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samedi 9 novembre 2013

❛Livre❜ Actes Sud - Classica • À la découverte de Jules MASSENET (1842-1912) avec Jacques BONNAURE...

Un livre Actes Sud - Classica pouvant être acheté ICI
Si Jules MASSENET peut sans nul doute être considéré comme l’un des « mal aimés » de la musique française – nul n’est prophète en son pays, adage d’autant plus vérifiable en France ! – force est de constater que, pour autant, il a d’ores et déjà fait l’objet de multiples ouvrages biographiques.

Citons d’abord le volumineux Massenet, l’homme, le musicien (1908) de Louis SCHNEIDER et Mes souvenirs (1912), supposée autobiographie qui n’est en réalité qu’un recueil d’entretiens effectués par le journaliste Gérard BAUER, et n’a par conséquent rien d’autographe. Ces deux publications ont en commun d’avoir été éditées du vivant du compositeur. La première a notamment le mérite, en dépit de quelques approximations, de constituer une précieuse base de données, en abordant synthétiquement les œuvres majeures de MASSENET, le tout accompagné d’une très riche iconographie.

La seconde laisse davantage perplexe quant à la fidélité des récits retranscrits. On peut par exemple s’étonner lorsque MASSENET, évoquant à de nombreuses reprises ses trois petits enfants, Marie-Magdeleine, Olivier et Pierre BESSAND, à qui il dédie ses témoignages, s’adresse à eux en employant la formule itérative « mes chers petits enfants », quelque peu surfaite et infantilisante si l’on considère le fait que les deux aînés avaient déjà respectivement vingt-trois et vingt-et-un ans…

Je ne détaillerai pas les nombreuses erreurs contenues par ailleurs dans cet ouvrage, erreurs fort heureusement corrigées par Gérard CONDÉ dans la réédition annotée de 1992. Il est d’ailleurs surprenant que MASSENET lui-même n’ait pas demandé de rectifications en amont, ou même en aval de ces parutions… Peut-être faut-il mettre cette négligence sur le compte de son état de santé déjà bien dégradé à l’époque, néanmoins associé à une « hyperactivité » artistique, les deux ne lui laissant guère le loisir de se pencher sur ce genre de « détails ».

Puis vinrent les biographies rédigées par René BRANCOUR en 1922, et Alfred BRUNEAU, disciple du compositeur, en 1935. Là encore, quelques déceptions. BRANCOUR commet plusieurs erreurs biographiques, chronologiques et musicologiques (1). Quant à BRUNEAU, ayant été l’élève du maître, on l’aurait souhaité plus pointu dans ses descriptions.

Livre pouvant être acheté ICI
Il aura donc fallu attendre les travaux de Pierre BESSAND-MASSENET, petit-fils du compositeur, et de son arrière-petite-fille adoptive (2), Anne BESSAND-MASSENET pour être assuré de la solidité des références qu’ils ont fournies dans leurs ouvrages respectifs, Massenet (1979) et Jules Massenet en toutes lettres (2001, ci-contre). Ce dernier doit d’ailleurs faire prochainement l’objet d’une réédition bilingue par l’intermédiaire d’un éditeur américain. On retrouve dans ces deux productions la rigueur de l’historien et celle de l’iconographe, tous deux passionnés et fermement disposés à promouvoir l’œuvre de leur aïeul. N’oublions pas non plus de citer les travaux de recherche, très détaillés, de Jean-Christophe BRANGER, professeur à l’Université de Saint-Etienne.

Lorsqu’en novembre 2011 - centenaire de la disparition approchant - Jacques BONNAURE (photographie plus bas) (3) publie à son tour chez Actes Sud, collection Classica, une biographie intitulée « Massenet », le défi s’avère d’emblée délicat. Il s’agit en effet de ne pas retomber dans les mêmes erreurs que les ouvrages précurseurs, ni dans le piège du pastiche. De surcroît, la difficulté pouvait également résider dans le fait de chercher à vulgariser la thématique sans pour autant la survoler, autrement dit, comment synthétiser en cent quarante pages un champ aussi vaste que la vie et l’œuvre de Jules MASSENET, sans risquer d’en omettre les points les plus importants. Et force est de constater que Jacques BONNAURE esquive avec une certaine habileté ces différents écueils. Certes, il subsiste dans son écrit quelques approximations, tout du moins quelques raccourcis, qui n’altèrent cependant que très faiblement la valeur du récit (4).

Jules MASSENET vers la fin de sa vie, à Égreville
Jacques BONNAURE a particulièrement bien cerné et retranscrit la posture intermédiaire de l’œuvre de MASSENET dans la musique française, entre une Ecole post-romantique à son crépuscule et la modernité émergente de l’impressionnisme et du symbolisme, à l’orée – à quelques années près – des Années Folles. Vue sous cet angle, oui, la musique de Jules MASSENET est bien, au sens strict, une musique « fin de siècle », une forme de transition entre deux époques. Faisant le parallèle avec la longévité de SAINT-SAËNS, l’auteur précise très justement que « MASSENET, qui n’a vécu que soixante-dix ans, est tout de même né avec Nabucco et mort avec Pierrot lunaire, en pleine explosion du cubisme » (p. 14).

Il souligne également qu’à ce titre, l’œuvre de MASSENET, si elle peut paraître suspecte, l’est essentiellement parce qu’on y « trouve un peu de tout ». MASSENET est, ne l’oublions pas, un homme de l’expérimentation stylistique (5). Et ce qui a pu vivement agacer ses contemporains comme ses détracteurs actuels, c’est ce polymorphisme musical, doublé du fait qu’avec des systèmes harmoniques et des thématiques lyriques simples, sans artifices, ses compositions émeuvent.

Pour revenir plus précisément au travail de Jacques BONNAURE, il me faut souligner la très belle qualité d’écriture, à la fois stylée et fluide, qui fait que cette biographie se lit quasiment comme un roman. J’ai particulièrement apprécié les intitulés des différents chapitres, présentés sous forme de petites sentences énigmatiques, pour certaines pleines d’humour (le premier chapitre par exemple « Où il sera question de marteaux et de faucilles plus que d’opéra… » ou le cinquième, « Qui prouve que tous les sphinx étonnants ne sont pas en Égypte, mais l’on en rencontrait aussi à Amiens »…). C’est au gré de ces différents points d’étapes que l’auteur déroule habilement la carrière et la production de Jules MASSENET, s’arrêtant sur ses principales compositions pour les décrire succinctement.

