vendredi 28 juin 2013

❛Disque❜ Label Indésens, Carlo Tessarini (1690-1766), Ensemble Guidantus • Un apport bienvenu à notre connaissance de la musique vénitienne.

Un disque Indésens pouvant être acheté ICI
À l'instar de de nombreux créateurs, parfois nommés "petits maîtres", Carlo Tessarini (1690-1766, portrait plus bas) n'eut pas l'heur de voir son nom et ses œuvres couronnées par la reconnaissance accordée à des Vivaldi ou Corelli - voire, à un degré moindre, des Biber, Muffat, Locatelli ou autres Veracini. Né en dans la Péninsule (Rimini, Émilie-Romagne), il fut pourtant un violoniste et compositeur renommé de son temps ; certaines sources indiquent même qu'il aurait pu, lors de ses premières études musicales dans la Sérénissime, avoir reçu l'enseignement de Vivaldi soi-même.

Nommé maître de Chapelle de l'Hospice Saint Jean - Saint Paul, orphelinat (ospedale) vénitien, à partir de 1716, c'est à ce poste qu'il compose son premier opus de Concertos à Cinq (concerti a cinque), et tient en même temps le violon à la Maîtrise de Saint Marc de Venise, un poste qui ne fut certainement pas pour rien dans sa réputation grandissante de virtuose. Cette renommée l'amena logiquement à voyager à travers toute l'Europe - se produisant ainsi à Brno (panorama plus bas), Rome, Paris, Bruxelles, Naples, Francfort, Arnhem... C'est là qu'en 1766, sa trace se perd. Aucun document ne permet de préciser avec certitude où il se rend après cette escale, ni quelles sont la date et les circonstances exactes de son décès, sans doute à Amsterdam, peu de temps après.

Le rococo en peinture : Antoine Watteau (1687-1721) - La Gamme d'Amour (1717) - Londres, National Gallery
Apprécié, Tessarini le fut également comme auteur de sinfonie, concerti pour un ou plusieurs instruments, sonate ; mélodrames (bien qu'aujourd'hui, ceux-ci n'aient toujours pas été redécouverts)... En  outre, il se fit connaître comme théoricien de la musique, et laissa à ce titre de nombreux écrits sur la rythmique, l'ornementation, l’exécution des cadences.

Carlo Tessarini (1690-1766) par William Pether
Le compositeur apparaît souvent mentionné comme un redevable au style galant (le style galant ou rococo est une certaine transition entre la fin de la période baroque et l'apogée de l'âge "classique", dont Cassanéa de Mondonville, Telemann, Duphly, Galuppi, Arne, Roman, Hasse - entres autres - purent être des représentants). Tessarini s'inscrivit cependant volontiers au-delà de cette étiquette assez limitative ; représentant un trait d'union, davantage qu'un intermède.

L’Ensemble Guidantus, mené par le superbe violon de Marco Pedrona, n'en est pas à son coup d'essai (et de maître) concernant Carlo Tessarini, puisqu'est déjà paru auprès du même label Indésens un premier volume, comportant les douze concerti de l'opus 1, dont l'écoute plaisante préfigure l'impression très positive laissée par le second.

Marco Pedrona, qui joue sur une superbe copie de Guarnerius del Gesù, et Marco Montanelli, sur un clavecin au son magnifique... mais dont rien ne nous est dit, nous offrent effectivement, ici, une lecture absolument magnifique, laissant respirer et s'épandre la musique des huit sonates sélectionnées avec un naturel absolument confondant.

Brno (Moravie, aujourd'hui République Tchèque), l'une des étapes européennes de Carlos Tessarini
Nous sommes ainsi convié à une véritable symbiose entre un compositeur et ses interprètes : rares sont les enregistrements où l'adéquation de ceux-ci à celui-là est aussi parfaite ! Les instrumentistes parviennent à varier leur jeu d'un mouvement de sonate à l'autre : le recueil s'écoute et se réécoute avec un plaisir constant, d'autant que la prise de son de l'enregistrement s'avère de haute qualité.

Il reste à souhaiter que se poursuive la réhabilitation discographique d'un legs important, utile à notre meilleure appréhension de la musique vénitienne, et même européenne... Vivement le volume III, par conséquent.

 Pièces à l'écoute simple en bas d'article (MISES EN LIGNE ULTÉRIEUREMENT)  ① Œuvre XIV, Sonate 2, 3° mouvement ‣  Œuvre XIV, Sonate 6, 2° mouvement   Œuvre II, Sonate 11, 2° mouvement  ‣ © Indésens 2013.



 Carlo Tessarini (1690-1766) - Huit sonate pour violon et clavecin, op. XIV & II.

‣ Marco Pedrona, violon (copie) Guarnerius del Gesù.
Marco Montanelli, clavecin (facture non précisée).
Ensemble Guidantus.

 Un disque Indésens pouvant être téléchargé ICI.

dimanche 23 juin 2013

❛Opéra❜ Sebastian Rivas, Aliados, opéra du temps réel au Théâtre/CDN de Gennevilliers (création) • Tyrans à leur crépuscule, ou : Crises et Chuchotements...

