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Il me faut préciser que l’insuccès relatif d’Ariane est la résultante de deux difficultés particulières : tout d’abord les tournures alambiquées du livret de Catulle MENDÈS (l’invocation Atroce Eros, âpre Cypris du III en est un bel exemple…), doublées du fait que les "gros ouvrages", à l’exception du Cid, n’ont jamais été la plus belle marque de fabrique du compositeur. Thérèse rejoint les autres pièces lyriques de Jules MASSENET dont l’action se déroule dans un cadre géographique très circonscrit, avec un nombre de personnage restreint. En outre, à l’instar de Manon (1884) et Chérubin (1905), Thérèse témoigne du vif intérêt que le compositeur porte au XVIII° siècle.
Jules MASSENET (atelier NADAR, 1907) |
Le premier acte du drame s’ouvre au château de Clagny, dans les environs de
VERSAILLES, en octobre 1792. André THOREL, représentant du parti
girondin, a acquis aux enchères cette demeure, autrefois propriété
de son ami d’enfance, le marquis Armand de CLERVAL, qui a fui en
exil. Thérèse, la jeune épouse d’André, souffre de la solitude
que lui imposent les absences de plus en plus fréquentes de son
mari, se rendant à Paris pour y exercer ses fonctions citoyennes.
Lorsqu’Armand de CLERVAL reparaît, rentré clandestinement en
France, Thérèse sent se raviver l’amour qu’elle éprouvait
jadis pour lui, avant d’épouser André. Tiraillée entre le feu de
cette ancienne passion inassouvie et le profond respect quelle
éprouve pour son mari, la jeune femme comprend avec effroi qu’un
drame se noue autour d’elle lorsqu’André assure Armand de sa
protection.
Le second acte se déroule à PARIS, en juin 1793, dans
l’appartement d’André et de Thérèse. Celle-ci exprime son
inquiétude croissante en écoutant les bruits de la ville en
effervescence, alors que l’on diffuse la liste des suspects. André
s’efforce une fois encore d’apaiser son épouse. Il a obtenu un
sauf-conduit qui assurera le salut d’Armand. Mais cette perspective
de sérénité retrouvée est de courte durée. Les Girondins accusés
de trahison, André se rend auprès de ses compagnons députés pour
soutenir leur cause. Armand tente alors de convaincre Thérèse de
fuir avec lui. Il est prêt d’y parvenir lorsqu’ils apprennent
l’arrestation d’André, conduit à la Conciergerie et promis à
une mort certaine.
Thérèse supplie Armand de partir, en lui promettant qu’elle le rejoindra plus tard. Restée seule à sa fenêtre après le départ d’Armand, Thérèse assiste au passage de la charrette menant les condamnés à la guillotine. Parmi eux, elle reconnaît André. Accablée par le désespoir elle décide de suivre son époux dans la mort. Elle invective la foule et lance, debout à la fenêtre, un tonitruant "Vive le roi !" qui lui vaut d’être aussitôt arrêtée, au milieu des cris de haine et de colère.
Jules CLARETIE (caricature d'André GILL) |
Thérèse supplie Armand de partir, en lui promettant qu’elle le rejoindra plus tard. Restée seule à sa fenêtre après le départ d’Armand, Thérèse assiste au passage de la charrette menant les condamnés à la guillotine. Parmi eux, elle reconnaît André. Accablée par le désespoir elle décide de suivre son époux dans la mort. Elle invective la foule et lance, debout à la fenêtre, un tonitruant "Vive le roi !" qui lui vaut d’être aussitôt arrêtée, au milieu des cris de haine et de colère.
E. CLÉMENT & L. ARBELL, scène de l'entrevue du parc |
Nous pouvons considérer à
plus d’un titre que Thérèse (illustration ci-contre) est un
véritable accomplissement de son compositeur dans la veine
naturaliste. Taxé d’imitation du Cavalleria rusticana de
MASCAGNI avec La Navarraise (1894), MASSENET affirme ici sa propre identité stylistique (2).
Les couleurs et les contrastes de l’orchestration, la qualité du
livret en prose, mais aussi la réintroduction du clavecin au Ier acte, en coulisse, dans l’exposition du thème du Menuet
d’amour - sans oublier la déclamation parlée de la scène finale : tout concourt à donner à l’œuvre une facture tout à fait
originale. Jules MASSENET, point fondamental, est un homme de
l’expérimentation. Tout au long de sa carrière, il transforme la
matière musicale, il introduit des composantes nouvelles, voire
insolites, dans l’instrumentation, il recherche de nouveaux effets
sonores (3).