Jacques BONNAURE - © non précisé
Les annexes qui sont rattachées à cette biographie sont fort utiles. Une chronologie permet d’avoir un aperçu rapide des points clés de la vie du compositeur et de son œuvre. La biographie sélective renvoie évidemment aux ouvrages mentionnés en introduction de cet article, sans oublier d’indiquer quelques références internet intéressantes. Pour précision, le site de l’Association Massenet Internationale est actuellement en refonte, d’où son accessibilité limitée, qui n’a d’autre raison que fonctionnelle, non par prosélytisme. La discographie sélective fournit les principales orientations possibles, aussi bien pour l’œuvre instrumentale que pour l’œuvre lyrique et mélodique de MASSENET.

En conclusion, la biographie écrite par Jacques BONNAURE s’avère globalement bien référencée, remarquablement rédigée, et elle constitue indiscutablement un support de vulgarisation efficace afin de se familiariser avec la vie et l’œuvre de Jules MASSENET. Mon seul regret de lecteur et de « Massenet-phile » impénitent est que ce livre ne laisse pas davantage transparaître, au-delà du musicien lui-même, l’homme, dans son intimité familiale, sa psychologie, son humour également… autant d’aspects qui ont eu une indiscutable influence sur son œuvre et qui fournissent, lorsqu’on les connaît, de nombreuses clés de lecture.

S’intéresser, par exemple, à la relation de MASSENET avec les femmes, à sa transposition dans ses opéras, sans détailler davantage le véritable calvaire matrimonial qu’il vécut pendant près de quarante-cinq ans, me paraît un peu décevant. A partir de là, on comprend que de nombreuses héroïnes de ses opéras (Grisélidis, Thérèse, Charlotte…), femmes de devoir, sont véritablement l’antithèse de l’épouse du compositeur… Mais là encore, je ne blâme nullement l’auteur, sans aucun doute contraint par le cahier des charges de l’éditeur à limiter le volume de sa production.

Quoiqu’il en soit, cette biographie de Jacques BONNAURE est une très honorable entrée en matière pour qui veut découvrir Jules MASSENET.



(1) L’exemple le plus aberrant tient aux deux premières phrases du livre : « Jules-Emile-Frédéric MASSENET naquit le 12 mai 1842 à Montaud, non loin de Saint-Etienne. Il fut le dernier des vingt et un enfants d’un ancien officier qui avait servi le premier empire… »… Pauvre madame MASSENET mère ! Tempérons les choses en précisant que Jules MASSENET était le douzième enfant de son père, plus précisément le quatrième et dernier d’un second mariage ! Cette erreur fut d’ailleurs commise du vivant même du compositeur. Anne MASSENET m’a montré un petit document autographe qu’elle conserve, sur lequel est écrit entre guillemets « 21 enfants », suivi des signes « +++++++++++++ » !

(2) Pour autant Anne BESSAND-MASSENET est bien issue de la famille du compositeur. Elle est l’arrière-petite-fille de son demi-frère Camille. Pierre BESSAND-MASSENET, sans descendance, l’adopta à l’âge adulte.

(3) Jacques BONNAURE est professeur agrégé de lettres et critique musical pour La Lettre du musicien, Opéra Magazine et Classica. Il est également l’auteur d’une biographie consacrée à Camille SAINT-SAËNS parue chez Actes Sud en 2010. Il est en outre membre de l’Association Massenet Internationale.

(4) Le père de Jules MASSENET ne fut pas auditeur libre à l’École des Mines, mais à Polytechnique, en 1804 (p. 19). Il avait été, antérieurement, élève à l’École des Mines de Saxe et étudiant à l’Université de Strasbourg. Lorsque l’auteur évoque également le fait que chez les MASSENET, dans les années 1848, « on économise sur les chandelles » (p. 23), il faut somme toute relativiser la chose… Quand il qualifie le jeune MASSENET de « garçon sérieux », là encore, nuançons… L’adolescent qu’était MASSENET était sérieux du point de vue de l’étude, mais tout de même assez turbulent, ce qui lui valut par exemple de se faire ramener chez sa sœur par la maréchaussée après quelques désordres intempestifs causés par ses camarades et lui dans les rues de Montmartre…

De la « Suite pour Orchestre n° 1 », créée sous la direction de Jules PASDELOUP en 1867, on ne saurait dire catégoriquement qu’elle recueillit unanimement des suffrages favorables. Certes le public, spontanément, approuva, mais la critique journalistique fut assez acerbe. Concernant la mort de Georges BIZET (p. 55), selon l’étude très bien documentée du Pr Richard TREVES (2001), il est vraisemblable qu’elle soit due à des complications cardiaques du rhumatisme articulaire aigu dont souffrait le compositeur depuis l’âge de vingt-et-un ans, suite à des angines itératives et mal soignées, et non à une rupture d’anévrisme ou aux complications d’une pneumonie, ainsi que l’ont avancé d’autres auteurs.

Le rôle de Chimène, dans Le Cid, n’est nullement conçu pour une voix de mezzo-soprano, ainsi que l’affirme l’auteur (p. 81). Il suffit, pour s’en convaincre, d’analyser l’étendue vocale et surtout la tessiture du rôle, véritablement conçu pour soprano dramatique, et faire un rapide bilan des autres rôles chantés par sa créatrice, Fidès DEVRIES, pour s’apercevoir qu’elle n’avait pas à proprement parler une voix de mezzo-soprano : Marguerite dans Faust, Ophélie dans Hamlet, Agathe dans le Freischütz, Eudoxie dans La Juive, Elvira dans Don Giovanni… Semblablement, considérer le rôle de Charlotte, dans Werther, comme un soprano dramatique (p. 88), peut être sujet à débat… Lucy ARBELL, citée en qualité de fille du philanthrope Richard WALLACE (p. 139), est en réalité sa petite-fille. Le créateur du rôle d’André dans Thérèse, à Monte-Carlo, en 1907, fut Hector DUFRANNE, et non Henri ALBERS (p. 141). Ce dernier reprit effectivement le rôle à Paris en 1911, DUFRANNE étant alors en troupe à Chicago.