N. Petročenko, L. Peintre, T. Mantero, M. Boisvert, L. Warynski - © Philippe Stirnweiss, CDNCC Gennevilliers
Lorsque, voici un peu plus de quatre cents ans, Claudio Monteverdi fit chanter à son Orfeo, au cœur même de l'opéra éponyme, pierre de touche originelle (1), son admirable Possente spirto destiné ni plus ni moins à faire s'ouvrir les portes de l'Enfer, il conféra au genre (sans peut-être s'en douter) une  quasi constante, qui se nomme déraison. L'art lyrique, peut-être plus que d'autres arts - et sans doute parce qu'il en convoque plusieurs à la fois - ne trouve sa logique que dans l'hyperbole, l'excès, la démesure, celle de sa forme, de sa durée, de ses destins.
Bref, l'opéra se complaît souvent, de Don Giovanni en Lucia, ou d'Hermann en Première Prieure, à nous installer, si ce n'est dans les Enfers, du moins dans les limbes. Il est fascinant de constater à quelle enseigne la création contemporaine, quelles que soient les ressources musicales mises en œuvre, n'échappe pas à cette nécessité organique, le dernier exemple en date venant du Centre Dramatique National de Gennevilliers. Il s'agit d'Aliados ("Alliés"), un opéra politique - "du temps réel" - écrit d'après la visite rendue, le 26 mars 1999, par Margaret Thatcher à Augusto Pinochet, alors en résidence surveillée à Londres, dans l'attente de la décision des juges-lords concernant son placement en détention.

Le conscrit (Richard Dubleski) sur scène et en démultiplication vidéo © Philippe Stirnweiss, CDNCC Gennevilliers
Quels rapports avec des limbes ? Beaucoup, et c'est ce qui a manifestement tétanisé les concepteurs : librettiste (Esteban Buch), compositeur (Sebastian Rivas, photo plus bas), metteur en scène (Antoine Gindt), réalisateur "live" (Philippe Béziat), informaticien (Robin Meier) - enfin, chef d'orchestre (Léo Warynski, ci-dessous). Le soutien apporté par 'une "Dame de Fer" à la retraite au dictateur déchu et poursuivi, stricto sensu de l'ordre de l'événementiel, n'est pas resté du domaine privé : la teneur de leurs échanges est connue, et archivée. Or, ce ne sont pas les politesses qui ont donné matière au récit opératique (encore qu'elles soient lourdes de sens), mais les failles naissantes de deux autocrates en proie aux démons de la sénescence : dérèglements "classiques" pour le Chilien en fauteuil roulant, maladie d'Alzheimer pour l'Anglaise.

Léo Warynski, chef d'orchestre - © d'après son site
Voilà toute la différence avec le précédent de John Adams, Nixon in China (1985-87), auquel ce drame  diplomatique fait forcément beaucoup penser : chez l'Américain, les parts nébuleuses des individus ne s'ouvrent jamais sur de la démence véritable, même dans le très inquiétant monologue de Madame Mao, ou celui, plus mélancolique, de Chou En-Laï. À l'inverse, Rivas, Buch, Gindt et les autres saisissent à bras le corps ces décrépitudes croisées pour explorer des zones d'ombre, voire de nuit, qu'ils rendent encore plus déstabilisantes par la référence permanente à la Guerre des Malouines de 1982 - laquelle parapha, contre l'Argentine, l'alliance de ces deux "monstres d'autorité vieillissants" (2).

Symétriquement, chacune des deux figures tutélaires est flanquée, du fait de son handicap, d'un soutien logistique : que ce soit l'aide de camp de Pinochet, ou l'infirmière de Thatcher. Le sacerdoce glaçant de ces doubles, discrets mais diligents, accentue autant qu'il est envisageable le malaise diffus qu'un cinquième protagoniste vient porter à l'incandescence, si ce n'est à la déflagration. C'est "le conscrit" (premier plan & gros plan vidéo, photo 2), cet anonyme Argentin embrigadé symbolisant la chair à canon de tous les conflits ; présenté ici rampant, la gueule noircie, comme en écho, aussi, à ces mineurs que le premier ministre britannique décima de sa vindicte.

Tango :  L. Peintre & N. Petročenko. Au 2° plan, T. Mantero & M. Boisvert. Au fond, L. Warynski & l'orchestre - © T2G
La mise en espace recourt à un mobilier minimaliste (fauteuils, table, rares accessoires), un tapis de sol qui n'est rien d'autre qu'une marqueterie d'images de guerre... et, point capital, un écran supérieur sur lequel défilent, entre deux journaux télévisés vintage, des angles de vues alternatifs, pris de l'intérieur même de la scène par deux vidéastes. Enfin, le petit (mais très efficace) orchestre est disposé latéralement, au fond, le chef officiant coté cour (voir les quatre photos de scène).

Sebastian Rivas, compositeur, © n.c.
Autre facteur essentiel, les deux héros principaux ne sont pas univoques : nous savons gré aux auteurs de se garder de tout manichéisme à la Brecht, en introduisant des éléments de demi-caractère (l'échange des cadeaux) ou comiques ("un bronze pour la dame de fer") ; et même oniriques, tel ce double tango des maîtres et des valets suggérant des accointances inédites ! Une empathie, soudaine, fugace, mais réelle, nous saisit ; le souvenir, dans ce qui  lui reste de mémoire, du General Belgrano, croiseur argentin coulé avec ses trois cents hommes par la Royal Navy, hante Thatcher - et nous émeut. De la sorte invité à nous mettre à la place de personnalités si peu attirantes, nous voilà confronté, sans préavis, à l'épreuve d'un questionnement vertigineux.

Ainsi que Sebastian Rivas (ci-dessus), Franco-Argentin lui-même, s'en explique (3), sa composition s'articule autour de trois états, techniques ou technologiques, du son, qui sont partie prenante de la dramaturgie : son "filtré", son "saturé" ou son "net" (que l'on pourrait qualifier de son "naturel"). L'usage qui en est fait est fonction des personnages et de leur état psychique ; la saturation étant la surcharge d'information, et le filtrage sa raréfaction. En outre, très finement, le musicien associe à chaque intervenant un instrument particulier, qu'il qualifie d'avatar : trombone / Pinochet, clarinette basse / Thatcher, piano / aide de camp, violon / infirmière... et même guitare électrique / conscrit. Manière de faire entrer le théâtre jusque dans l'orchestre ; également, mais en plus systématique, actualisation du procédé très baroque de l'obbligato !

