble I Sospiranti).

‣ Jean-Christophe Lamacque, Agnès Lamacque, Carole Carrive, Richard Civiol, Françoise Depersin,
réduction instrumentale (Ensemble Quentin le Jeune).

 Alex Dos Santos & Akiko Veaux, danse baroque.
Chorégraphie : Akiko Veaux. Mise en scène : Mathilde Étienne, assistée de Elizabeth Calleo.
Direction musicale : Lisandro Nesis.

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