(5) On peut dire de MASSENET qu’il a oscillé entre post-romantisme à la française, tentations wagnériennes et naturalisme. Il est le compositeur de la multiplicité des thématiques (Antiquité gréco-romaine, XVIIIe siècle, Moyen-Age, mythologie persane et hindoue, références bibliques…), du grandiloquent et aussi de l’intime, mais encore le partisan d’une instrumentation inventive (il réintroduit des instruments antiques dans Thaïs, fait fabriquer des fac-similés de trompettes médiévales pour Le Cid, remet le clavecin au goût du jour dans Thérèse, sans oublier l’intervention spectaculaire de dix darbourkas dans Cléopâtre).

vendredi 4 octobre 2013

❛Disque❜ Indésens, Solenne PAÏDASSI & Laurent WAGSCHAL • Dans l'intimité d'un magnifique concert à ILLIERS COMBRAY, en compagnie de M. de VINTEUIL...

Un disque Indésens pouvant être acheté ICI
Redoutable programme, que celui qui nous est proposé dans ce nouveau disque du label Indésens... Effectivement, les Sonates regroupées ici - notamment celle de César FRANCK (1822-1890) - ont tenté les plus grands archets, et ce, presque depuis les débuts du gramophone et autres cires, ou rouleaux. Et si elles les ont tentés, le moins que l'on puisse dire est que les réussites sont légion !

Redoutable encore, car les deux solistes ici présentés (portraits plus bas), s'ils ont déjà foulé les plus grandes scènes internationales, en y remportant de vrais succès, n'en sont pas moins à l'orée de leurs carrières. Surtout Solenne PAÏDASSI, qui n'est présente que sur un DVD, y jouant le troisième Concerto de Camille SAINT-SAËNS (déjà !) ; Laurent WAGSCHAL quant à lui ayant déjà une bonne quinzaine de disques à son actif : musique de chambre de Maurice EMMANUEL, Gabriel PIERNÉ (tiens donc), Camille SAINT-SAËNS, Gabriel FAURÉ, Jean CRAS, Claude DEBUSSY - ou Florent SCHMITT...

Marcel PROUST (1871-1922) (Jacques-Émille BLANCHE)
Redoutable enfin... car comment ne pas avoir à l'esprit l'univers proustien et la fameuse Sonate du compositeur VINTEUIL, lequel vient la jouer chez les VERDURIN, Madame tenant salon après avoir rencontré un succès parisien plus qu'honorable... C'est dans Un Amour de Swann (À la recherche du temps perdu) que cette Sonate accompagne les sentiments de Swann et d'Odette. Celle de FRANCK est présentée en tant que l'un de ses modèles... même si Marcel PROUST (ci-contre) n'a jamais confirmé – ou infirmé – cette assertion, et même si d'aucuns y ont plutôt reconnu la Sonate op. 75 de Camille SAINT-SAËNS, tout comme d'autres y ont entendu Gabriel FAURÉ).

The Art of Violin, voilà ce qui est inscrit au frontispice de ce disque : c'est un comble pour un disque censé célébrer l'école franco-belge de violon ! et pourquoi pas l'Art du Violon ? Pour autant, il est indéniable que ces trois Sonates - ainsi que la fameuse Méditation tirée de l'opéra Thaïs de Jules MASSENET (1842-1912) - incarnent la quintessence de cet art violonistique de la fin du XIX° et début du XX° siècles. Et, ainsi que PROUST nous le fait comprendre lui même à travers la Sonate de Monsieur de Vinteuil, elles sont l'archétype de la sonate pour piano et violon ; genre qui, de BEETHOVEN à SCHUMANN en passant par BRAHMS, de FAURÉ à YSAŸE jusqu'à DEBUSSY et RAVEL, a vu naître tant de chefs d’œuvre.

Solenne PAÏDASSI, © d'après son site
C'est avec un classicisme "naturel" et confondant de facilité que les deux instrumentistes abordent et mènent à leur terme les partitions offertes par cet enregistrement.

Que l'on me comprenne bien. Employant le mot de classicisme, j'évoque toutes les qualités de la grande école de violon française, représentée par Christian FERRAS, Jacques THIBAUD, Ginette NEVEU, Pierre AMOYAL, Gérard POULET, Augustin DUMAY... ou, plus récemment, Laurent KORCIA, Renaud CAPUÇON - sans omettre, par assimilation, le Belge Arthur GRUMIAUX.

Justement notoire, la Sonate de César FRANCK revendique une discographie huppée, où brillent de magnifiques témoignages : Christian FERRAS & Pierre BARBIZET, Jean HUBEAU & Olivier CHARLIER, Jacques THIBAUD & Alfred CORTOT, Yehudi & Hephzibah MENUHIN, Itzakh PERLMAN & Martha ARGERICH, David OÏSTRAKH & Svjatoslav RICHTER... Celle de SAINT-SAËNS (1835-1921) l'est un peu moins, ce qui n'a pas empêché Jean-Jacques KANTOROW & Jacques ROUVIER,  Gérard POULET & Noël LEE, Jean HUBEAU & Olivier CHARLIER... de s'y montrer à leur meilleur. Au service de l'une ou de l'autre, PAÏDASSI et WAGSCHAL ne rougissent à aucun moment face à de tels parrainages.

La découverte nous vient du merveilleux Gabriel PIERNÉ (1863-1937), un ami de DEBUSSY et disciple de FRANCK et MASSENET ! Relativement connus sont Cydalise et le Chèvre-pied, ballet panthéiste, les Paysages franciscains, ou encore le Quintette pour piano et cordes. Sa Sonate opus 36 est en effet une exquise rareté, dont le positionnement aux côtés de celles de ses aînés témoigne d'un goût particulièrement bienvenu.