La remise des cadeaux : Lionel Peintre et Nora Petročenko - © Philippe Stirnweiss, CDNCC Gennevilliers
Le discours musical, souvent frénétique, ne concède aucun répit à l'auditeur. À ces cinq instruments obligés s'ajoutent des percussions, dont l'effet de criblage - métaphore évidente des mitraillettes, quand ce n'est des lacérations de la souvenance - est poussé volontiers jusqu'au raptus. Le traitement des voix, outre la triple perspective précitée (saturation/filtrage/netteté), se veut très exigeant, que ce soit par la longueur de certaines phrases hachées, entrecoupées de râles, dévolues à Pinochet ; ou par quelques aigus crucifiants réclamés à Thatcher. Magnifique trouvaille, à notre connaissance unique dans l'histoire de l'opéra, le livret recourt concomitamment aux deux idiomes anglais et espagnol, chacun des deux "monstres" se trouvant sur-cloisonné par la barrière de la langue.

Dans ce huis clos où la mémoire collective se construit à mesure que la mémoire individuelle défaille, le baryton français Lionel Peintre et le mezzo soprano lituanien Nora Petročenko (une fidèle de Warynski : Massacre, Ring Saga - gros plans ci-dessus) ne méritent que des éloges. Leur composition impeccable, et aussi spontanée que possible, paraît démentir un labeur évidemment sans concession. C'est plaisir de retrouver, quelques semaines après son Maître de Musique d'Ariadne auf Naxos, l'aplomb viril de Thill Mantero, Aide de Camp aux égards ambigus, tandis que l'Infirmière de Mélanie Boisvert surmonte crânement des saillies coloratura qui laissent ébaubi (gros plans sur l'écran vidéo, photos 1 & 3) .

L'entretien original de 1999, à Londres - © CDNCC Gennevilliers
Le sprechgesang haletant, sordide, tellurique du conscrit (Richard Dubleski) trouve son antidote dans la somptueuse mécanique, d'une précision compulsive, que Léo Warynski et l'Ensemble Multilatérales traitent - suivant les séquences - en chirurgiens, ou en horlogers. Aliados sera repris les 4 octobre à Strasbourg (Festival Musica) et 11 octobre à Rome (Fondation RomaEuropa), ainsi que le 31 janvier 2014 à Saint Quentin en Yvelines, un théâtre qu'Appoggiature connaît bien.

Pour autant que les circonstances vous le permettent, ne vous privez sous aucun prétexte d'une expérience mémorielle et sensorielle aussi extra-ordinaire !

‣ À l'écoute sur le site du Théâtre de Gennevilliers, le Tango et un extrait instrumental  CLIQUER ICI.
‣ Un court entretien avec Sebastian Rivas, à propos du présent opéra  CLIQUER ICI.
‣ Un court entretien avec Léo Warynski, à propos... de l'interprétation de Pink Floyd !  CLIQUER ICI.

(1) Orfeo fut créé à la cour de Mantoue le 24 février 1607. Si l'on fait généralement remonter la source littérale de l'opéra à Euridice (1600) ou Dafne (partition perdue) de Iacopo Peri, on admet volontiers que le genre ne prend véritablement son envol qu'avec Monteverdi.

(2) Selon la présentation de l'œuvre par le Théâtre de Gennevilliers (Centre Dramatique National de Création Contemporaine).

(3) "(...) Dans Aliados, il est question dʼinformation et de mémoire, et du point de vue de la théorie de la communication, la saturation correspond à lʼexcès dʼinformation ou à lʼexcès dʼune substance dans un milieu, tandis que le filtrage sʼassimile au contrôle de lʼinformation ou à la façon dont se déploient les réminiscences mémorielles. Saturation et filtrage sont ainsi clairement perceptibles dans le rapport aux médias quʼimplique ce projet à travers la propagande de guerre, la manipulation télévisuelle, les souvenirs et les omissions de Thatcher et Pinochet, etc. Autrement dit, un même principe gouverne lʼopéra tant dans ses aspects musicaux que visuels et scéniques. La maladie dʼAlzheimer de Thatcher se situe du côté du filtrage, tandis que lʼaccent chilien de Pinochet a trait à la saturation. Quant à lʼétat net, il correspond à la quête impossible de lʼobjectivité." - In Entretien avec Stéphane Roth, 15 juin 2012.

 Théâtre de Gennevilliers, Centre Dramatique National de Création Contemporaine, 17 VI 2013.
Sebastian Rivas (né en  1975) : Aliados, opéra du temps réel (création).

‣ Livret : Esteban Buch - mise en scène : Antoine Gindt -
réalisation "live" : Philippe Béziat - informatique : Robin Meier (IRCAM).

‣ Lionel Peintre, Nora Petročenko, Thill Mantero, Mélanie Boisvert, Richard Dubleski.
Ensemble Multilatérale : Antoine Maisonhaute, Kobe van Cauwenberghe, Benoît Savin,
Mathieu Adam, Lise Baudouin Hélène Colombotti. Direction : Léo Warynski.

mardi 18 juin 2013

❛Opéra❜ Réouverture de l'Orangerie de Meudon avec un Atys de J.-B. Lully en version "aménagée" • Belle vitalité culturelle et baroque entre Paris et Versailles.