Laurent WAGSCHAL, © Nikos SAMALTANOS
Dés les premières mesures de la Sonate de SAINT-SAËNS, le ton - magistral - est donné. Servie par une remarquable prise de son, la complicité des deux artistes ne se dément pas tout au long des douze plages d'un disque passionnant de bout en bout. Tour à tour rêveur et très tendre (SAINT-SAËNS), enthousiaste mais profondément lyrique (PIERNÉ) : plusieurs écoutes ne parvenant pas à percer tous les secrets de ses charmes.

Le jeu de Solenne PAÏDASSI et Laurent WAGSCHAL a ceci d'équilibré qu'il n'est ni "trop virtuose" (surtout chez FRANCK dont l'écriture peut parfois donner au soliste des idées démonstratives qui n'ont pas lieu d'être ici) ni "trop romantique" (la Méditation de Thaïs est, en ce sens, un écueil que certains violonistes n'évitent pas, transformant en guimauve une pièce qui, jouée sans mesure, peut aisément tomber dans ce travers)...

Ceci suscite grandement l'envie que ces deux acolytes inspirés - à l'instar d'HASKIL avec GRUMIAUX, d'OÏSTRAKH avec BAUER ou de FERRAS avec BARBIZET - nous guident encore pas à pas dans cet univers incantatoire ; qui sait avec des FAURÉ, LEKEU, et autres ROUSSEL ?

L'un et l'autre ont d'évidence tellement d'autres trésors à nous faire partager !


 Pièces à l'écoute simple (lecteur tout en bas de l'article)  ① Sonate de SAINT-SAËNS : Adagio ② Sonate de PIERNÉ : Allegretto   Sonate de FRANCK : Recitativo Fantasia ‣ © Label Indésens 2013.


 Camille SAINT-SAËNS (1835-1921) : Sonate - Gabriel PIERNÉ (1863-1937) : Sonate -
César FRANCK (1822-1890) : Sonate - Jules MASSENET (1842-1912) : Méditation de Thaïs.

 Solenne PAÏDASSI, violon - Laurent WAGSCHAL, piano.

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vendredi 27 septembre 2013

❛Repère❜ La relation entre Jules MASSENET (1842-1912) et Lucy ARBELL (1878-1947) • Juste une mise au point...


Lucy ARBELL en Amahelli (Bacchus), 1909 - © Réunion des Musées Nationaux
À la suite de la chronique que j’ai récemment rédigée sur la Thérèse de Jules MASSENET et son nouvel enregistrement produit par le Festival de Montpellier Radio France et le Palazzetto Bru Zane, je souhaitais évoquer rapidement les relations entre le compositeur et son ultime égérie, Lucy ARBELL (ci-contre et ci-dessous), histoire de remettre quelques pendules à l’heure…

Née le 8 juin 1878 au VÉSINET sous le nom de Georgette GALL, celle qui deviendra plus tard Lucy ARBELL est la fille naturelle d’Edmond Richard WALLACE, lui-même fils de Richard WALLACE, milliardaire et philanthrope britannique à qui Paris doit l’installation des fontaines du même nom. L’enfant n'est reconnue par son père qu’en 1884. Elle grandit certes relativement à l’écart de sa famille paternelle, mais dans un confort matériel certain. Lucy ARBELL fait ses débuts sur scène en 1903, dans Samson et Dalila, puis la même année dans Rigoletto, en interprétant le personnage de Maddalena. L’année suivante, elle chante le rôle d’Amnéris dans Aïda. La jeune cantatrice est très belle, et dispose d’un sens dramatique hors du commun.

Les circonstances de la rencontre entre Lucy ARBELL et Jules MASSENET demeurent imprécises. On sait que dès 1901 le compositeur lui dédia plusieurs mélodies, et qu’à compter de 1906 elle crée successivement les rôles de Perséphone dans Ariane (1906), de Thérèse dans l’opéra éponyme (1907), d’Amahelli dans Bacchus (1909), de Dulcinée dans Don Quichotte (1910), de Posthumia dans Roma (1912) et de Colombe dans Panurge (posthume, 1913). Elle aurait dû créer les rôles-titres de Cléopâtre et d’Amadis, le premier lui ayant été expressément dédié par le compositeur ; mais après la mort de celui-ci, elle ne put les interpréter, du moins les créer, en raison de l’hostilité de sa veuve et de sa fille. Semblablement, elle dut renoncer à un projet de film de La Navarraise.

Lucy ARBELL en Perséphone (Ariane), 1907 - © N.P.
Cette "communion" d’œuvres a semble-t-il inspiré certains, qui se sont alors autorisés à prétendre, brandissant le sensationnel, que la cantatrice aurait été "la dernière maîtresse de MASSENET" ou son "ultime grand amour"… J’entends ici m’élever contre de tels effets d’annonce, dignes des plus piètres récits à l’eau de rose, ce d’autant plus qu’ils sont généralement fort mal documentés.

En premier lieu, soyons clairs et pragmatiques, ceux qui formulent cette assertion n’y étaient pas. Qu’ils me fournissent la moindre preuve formelle d’une relation amoureuse, a fortiori charnelle, entre le compositeur et son égérie, alors je m’inclinerai. Pour l’heure, je n’ai guère d’inquiétude quant à courber l’échine !

D’autre part, nombreux sont les éléments qui s’opposent à cette éventualité.

Lucy ARBELL et Jules MASSENET ont trente-six ans ans d’écart, et lorsqu’ils se rencontrent, la santé déjà très chancelante du compositeur ne lui permet certainement guère de jouer au galant. Dès 1893, MASSENET est souvent malade. A partir de 1901, il souffre de douleurs et désordres intestinaux de plus en plus fréquents, symptomatiques du cancer qui l’emportera en 1912. En quelques années, son état physique de se dégrade d’une façon impressionnante, ainsi qu’en témoignent les clichés successifs pris par l’atelier NADAR, Henri MANUEL et Pierre PETIT (voir l'évolution de 1895 à 1912 sur les quatre portraits plus bas).

S’il est vrai que MASSENET séjourna à plusieurs reprises chez les WALLACE, avec Lucy ARBELL, à SAINT AUBIN SUR MER (ci-dessous), nous allons voir que ces escapades normandes n’avaient rien d’expressément romantique. Le motif principal de ces séjours était tout naturellement de faire travailler ses rôles à la cantatrice. Physiquement usé mais inlassable, le maître n’avait de cesse de faire répéter la jeune femme, jusqu’à l’obtention d’un résultat qu’il jugeât parfait. Lucy ARBELL elle-même décrivit, dans une lettre du 10 décembre 1911, le déroulement de ces séances :

La villa "La Favorite", propriété des WALLACE à SAINT AUBIN SUR MER, vue du jardin - © N.P.
« Pour parler du maître, je trouve bien intéressant de raconter un peu ce que sont les études avec lui.
Ah ! ce n’est pas toujours un moment agréable, car le maître, lorsqu’il apporte les pages nouvelles d’un ouvrage, voudrait que l’interprète rendît aussitôt le sentiment, le caractère, les nuances… tout, enfin. Il ne peut admettre une hésitation, il se croit à la veille d’une répétition générale… Il exige, dès le premier contact de l’artiste avec le rôle nouveau… la perfection !
Mais, lorsqu’il se sent compris, quel changement se produit ! Il est joyeux, reconnaissant ; il parle avec bonté et vous comble d’éloges. Exagération au début… exagération à la fin.
Tout s’arrange, cependant, et le maître aime tant les artistes qu’il leur donne une place d’honneur parmi les plus chers de sa famille.
Combien aussi les artistes l’aiment, l’admirent et le révèrent ! » (1)

Mais SAINT AUBIN est également synonyme pour MASSENET de sévères ennuis de santé. En août 1905, il y tombe gravement malade. Lucy ARBELL jouera alors pendant plusieurs jours l’infirmière, alors même que Ninon – la femme de MASSENET–, en villégiature à DINARD, n’estimera pas utile de rejoindre son mari. En 1911, alors que ce dernier sortait à peine de l’hôpital, c’est Ninon elle-même qui lui conseilla de se rendre à SAINT AUBIN plutôt que de passer sa convalescence à EGREVILLE, auprès d’elle.

Jules MASSENET, par l'atelier NADAR
par Henri MANUEL
On comprend donc aisément que si MASSENET séjournait effectivement en « célibataire », la plupart du temps, chez Lucy ARBELL, c’est d’abord parce que cette situation arrangeait probablement son épouse, trop heureuse de pouvoir « partir en cure thermale » seule (?) pendant des mois… Du reste, on imagine difficilement cette femme au tempérament rigide et froid « autorisant » son mari à séjourner ainsi chez une femme clairement identifiée comme étant sa maîtresse. En dehors du fait, comme je viens de l’écrire, que la présence de MASSENET, seul, chez les WALLACE, assurait vraisemblablement une certaine « tranquillité » à Ninon, il y a fort à parier que l’épouse elle-même savait pertinemment qu’elle n’avait rien de foncièrement scandaleux à en craindre.

Et puis, détail d’importance, la propriété des WALLACE voit défiler beaucoup de monde, à commencer les WALLACE eux-mêmes. Le 10 septembre 1909, MASSENET écrit à sa femme : « En ce moment, il y a le frère, lieutenant de dragons, sa femme, très jolie, le colonel et sa femme (les parents)… Si le général était encore là, ce serait une caserne ! », ajoutant que tout ce petit monde regrettait vivement son absence, « Ah ! si Madame MASSENET était ici…. Quel plaisir ce serait ! » (2). Avouons tout de même que la famille de la supposée maîtresse réclamant l’épouse supposée trompée tiendrait de la plus absurde incohérence !

Alors, certes, Ninon n’affectionne pas Lucy outre mesure. Elle la qualifiera même de « créature » dans certaines de ses lettres. Mais ce qu’elle a lieu de jalouser, ce n’est pas une hypothétique relation physique entre la jeune femme et son époux, mais plutôt leur complicité. Si MASSENET a toujours aimé son épouse – et ses lettres en témoignent –, nous sommes en droit de nous questionner quant à la réciproque. Le couple se marie en 1866. Leur unique enfant, Juliette, voit le jour en 1868. A compter de cette date et pendant les quarante-quatre années qui suivront, Ninon sera constamment sur les routes et dans les villes d’eaux, loin de son époux. MASSENET lui-même la surnommera "l’éternelle absente".

Jules MASSENET, par l'atelier NADAR
Par Pierre PETIT
La relation entre Jules MASSENET est bien sûr teintée d’admiration réciproque voire, peut-être, de tendresse, mais une tendresse sans nul doute plus proche de celle qui lierait un père à sa fille, que d’autre chose. Face à eux, une femme vieillissante, certes délibérément seule, mais nourrissant une vive amertume face un tel report d’affection.

Et ceci, Ninon le fit payer largement à l’égérie…

Elle commença, de façon tout à fait triviale par dénommer Lucy "la première vache de la ferme du château d’EGREVILLE". Mais cet affront, pour être certainement le moins grave, fut loin d’être le dernier…

Après la mort de Jules MASSENET le 13 août 1912, Lucy ARBELL eut a subir une déferlante d’animosités en tous genre de la part de sa veuve. A commencer par « l’affaire » Cléopâtre . Alors que, par codicille à son testament, MASSENET avait expressément signifié sa volonté de voir créer ce rôle-titre par celle pour qui il l’avait composé, Ninon s’employa à en écarter Lucy ARBELL. Elle fit procéder à quelque trois cent soixante-cinq modifications dans la partition, afin que ledit rôle-titre ne puisse désormais plus être chanté par un contralto, mais par une soprano. C’est donc Maria KOUZNETSOVA qui le créa en 1914. Lucy ARBELL intenta un procès qu’elle gagna en première instance. Mais Ninon fit appel pour vice de forme et, la Première Guerre Mondiale venant d’éclater, l’affaire resta lettre morte.