Le Sommeil : Lisandro Nesis - à l'arrière : Esther Labourdette, Lucas Bacro, Dagmar Saskova - © Ville de Meudon
Vingt-sept ans après sa résurrection légendaire à l'Opéra-Comique, Atys (Saint Germain en Laye, 1676), "l'opéra préféré du Roi", s'est installé dans le paysage baroque français au point d'en devenir - au moins sous l'angle vocal - le symbole incontournable. Non seulement la production des Arts Florissants, William Christie et Jean-Marie Villégier s'est exportée (jusqu'à New York), non seulement elle a bénéficié de plusieurs reprises dans les années 90, mais encore a-t-elle connu un come back spectaculaire en 2011. Nous avions largement pu alors apprécier, lors des reprises de Paris et Versailles, cette capacité que seuls les chefs d'œuvres peuvent revendiquer : savoir perdurer, continuer d'émouvoir, au-delà de la marche symbolique représentée par le passage d'une génération d'artistes.

Lisandro Nesis - © selon son site
Autre preuve de santé, les sessions  d'Hugo Reyne et de sa Simphonie du Marais à La Chabotterie, donnant naissance, quelques mois auparavant, à une deuxième version discographique hautement recommandée (extraits à l'écoute simple en bas d'article). Atys respire, Atys vit, Atys essaime ! Preuve en est le choix de la Ville de Meudon, conservatrice du Potager du Dauphin, de confier à Lisandro Nesis (ci-dessus et ci-contre) et aux ensembles I Sospiranti et Quentin Le Jeune le soin de marquer la réouverture de l'Orangerie par une version "aménagée" de la tragédie lyrique due au compositeur Jean-Baptitste Lully (1632-1687) et au librettiste Philippe Quinault (1635-1688).

De quel aménagement s'agit-il ? Impossible, ne serait-ce que pour des raisons techniques, de prodiguer la totalité d'une partition aussi fournie dans un espace autre qu'un théâtre avec fosse - ou, à tout le moins, une salle de concert. Pas vraiment la destination d'une Orangerie, aux murs épais et aux voûtes un tantinet oppressantes ; en plus de glaciales, puisque ce 24 mai 2013, la température en soirée était de l'ordre de 10°C (1) ! L'idée était donc, en opérant les coupes dans la durée et l'effectif devenues indispensables, de trouver une cohérence, un fil narratif et musical qui s'éloigne le moins possible d'un drame désormais notoire.

Exit le Prologue très politique, avec ses allégories, cependant que des personnages tels que Célénus, le  Dieu du Fleuve Sangar, Morphée... sont priés de disparaître de même. Pas de Chœur non plus, les danses sont réduites (mais demeurent essentielles, avec deux danseurs figurant le Grand Dauphin et la Princesse de Conti). Enfin, l'orchestre laisse la place à un quintette (Ensemble Quentin le Jeune) composé de deux violons d'amour, un violoncelle, un théorbe et un clavecin. Ainsi épuré, Atys se voit recentré sur son triangle majeur (Atys, Sangaride, Cybèle) et sa paire des confidents (Idas, Doris), dont les échanges  - tendres, vénéneux ou tragiques, mais toujours contenus - constituent toute la grammaire.

Dagar Saskova, Esther Labourdette, Akiko Veaux - © Ville de Meudon
Resserrée de la sorte, la pièce se rapproche davantage de la Pastorale, appelée à un grand succès au siècle suivant, qu'à la Tragédie Lyrique, du moins assortie de toute la pompe que nous attachons ordinairement au Roi Soleil. Pour autant, transitant de la Cour au salon galant, Lisandro Nesis a réussi son pari. Certes, davantage centré sur les moirures de l'âme des protagonistes que sur une action compliquée ou des décors spectaculaires, ce sujet tiré d'Ovide se prête plus à une telle expérience, qu'une Armide ou un Bellérophon ! Encore fallait-il effectuer tout ce travail avec doigté - surtout, conserver la nécessaire respiration de la chorégraphie - pour conserver cette part de faste et d'éclat, qui fait d'Atys autre chose que du Bergman avant la lettre. Akiko Veaux, qui danse elle-même au côté d'Alex Dos Santos, règle des éléments de ballet suffisamment récurrents et pénétrants, pour que demeure perceptible ce complexe et fragile mélange des arts si propre à la France.

Ces deux jeunes gens se meuvent avec beaucoup de naturel dans un cadre scénique très approprié. Mathilde Étienne concentre son théâtre sur l'essentiel, en phase avec la direction musicale : sur l'estrade qu'habillent de discrets feuillages de pin (l'arbre de Cybèle, en quoi Atys sera métamorphosé à la fin), pas d'autre décor que celui constitué par les voûtes. En revanche, la dramaturge - qui a fait siennes les recherches sur les éclairages effectués ces dernières années dans l'opéra baroque - tire un parti maximum de la lumière, issue de projecteurs d'avant scène tout aussi discrets. Outre l'effet exquis produit sur les pierres mordorées, ce sont bien sûr les (très beaux) costumes et, plus encore, les visages merveilleusement expressifs (perceptibles sur les différents clichés) qui sont mis en valeur, certains pans de pénombre accentuant le caractère très pictural, comme à la chandelle, de scènes que n'aurait pas désavoué un Georges de La Tour. Elle aussi issue d'un travail poussé, la gestuelle baroque, codifiée et éloquente, où rien n'est laissé au hasard, achève de captiver le spectateur.