La Garenne, folie du XVIIIe siècle, propriété de Lucy ARBELL à BOUGIVAL.
Elle en fit don, à sa mort, à la Fondation Orphelinat des Arts - © N.P.
Quant à Amadis, le dernier opéra de MASSENET porté à la scène à titre posthume, son rôle-titre aurait également du être créé par Lucy ARBELL, selon les volontés testamentaires du compositeur. La veuve s’opposa formellement à ces dispositions, et la cantatrice ne put jamais interpréter cette œuvre.

Lucy ARBELL se retira définitivement de la scène en 1924 pour se consacrer à des œuvres charitables, notamment en faveur des orphelins. A sa mort en 1947, elle leur fera notamment don de sa propriété de BOUGIVAL (ci-dessus).

Constance de GRESSY, dite Ninon, épouse de MASSENET
© Médiathèque de SAINT ETIENNE
J’en resterai là pour ce développement, grâce auquel j’espère avoir réussi à infirmer, du moins à temporiser, les postulats les plus fantaisistes sur le sujet. Et s’il avait existé – j’emploie volontairement le conditionnel – une forme d’amour platonique entre Lucy ARBELL et Jules MASSENET, j’oserais reprendre la citation d’Andy WARHOL selon laquelle « l’amour fantasmé vaut mieux que l’amour vécu. Ne pas passer à l’acte c’est très excitant ! » (3)

Enfin, la logique du temps et de la productivité est en elle-même un très bon contre-argument aux hypothétiques nombreuses liaisons de MASSENET : s’il avait eu autant d’aventures que certains veulent bien l’affirmer, il n’aurait certainement pas autant composé ! Gustave CHARPENTIER, son élève, est, en la matière, un excellent contre-exemple. Mort à quatre-vingt-quinze ans, il n’a finalement laissé un ensemble limité d’œuvres musicales, dont bon nombre inachevées. Le constat s’impose de lui-même… (4)

Et puis après tout, n’étant pas gardien de la vertu de Jules MASSENET, je n’hésiterai pas un instant à écrire qu’avec une épouse distante et revêche comme la sienne, s’il a pu trouver quelque consolation ailleurs, il aurait bien eu tort de s’en priver. Mais là encore, discrétion oblige, il paraît peu crédible qu’il l’ait fait dans le milieu artistique. Cet argument écarte une fois de plus l’hypothèse d’une relation physique entre Jules MASSENET et Lucy ARBELL.


(1) In Mes Souvenirs, Jules MASSENET (transcription des entretiens recueillis par Gérard BAUER) Pierre Lafitte et Cie, Paris, 1912, « Massenet par ses interprètes », p. 303.

(2) In Jules Massenet en toutes lettres, Anne MASSENET, De Fallois, Paris, 2001, p. 219.

(3) In Ma Philosophie de A à B et vice versa, Andy WARHOL, Flammarion, Paris, 2001.

(4) Gustave CHARPENTIER tenait un répertoire de ses maîtresses. Comme aurait pu le dire Leporello dans Don Giovanni, "il catalogo è questo" porte le nombre des « élues » à non pas "mille e tre" mais près de trois mille ! Si l’on peut suspecter une "légère" (!) tendance de son auteur à l’exagération, l’effectif possiblement restant n’en demeure pas moins impressionnant…

mardi 24 septembre 2013

❛Disque & Livre❜ Palazzetto Bru Zane, Festival de Montpellier Languedoc Roussillon • Thérèse de Jules MASSENET : beaucoup de satisfactions... et quelques déceptions.

 Retrouvez ICI l' étude d'Hervé OLÉON sur la relation entre Jules MASSENET et Lucy ARBELL ...

Un livre-disque 'ES' pouvant être acheté ICI
De l’automne 1905 à l’été 1906, c’est un Jules MASSENET (1842-1912) déjà affaibli par le mal qui l’emportera quelque six années plus tard (1) qui s’affaire à la composition d’une nouvelle œuvre, un drame musical en deux actes intitulé Thérèse, sur un livret de son ami, le chroniqueur et dramaturge Jules CLARETIE (1840-1913). Alors que son opéra Ariane vient de faire les frais d’une critique des plus tièdes, Jules MASSENET revient, avec Thérèse, à un type d’œuvre plus intimiste dans lequel il excelle.

Il me faut préciser que l’insuccès relatif d’Ariane est la résultante de deux difficultés particulières : tout d’abord les tournures alambiquées du livret de Catulle MENDÈS (l’invocation Atroce Eros, âpre Cypris du III en est un bel exemple…), doublées du fait que les "gros ouvrages", à l’exception du Cid, n’ont jamais été la plus belle marque de fabrique du compositeur. Thérèse rejoint les autres pièces lyriques de Jules MASSENET dont l’action se déroule dans un cadre géographique très circonscrit, avec un nombre de personnage restreint. En outre, à l’instar de Manon (1884) et Chérubin (1905), Thérèse témoigne du vif intérêt que le compositeur porte au XVIII° siècle.

Jules MASSENET (atelier NADAR, 1907)
L’action se déroule au cœur de la Révolution Française. Elle s’inspire fortement de l’histoire de Madame ROLAND, l’une des personnalités phares du parti Girondin, guillotinée à Paris le 8 novembre 1793.

Le premier acte du drame s’ouvre au château de Clagny, dans les environs de VERSAILLES, en octobre 1792. André THOREL, représentant du parti girondin, a acquis aux enchères cette demeure, autrefois propriété de son ami d’enfance, le marquis Armand de CLERVAL, qui a fui en exil. Thérèse, la jeune épouse d’André, souffre de la solitude que lui imposent les absences de plus en plus fréquentes de son mari, se rendant à Paris pour y exercer ses fonctions citoyennes. Lorsqu’Armand de CLERVAL reparaît, rentré clandestinement en France, Thérèse sent se raviver l’amour qu’elle éprouvait jadis pour lui, avant d’épouser André. Tiraillée entre le feu de cette ancienne passion inassouvie et le profond respect quelle éprouve pour son mari, la jeune femme comprend avec effroi qu’un drame se noue autour d’elle lorsqu’André assure Armand de sa protection.

Jules CLARETIE (caricature d'André GILL)
Le second acte se déroule à PARIS, en juin 1793, dans l’appartement d’André et de Thérèse. Celle-ci exprime son inquiétude croissante en écoutant les bruits de la ville en effervescence, alors que l’on diffuse la liste des suspects. André s’efforce une fois encore d’apaiser son épouse. Il a obtenu un sauf-conduit qui assurera le salut d’Armand. Mais cette perspective de sérénité retrouvée est de courte durée. Les Girondins accusés de trahison, André se rend auprès de ses compagnons députés pour soutenir leur cause. Armand tente alors de convaincre Thérèse de fuir avec lui. Il est prêt d’y parvenir lorsqu’ils apprennent l’arrestation d’André, conduit à la Conciergerie et promis à une mort certaine.

Thérèse supplie Armand de partir, en lui promettant qu’elle le rejoindra plus tard. Restée seule à sa fenêtre après le départ d’Armand, Thérèse assiste au passage de la charrette menant les condamnés à la guillotine. Parmi eux, elle reconnaît André. Accablée par le désespoir elle décide de suivre son époux dans la mort. Elle invective la foule et lance, debout à la fenêtre, un tonitruant "Vive le roi !" qui lui vaut d’être aussitôt arrêtée, au milieu des cris de haine et de colère.

E. CLÉMENT & L. ARBELL, scène de l'entrevue du parc
Lorsque l’œuvre est créée à l’Opéra de MONTE-CARLO, le 7 février 1907, sous le haut patronage du prince Albert Ier, elle remporte un vif succès. Dans le rôle-titre, nous retrouvons Lucy ARBELL, ultime égérie du compositeur, dans celui d’André, Hector DUFRANNE et dans celui d’Armand, Edmond CLÉMENT. Dans la reprise à l’Opéra-Comique, à Paris, le 19 mai 1911, DUFRANNE, alors en troupe à Chicago, sera remplacé par Henri ALBERS.

Nous pouvons considérer à plus d’un titre que Thérèse (illustration ci-contre) est un véritable accomplissement de son compositeur dans la veine naturaliste. Taxé d’imitation du Cavalleria rusticana de MASCAGNI avec La Navarraise (1894), MASSENET affirme ici sa propre identité stylistique (2). Les couleurs et les contrastes de l’orchestration, la qualité du livret en prose, mais aussi la réintroduction du clavecin au Ier acte, en coulisse, dans l’exposition du thème du Menuet d’amour - sans oublier la déclamation parlée de la scène finale : tout concourt à donner à l’œuvre une facture tout à fait originale. Jules MASSENET, point fondamental, est un homme de l’expérimentation. Tout au long de sa carrière, il transforme la matière musicale, il introduit des composantes nouvelles, voire insolites, dans l’instrumentation, il recherche de nouveaux effets sonores (3).

Par voie de conséquence, son legs ne peut pas être homogène, et c’est probablement ce qui dérange. Lorsque ses détracteurs parlent de style "pompier", ils ne fondent en réalité leur argumentation très partisane que sur une fraction, certes un peu maladroite mais très limitée, de son œuvre.

Alain ALTINOGLU, chef d'orchestre, © non précisé
En amont de l’enregistrement qui nous intéresse, Thérèse a fait l’objet de trois intégrales au disque. Dans la première, datant de 1973, Huguette TOURANGEAU incarne le rôle-titre, Ryland DAVIES celui d’André et Louis QUILICO celui d’Armand, avec le New Philharmonia Orchestra, sous la direction de Richard BONYNGE (Decca). En 1981, c’est Agnes BALTSA qui tient le rôle aux côtés de Francisco ARAIZA en Armand et Georges FORTUNE en André, avec le Chœur de la RAI et l’Orchestre Symphonique de Rome, sous la direction de Gerd ALBRECHT.

Cette version, d’abord sortie en vinyle chez Atlantis, a fait l’objet d’une réédition en CD en 1996 chez Orfeo. Si ces deux lectures, pionnières, sont globalement de bonne qualité, je ne peux que regretter, dans les deux cas, un manque manifeste de finesse dans la direction orchestrale ; et semblablement, dans certains partis pris, un peu tonitruants, de l’interprétation vocale. D’aucuns auraient tôt fait - et à juste titre - de reprocher à l’œuvre une certaine lourdeur, alors qu’elle offre au contraire une palette très nuancée de couleurs musicales. La troisième lecture, enregistrée en direct en 1992, avec Jeanne PILAND, Howard HASKIN, Charles VAN TASSEL et le Noordhollands Philharmonisch Orkest, sous la direction de Lucas VIS (Canal Grande), est plus confidentielle… et gagne à le rester, tant ses interprètes sont passés à côté du sujet, stylistiquement comme vocalement.

Étienne DUPUIS (André), © non précisé
La production du Festival de Montpellier - Radio France et du Palazetto Bru Zane, enregistrée en concert le 21 juillet 2012, avait donc de quoi réjouir par avance ceux qui, comme moi, attendaient impatiemment une interprétation plus juste de Thérèse. Je dois concéder que sur ce point, la satisfaction est globalement au rendez-vous, en particulier grâce à la qualité de l’Orchestre de l’Opéra de Montpellier. Celui-ci a su, sous la baguette avisée d’Alain ALTINOGLU (notre chef de l'année 2012, photo ci-dessus), redonner à la fois tout son raffinement, sa subtilité et son essence dramatique à cette pièce musicale, certes relativement brève, mais complexe. Tantôt lumineux et léger, tantôt sombre et tragique, le "tapis" sonore de l’orchestre sonne "vrai", rien n’est surfait : tout est justement mesuré. Quant au thème du menuet joué en coulisse par l’excellente Marie-Paule NOUNOU, au clavecin, il est d’une délicatesse absolue qui en fait d’autant plus regretter la brièveté (4).

Sous l'angle du chant, le bilan est plus mitigé. Il convient d’abord de saluer la très belle prestation du Canadien Étienne DUPUIS (photo ci-contre). Sa voix de baryton aux accents juvéniles correspond parfaitement au personnage d’André. Fidèle à l’un des principes fondateurs de l’École de chant nord-américaine, sa diction est parfaite, et son phrasé des plus appliqués. Étienne DUPUIS est sans conteste la révélation vocale de cet enregistrement.