L. Bacro, E. Labourdette, D. Saskova - © Ville de Meudon
Et l'auditeur ? Passée l'adaptation nécessaire, tant à l'absence d'orchestre véritable (celui de Lully, dit-on, comportait soixante-dix sept musiciens, ce qui est considérable), qu'à une sonorité de cordes en boyau fort contrariée par la température et le niveau d'humidité déraisonnables, l'oreille se laisse charmer par la gaze subtile que tissent les cinq instruments. Parmi ceux-ci, le violoncelle doux-amer de Carole Carrive - au sein du continuo donc - soutient de manière très attachante cette scansion chaste et désabusée. Les chanteurs, comme il est aisé de le comprendre, sont le plus souvent à nu, ce qui les expose d'autant plus qu'ils sont, nous l'avons écrit, peu nombreux.

Sans qu'il soit question de fausser la donne en les comparant à leurs prédécesseurs des versions "complètes", tant à la scène qu'au disque, force est de les féliciter à leur tour. Tous font assaut d'une diction soignée (nantie d'une prononciation "restituée" de la langue), ce qui est essentiel dans un répertoire où toute inflexion musicale se doit de découler du poème. La voix aux fragilités encore adolescentes d'Esther Labourdette (déjà entendue avec I Sospiranti dans le programme Ténèbres de Cour, ci-dessus et plus haut) sied à merveille au personnage de Sangaride, oiseau blessé trop tôt tombé du nid que la fière, jalouse et inquiétante Cybèle de Miriam Ruggeri (ci-dessous, au fond) fait sacrifier par Atys lui-même. Dans la peau de la suivante Doris (et accessoirement de Phantase), Dagmar Saskova (ci-dessus) livre une prestation sans faiblesse.

Les deux hommes sont plus convaincants encore. La jeune basse Lucas Bacro (à la fois Idas, Phobétor et un Songe Funeste dans une scène du sommeil nécessairement raccourcie, ci-dessus) signe un sans faute. Prenant parfois le dessus sur son maître ballotté par les événements, le confident se fait narrateur, témoin, porte-parole, avec une variété d'inflexions et d'accents hautement prometteuse. En charge de l'écrasant rôle-titre, enfin, Lisandro Nesis (tout en haut et ci-dessous) s'avère fascinant. Sans être l'Atys le plus claironnant d'aigus que nous ayons entendu, il tire parti de la position plus centrale de sa voix pour restituer des affects déchirants, qu'un haut de tessiture éclatant laisse plus volontiers en retrait. Son jeu d'acteur et ses gestes sculpturaux achèvent de convaincre, et de toucher.

Voilà une ville moyenne, patrimoniale (2) mais parfois effacée, située à mi-chemin de Versailles et de Paris, qui vient de fournir de manière assez spectaculaire et à guichets fermés la mesure de son potentiel musical. À Meudon  l'assoupie de transformer l'essai.

La folie : Lisandro Nesis, Alex Dos Santos, Myriam Ruggeri - © Ville de Meudon

‣ À l'écoute simple en bas d'article  ① Acte I, Scène II, Atys & Idas, "Allons, allons, accourez tous" - ② Acte III, Scène I, Le Sommeil, "Dormons, dormons tous" - ③ Acte V, Scène VI, Cybèle, "Venez, furieux Corybantes"  Romain Champion, Matthieu Heim, Amaya Dominguez, Chœur du Marais, Simphonie du Marais, direction : Hugo Reyne ‣ © Musiques à la Chabotterie 2010.

(1) Faut-il préciser que ces conditions rendent d'autant plus méritants tous ces artistes ? Non seulement l'œuvre - même allégée - est longue, non seulement un larynx humain est ultra-sensible à la température, mais encore instrumentistes et danseurs ont-ils eux aussi à pâtir du froid. Sans parler des effets assez redoutables (et vérifiés, en la circonstance...) d'une hygrométrie élevée sur la justesse des cordes en boyau. Un grand coup de chapeau par conséquent !

(2) Outre le Grand Dauphin, donc, rappelons que Meudon s'honore de conserver la trace des mânes d'Armande Béjart, Richard Wagner, Auguste Rodin, Louis-Ferdinand Céline...

 Jean-Baptiste Lully (1632-1687) : Atys,
tragédie  lyrique en cinq actes sur un poème de Philippe Quinault (1676).
version aménagée pour cinq chanteurs , cinq instrumentistes et deux danseurs.

‣ Lisandro Nesis, Esther Labourdette, Miriam Ruggeri, Dagmar Saskova,
Lucas Bacro, chant (Ensemble I Sospiranti).

‣ Jean-Christophe Lamacque, Agnès Lamacque, Carole Carrive, Richard Civiol, Françoise Depersin,
réduction instrumentale (Ensemble Quentin le Jeune).

 Alex Dos Santos & Akiko Veaux, danse baroque.
Chorégraphie : Akiko Veaux. Mise en scène : Mathilde Étienne, assistée de Elizabeth Calleo.
Direction musicale : Lisandro Nesis.

jeudi 13 juin 2013

❛Disques❜ Agogique, Violaine Cochard, Stéphanie-Marie Degand • J. Duphly & W.-A. Mozart, J.-S. Bach : entre enfance et maturité, chemins de traverse et de confidence.

Un disque AgOgique pouvant être commandé ICI
Des rapports de Wolfgang-Amadeus Mozart (1756-1791, portrait plus bas) avec la France, le biseau de la postérité s'est échiné à retenir le triste bilan de son troisième voyage à Paris (de mars à septembre 1778), soldé comme on sait par un sentiment d'échec, qu'accrut le décès, sur place, de sa mère, Anna-Maria, le 3 juillet. La correspondance est de fait peu amène, au point qu'une lecture superficielle y décèlerait volontiers un constat d'accablement, si ce n'est de règlement de comptes (1).

Cela n'a malgré tout pas empêché ce séjour d'inspirer de magnifiques chefs d'œuvre destinés au Concert Spirituel, tels que la Symphonie 'Paris', le Concerto pour flûte et harpe - et surtout l'incomparable Symphonie Concertante, pour violon et alto, qui parle un langage Gossec (1734-1829, ami de Mozart) plus vrai que nature. Mais les capacités  sidérantes du compositeur à assimiler les idiomes les plus divers n'ont guère attendu l'âge, pour lui avancé, de vingt-deux ans pour éclater au grand jour. Ce n'est pas tant sa deuxième venue dans notre capitale - un intermède, de mai à juillet 1766 - que la première, de novembre 1763 à avril 1764, initiant la grande tournée européenne de "l'enfant prodige", qui le démontre. Preuve à l'appui, le présent disque AgOgique, neuvième du nom, consacré par la claveciniste Violaine Cochard et la violoniste Stéphanie-Marie Degand (portraits plus bas), non seulement à Mozart... mais aussi à Jacques Duphly (1715-1789, portrait ci-dessous).

Ainsi que l'expliquent les deux artistes avec un didactisme limpide, dans leur texte de présentation, l'association de ces deux personnalités - que tout semble séparer, en particulier la nationalité et l'âge - n'a rien de saugrenu. L'accueil des Mozart par Victoire de France, l'une des filles de Louis XV et Marie Leszczyńska, constitue un astucieux trait d'union, puisque Duphly avait offert, quinze ans auparavant, son deuxième livre de Pièces de clavecin à "Madame Victoire". Le jeune Salzbourgeois compose déjà, et ne tarde pas, à son tour, à honorer son hôtesse et la dame de compagnie de celle-ci de deux Sonates chacune, soit un total de quatre (K. 6 à K. 9) que Leopold Mozart fait publier sur place (2). Le Rouennais quant à lui, petit-fils de l'organiste Jacques Boyvin, a à cette date mis au jour trois de ses quatre Livres consacrés au clavecin, rejoignant quant à l'instrument une concurrence aussi abondante que relevée : Couperin, Clérambault, Mondonville, Daquin, Corrette, Forqueray, Royer, Le Roux, D'Anglebert, Rameau...

J. Duphly (1715-1789)
À la manière de quelques illustres pairs, Duphly donne à ses Pièces les noms de leurs dédicataires : La De May, La Du Tailly, La Madin... Les artistes, à nouveau : "(...) Le temps de Louis XV pourrait être placé sous le signe du plaisir. (...) On parle de style galant ; la musique quitte, en apparence tout au moins, la rigueur du contrepoint ; c'est aussi l'éclatement de la Suite (succession de danses) au profit de pièces de caractères ou imitatives, ou encore de portraits mondains (...)". Voilà l'une des martingales de ce disque : le style galant, apanage de la France avant d'y passer de mode, moment de bascule entre - schématiquement - le baroque et le classique - cueilli au moment précis où les terres germaniques, pour leur part, se vautrent dans les tourments passablement exhibitionnistes du Sturm und Drang.

Galanterie, d'ailleurs, ne signifie aucunement superficialité, mais bel et bien un art de vivre, raffiné et élégant, tout en pudeurs et en non-dits, perceptibles en creux. D'un certain point de vue, cette forme de détachement, à la marge du moins, ne serait pas complètement étrangère à la sprezzatura transalpine : un argument de plus en faveur de Goûts Réunis. Surtout, elle est exquisément en phase avec les autres arts du temps, par exemple les esquives d'un Jean-Honoré Fragonard (1732-1806), telles que brossées dans Les Baigneuses (ci-dessous)... une toile remontant exactement aux années qui nous intéressent.

Jean-Honoré Fragonard, Les Baigneuses (1765), Paris, Musée du Louvre
Pas une des six pages de Jacques Duphly retenues ici qui ne ravisse le cœur et l'esprit, depuis cette Ouverture fort bien nommée, jusqu'à La De Casaubon qui referme l'album. Ce sont cependant La De May (extrait en libre écoute sur la page YouTube de l'éditeur) et La Du Tailly (à l'écoute en bas d'article) qui nous élèvent le plus l'âme : de la première nommée, retenons la mélancolie à fleur de peau, comme un trait de fusain, et ce qui constitue l'âme de cette rencontre : la connivence. Un baiser volé dans une alcôve, un effleurement, un secret partagé, c'est encore ce que suggère la seconde, la plus développée et sans doute la plus complice de ces gemmes, dont la partie de dessus - de violon, donc - expressive et chastement tendre, évoque une scène d'opéra en miniature... pourquoi pas de ce délicieux Rose et Colas que Pierre-Alexandre Monsigny (1729-1817) et Michel-Jean Sedaine (1719-1797) confièrent, en ce même millésime 1764, à l'Hôtel de Bourgogne !

Violaine Cochard & Stéphanie-Marie Degand - © Lionel Renoux
Et Wolfgang Amédée Mozart ? Le garnement d'à peine huit ans n'a pas besoin de séjourner longtemps entre les jupes de ses protectrices pour saisir et s'approprier le sens du vent, à telle enseigne que la décalcomanie surpasse presque les originaux. Ces Sonates d'extrême jeunesse, parfois regardées avec condescendance, sont l'illustration d'une maturité exceptionnellement avancée, où la maîtrise de l'écriture le dispute à celle de l'assimilation. En fait, il ne lui aura fallu que quelques semaines pour savoir composer de la musique française - mieux, parisienne. Pas uniquement avec les dansants Menuets (l'effet pastoral de bourdon à la fin de la K. 9 ! de la pure Toile de Jouy, dont la manufacture vient à peine de prendre son essor). En fait, il en compose avec tout. Parisien, l'Andante de la K. 6, pris ici a tempo giusto, en forme d'hommage délicat à un Marivaux tout juste disparu (ces deux extraits à l'écoute en bas d'article)  ; parisien encore, cet Allegro de la K. 8 annonçant, in loco, Les Petis Riens de quatorze ans postérieurs ; parisien toujours, l'Adagio de la K. 7 (extrait en libre écoute sur le site de l'éditeur), ineffable et déchirante caresse où semble résonner le "M'aimez-vous, m'aimez-vous vraiment ?" que les biographes lui ont prêté à cet âge.