Charles CASTRONOVO (photo plus bas) dispose également d’un timbre parfaitement compatible avec le rôle d’Armand. Les harmoniques sont riches, les aigus brillants. On peut cependant regretter que sa tendance à "tuber" les sons nuise parfois à la compréhension du texte - penchant d’autant plus regrettable que, lorsque le jeune ténor s’autorise à chanter davantage sur la clarté, sa voix prend des sonorités qui ne vont pas sans rappeler celles du regretté Alfredo KRAUS. Considérons qu’étant non francophone, ce bel artiste peut toutefois bénéficier de circonstances atténuantes. Tel n’est pas le cas de tous, et pour cause.

Nora GUBISCH (Thérèse), © MusicaGlotz
En effet, Nora GUBISCH (notre chanteuse de l'année 2012, photo ci-dessus) déçoit quelque peu. S’il est évident dès les premières mesures qui lui sont imparties (Pauvres gens, braves gens…) qu’elle ne dispose pas du matériau vocal approprié pour le rôle de Thérèse, on ne saurait vraiment lui en vouloir d’avoir accepté le défi, les véritables contraltos étant en voie d’extinction en France. De Lucy ARBELL, voix un peu hybride, de qualité inégale (5), d’abord étiquetée mezzo-soprano puis contralto, nous savons, par l’écriture des rôles composés sur mesure pour elle par MASSENET, qu’elle possédait des graves larges et puissants (6).

Charles CASTRONOVO (Armand), © n. p.
Chez Nora GUBISCH, la partie inférieure du registre manque cruellement de matière : mais admettons… En revanche, sur l’articulation très approximative - surtout chez une cantatrice française - je serai beaucoup plus intransigeant. Pour le coup, je pense volontiers qu’une Anne Sofie VON OTTER, bien que Suédoise, aurait bien mieux convenu. Nora GUBISCH est également hors sujet dans le final déclamé. Là où Huguette TOURANGEAU avait proposé une interprétation un peu surannée, Agnès BALTSA, prudente, avait préféré de son côté s’en tenir à la version chantée initialement composée par MASSENET. L’intention donnée par Nora GUBISCH se rapproche malheureusement davantage de la folie d’Anita dans La Navarraise, que du désespoir lucide voulu ici par le compositeur et le librettiste.

Quel dommage ! Pour reprendre une expression qui n’a rien de musical, mais résume pourtant bien les choses : "essai bien tenté, mais non transformé"...

Afin de terminer cette recension par une nouvelle note positive, il convient de saluer la tenue tout à fait honorable des petits rôles, François LIS en particulier, dans le personnage de Morel. De plus, les brèves interventions des Chœurs de l’Opéra de Montpellier sont précises et justes. Les bruits de foule et les interventions parlées sont savamment dosés, conférant à l’ensemble un rendu très réaliste.

Lucy ARBELL, affiche création 1907
C’est donc une "résurrection" partiellement réussie qu’offre cet enregistrement. Ses qualités s'ajoutent à celles des versions antérieures. La dynamique et la couleur de l’orchestre de l’opéra de Montpellier, la pertinence des interventions secondaires et la très convaincante interprétation d’Étienne DUPUIS en font foi. Charles CASTRONOVO, de son côté, se tire plutôt bien de cet exercice de style, en dépit de quelques défauts de prononciation à mettre sur le compte de contestables choix de technique vocale. Quant à l’interprétation du rôle-titre, qu’en dire de plus, si ce n’est qu’elle n’a hélas pas l’éclat tant souhaité... Sans ces deux objections, la dernière n'étant pas la moindre, nul doute que cette nouvelle production aurait pu s'imposer comme une véritable référence.

Le mot de la fin signalera la très belle qualité du support, présenté sous la forme, habituelle  chez Ediciones Singulares, d’un livre-CD. Les graphismes, la qualité du papier et le contenu très intéressant des textes qu’il contient, ajoutent indiscutablement à son attractivité.


(1) Dès 1893, Jules MASSENET souffre de douleurs abdominales de plus en plus violentes, symptomatiques d’un cancer du côlon, d’évolution lente.

(2) Il l’avait déjà fait en 1897 avec Sapho, sur un livret d’Alphonse DAUDET, dont le rôle-titre avait été composé spécialement pour la soprano Emma CALVÉ.

(3) Il utilisera ainsi le saxophone dans Le Roi de Lahore (1877) et Hérodiade (1881), dix darboukas dans Cléopâtre (création posthume, 1914) et l’électrophone dans le poème symphonique Visions (1891). Il fait fabriquer des copies de trompettes médiévales pour Le Cid (1885) et réintroduit également des instruments antiques dans Thaïs (1894).

(4) Dans l’enregistrement de 1996, Gerd ALBRECHT avait cru bon de remplacer le clavecin par l’association cordes-harpe qui reviendra effectivement en réminiscence dans l’ouverture de l’acte II. Ce faisant, il a malheureusement supprimé le caractère insolite de ce très beau passage…  

(5) Dans sa biographie intitulée Massenet (1934), Alfred BRUNEAU, disciple du compositeur,
relate qu’il la qualifia même de "contralto blafard" dans l’une de ses chroniques musicales.

(6) MASSENET évoquait dans ses Souvenirs (1912) les "accents graves et veloutés de sa voix de contralto".


 L'intégrale de l’enregistrement de 1981, BALTSA/ARAIZA/FORTUNE/ALBRECHT : Acte I & Acte II



 Jules MASSENET (1842-1912) : Thérèse, drame musical en deux actes,
sur un livret de Jules CLARETIE (MONTE-CARLO, 1907).

‣ Nora GUBISCH : Thérèse - Charles CASTRONOVO Armand de CLERVAL -
Étienne DUPUIS : André THOREL - François LIS : MorelYves SAELENS : Un officier -
Patrick BOLLEIRE : Un officier, un officier municipal - Charles BONNET : Une voix.

‣ Chœur & Orchestre de l'Opéra National de Montpellier Languedoc Roussillon,
Chef de chant : Jocelyne DIENST - Chef de chœur : Noëlle GÉNY - Direction musicale : Alain ALTINOGLU.