W. - A. Mozart (1756-1791)
La complicité, c'est ce qui unit d'évidence les deux instrumentistes (plus haut), dont l'expérience fusionnelle du jouer ensemble est perceptible dès la première mesure. Le mordant (3) de Stéphanie-Marie Degand, qui tire de son Gagliano napolitain des accents pénétrants et parfois crus, s'arcboute sur le toucher virtuose et arachnéen - quoique sans faiblesse, ni afféterie - de Violaine Cochard, dont le Christian Kroll lyonnais égrène un son perlé et berçant, comme filé par le doux mouvement d'une quenouille, ou inspiré par les ciels déjà rococo d'un François Boucher (1703-1770, plus bas).

Si les musiciennes prennent soin de souligner l'exceptionnelle qualité de leurs instruments (à noter, les précieux détails sur la différence des archets, de Duphly à Mozart), il est évident que ni leur technique, ni leur sens de l'écoute, ni leur parfaite restitution du goût français parvenu à la fin d'un cycle, celui de l'Ancien Régime, ne parviendraient à nous émouvoir à ce stade... sans le niveau superlatif d'une prise de son qui restitue tous les harmoniques avec beaucoup de moelleux. Ce qui, au sujet  d'AgOgique (voir chronique Bach plus bas) constitue rien moins qu'une surprise, ce label étant l'un des plus pointus que nous connaissions, tout spécialement en ce domaine.

Boucher, Automne pastoral, 1749, Wallace C°, Londres
Ce fascinant travail d'artisans, notamment celui de deux comparses manifestement parvenues au faîte de leur art, s'il est avant tout un Salut à la France, est bien davantage que cela. Nous l'avons relevé, il tisse des écheveaux multiples, entre les artistes, entre les  époques et les compositeurs,... ce qui est inappréciable à l'égard d'un Jacques Duphly toujours mal compris et méconnu, y compris dans son pays. Inappréciable, ce l'est peut-être plus encore pour l'appréhension historiquement informée d'un Wolfgang-Amadeus Mozart.

Ainsi placé, avec intelligence et sensibilité, dans un contexte aussi défini que rigoureux, l'Autrichien le plus célèbre de l'histoire s'impose (à l'instar d'un Johann-Christian Bach ou d'un Franz-Joseph Haydn), dès son plus jeune âge, comme un Européen opportuniste et convaincu qui avait les meilleures raisons du monde d'apprécier et de faire sienne la culture de l'Hexagone. Si Cochard, Degand et AgOgique ne font rien d'autre qu'enrichir la discographie d'un jalon essentiel, c'est quelles mettent à nu, avec l'évidence la plus désarmante, cette disposition moins notoire, mais finalement assortie au reste de la légende : prodigieusement précoce.

Manière d'écrire que ce recueil, c'est l'enfance de l'Art.


‣ À l'écoute simple en bas d'article  ① Jacques Duphly, La Du Tailly - ② Wolfgang-Amadeus Mozart, Menuets de la Sonate n°4 K. 9 - ③ Wolfgang-Amadeus Mozart, Andante de la Sonate n°1 K. 6  Stéphanie-Marie Degand, violon baroque - Violaine Cochard, clavecin ‣ © AgOgique 2013.

(1) "Les Français sont et restent des ânes ; ils sont incapables..." et "Si seulement cette maudite langue n'était pas si misérable pour la musique ! C'est abominable - la langue allemande semble divine en comparaison! Et puis les chanteurs et les chanteuses...(...) braillent à plein gosier, du nez et de la gorge !" sont des exemples éloquents de l'agacement de Mozart vis-à-vis de l'Hexagone, tel que relaté à son père Leopold.

(2) Selon certains musicologues, bien que les quatre œuvres aient été publiées à Paris, la plus ancienne, K. 6, peut avoir été écrite antérieurement, à Salzbourg.

(3) Ce mot est limitatif. En fait, nous ne savons qu'admirer le plus, entre une variété sidérante de coups d'archet - voir plus loin notre remarque sur les deux différents sollicités ici - et un usage, d'autant plus prenant qu'il est discret, de l"ornementation.


 Jacques Duphly (1715-1789) - Ouverture, La Du Tailly, La De Valmalette,
La De May, La Madin, La De Casaubon -

‣ Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) - Sonates pour clavier avec accompagnement de violon, K. 6 à K. 9.

Stéphanie-Marie Degand, violon Joseph & Antoine Gagliano de 1770 -
Violaine Cochard, clavecin Christian Kroll de 1776.

 Un disque AgOgique pouvant être commandé ICI.



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Un disque AgOgique pouvant être commandé ICI
Au début de 2012, c'est également à Violaine Cochard (portrait ci-dessous) qu'a échu - après le feu d'artifice liminaire de La Nascita del Violoncello - l'honneur d'ouvrir la série des enregistrements AgOgique  cette fois en solitaire, en proposant un programme Bach, qui peut se lire, et s'écouter, autant sous la forme d'un manifeste, que sous celle, moins militante mais tellement plus éloquente, d'un carnet personnel... voire une confidence.

Ce disque ne saurait vraiment s'apprécier sans le lien étroit qui associe l'artiste à ses deux alter ego, en l'occurrence le facteur et restaurateur de clavecins Laurent Soumagnac, et la preneuse de son Alessandra Galleron, fondatrice du label. Au premier, Cochard doit le retour en pleine lumière d'un fastueux Joannes Daniel Dulcken fabriqué à Anvers aux alentours de 1740, auquel elle déclare, comme à un être de chair, son coup de foudre ; il s'agit ici du premier enregistrement qui lui est consacré. Avec la seconde, la claveciniste sait à qui elle s'adresse, puisqu'elle a travaillé avec la même technicienne pour ses deux doubles - et superbes - CD Couperin consignés naguère chez Ambroisie (reproduction des visuels et liens en fin d'article).

Le déroulé peut prêter à interrogation : s'agit-il - pour parler "moderne" - d'un digest, d'un patchwork ? De partita en suite anglaise, de prélude et fugue en toccata, nous voici entraîné dans ce qui est à tout le moins un collage, ne présentant a priori aucune autre unité organique que Bach et le clavecin. Certains puristes pourront s'en offusquer, et soupçonner là quelque ricochet, auprès d'un éditeur indépendant, d'une entropie plus générale très perceptible chez les "majors", visant à substituer des récitals à des œuvres complètes. Pour en rester au Cantor de Leipzig, serait-ce une démarcation de ce qu'ont pu offrir sous la célèbre étiquette jaune, des cantatrices comme Anne Sofie von Otter et Nathalie Stutzmann : une ballade absolument somptueuse, mais dépourvue de fil rouge explicite ? Pas du tout : le démenti réside autant dans le choix subjectif de la soliste elle-même, telle qu'elle s'en ouvre dans la riche notice, que dans celui de l'instrument, qui l'éclaire.

Violaine Cochard - © Mariana Depozzi - © AgOgique
C'est Laurent Soumagnac, ès qualités, qui fournit les clés du labyrinthe. Illustrations à l'appui, l'artisan détaille des points de facture fondamentaux ; particulièrement ceci, au sujet du son : "la couleur sonore de ce clavecin a sans doute évolué lors du décor réalisé par Michæle Albani à Venise en 1764 (?). Pour réaliser ce décor baroque très chargé, M. Albani a sculpté "en rocaille" l'éclisse extérieure, la joue et la pointe. Cette sculpture a ôté par endroits la moitié de l'épaisseur de bois prévue par J. D. Dülcken. On se rapproche de l'épaisseur d'une éclisse de clavecin italien. De ce fait, on peu penser que la minceur résultant de ce décor, est à l'origine de la sonorité très cristalline, certes très flamande mais aussi un peu italianisante, de ce magnifique instrument." Le plus important est bien sûr à la fin : "flamande et italianisante", autant dire que ce Dulcken - là encore - porte en  lui le syncrétisme d'une certaine déclinaison de Goûts Réunis.

J.-S. Bach (1685-1750)
Une experte de François Couperin telle que Violaine Cochard ne pouvait pas ne pas se saisir du cadeau ! Mais alors, pourquoi Johann Sebastian Bach (ci-contre) ? Seulement pour son "[alliance de] brillance et raffinement" ? Certes, la prise de son, du même niveau d'excellence que le reste de la collection AgOgique, met le doigt (c'est bien le mot) sur ces deux lignes de force essentielles du génie de Bach, se lovant avec le plus grand naturel dans le "métissage" revendiqué par le clavecin. Pour autant, ce n'est pas tout : ce Bach-là sonne, aussi, français. Ce n'est pas qu'une question de titres de quelques danses extraites des Suites, quoique cet aspect formel ait son importance ; c'est - mieux - une affaire de toucher, de respiration, de résonance, de délié. La clarté est ici le maître mot ; et pourquoi pas le chant ! Un chant sobre, ne paraphrasant pas une harmonie ou contrepoint qui disent déjà tout, mais conviant l'auditeur, avec tact, à suivre des épanchements dont l'intimité n'altère jamais la pudeur (1).

À télécharger ICI
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Il n'est plus que de s'imprégner d'un itinéraire affectif (terme employé par Cochard elle-même) dont la logique coule tellement de source, qu'il ne vient pas à l'idée de parler d'extraits, de morceaux, de mouvements, ou de tout autre segment. Pas une pièce qui ne soit preuve d'amour, puisque nous n'avons qu'elles, avec mention spéciale envers l'immense Toccata BWV 813, variée et translucide . Et, à l'opposé, l'éphémère et  pourtant obsédant Prélude BWV 999 (à l'écoute en bas d'article). Enfin, ce n'est pas par hasard, à notre avis, que la Fantaisie BWV 922 scande son troublant la mineur au centre de gravité exact de l'album : elle en est l'essence même.

"Fantaisie" : le mot est tout simplement dans le titre ! Il nous suffit de suivre la guide.


‣ À l'écoute simple en bas d'article  ① Gigue de la 1° Partita BWV 825 - ② Prélude en ut mineur BWV 999 - ③ Sarabande de la Suite BWV 823  Violaine Cochard, clavecin ‣ © AgOgique 2012.

(1) D'un certain point de vue, l'artiste annonce assez précisément de quel point de croix sera fait le disque à suivre, c'est à dire le Duphly/Mozart (chroniqué plus haut).

 Johann Sebastian Bach (1685-1750) - Préludes et autres fantaisies -
Violaine Cochard, clavecin Joannes Daniel Dulcken restauré par Laurent Soumagnac.

‣ Pièces isolées et extraits de Suites et Partitas réunies au gré de l'imagination de la claveciniste.


 Un disque AgOgique pouvant être commandé ICI.