Par voie de conséquence, son legs ne peut pas être homogène, et c’est probablement ce qui dérange. Lorsque ses détracteurs parlent de style "pompier", ils ne fondent en réalité leur argumentation très partisane que sur une fraction, certes un peu maladroite mais très limitée, de son œuvre.
Par voie de conséquence, son legs ne peut pas être homogène, et c’est probablement ce qui dérange. Lorsque ses détracteurs parlent de style "pompier", ils ne fondent en réalité leur argumentation très partisane que sur une fraction, certes un peu maladroite mais très limitée, de son œuvre.
Alain ALTINOGLU, chef d'orchestre, © non précisé |
Cette version, d’abord sortie en vinyle chez Atlantis, a fait l’objet d’une réédition en CD en 1996 chez Orfeo. Si ces deux lectures, pionnières, sont globalement de bonne qualité, je ne peux que regretter, dans les deux cas, un manque manifeste de finesse dans la direction orchestrale ; et semblablement, dans certains partis pris, un peu tonitruants, de l’interprétation vocale. D’aucuns auraient tôt fait - et à juste titre - de reprocher à l’œuvre une certaine lourdeur, alors qu’elle offre au contraire une palette très nuancée de couleurs musicales. La troisième lecture, enregistrée en direct en 1992, avec Jeanne PILAND, Howard HASKIN, Charles VAN TASSEL et le Noordhollands Philharmonisch Orkest, sous la direction de Lucas VIS (Canal Grande), est plus confidentielle… et gagne à le rester, tant ses interprètes sont passés à côté du sujet, stylistiquement comme vocalement.
Étienne DUPUIS (André), © non précisé |
Sous l'angle du chant, le
bilan est plus mitigé. Il convient d’abord de
saluer la très belle prestation du Canadien Étienne DUPUIS (photo ci-contre). Sa voix de baryton aux accents juvéniles correspond parfaitement au personnage
d’André. Fidèle à l’un des principes fondateurs de l’École
de chant nord-américaine, sa diction est parfaite, et son phrasé
des plus appliqués. Étienne DUPUIS est sans conteste la révélation
vocale de cet enregistrement.
Charles CASTRONOVO (photo plus bas) dispose également d’un timbre parfaitement compatible avec le rôle
d’Armand. Les harmoniques sont riches, les aigus brillants. On peut
cependant regretter que sa tendance à "tuber" les sons
nuise parfois à la compréhension du texte - penchant d’autant plus
regrettable que, lorsque le jeune ténor s’autorise à chanter
davantage sur la clarté, sa voix prend des sonorités qui ne vont
pas sans rappeler celles du regretté Alfredo KRAUS. Considérons
qu’étant non francophone, ce bel artiste peut toutefois bénéficier
de circonstances atténuantes. Tel n’est pas le cas de tous, et
pour cause.
Nora GUBISCH (Thérèse), © MusicaGlotz |
Charles CASTRONOVO (Armand), © n. p. |
Quel dommage ! Pour reprendre une expression qui n’a rien de musical, mais résume pourtant bien les choses : "essai bien tenté, mais non transformé"...
Afin de terminer cette
recension par une nouvelle note positive, il convient de saluer la
tenue tout à fait honorable des petits rôles, François LIS en
particulier, dans le personnage de Morel. De plus, les brèves
interventions des Chœurs de l’Opéra de Montpellier sont précises
et justes. Les bruits de foule et les interventions parlées sont
savamment dosés, conférant à l’ensemble un rendu très réaliste.
Lucy ARBELL, affiche création 1907 |
Le mot de la fin
signalera la très belle qualité du support, présenté sous la
forme, habituelle chez Ediciones Singulares, d’un livre-CD. Les graphismes, la qualité du
papier et le contenu très intéressant des textes qu’il contient, ajoutent indiscutablement à son attractivité.
(1) Dès 1893, Jules MASSENET souffre de douleurs abdominales de plus en plus violentes, symptomatiques d’un cancer du côlon, d’évolution lente.
(2) Il l’avait déjà fait en 1897 avec Sapho, sur un livret d’Alphonse DAUDET, dont le rôle-titre avait été composé spécialement pour la soprano Emma CALVÉ.
(3) Il utilisera ainsi le saxophone dans Le Roi de Lahore (1877) et Hérodiade (1881), dix darboukas dans Cléopâtre (création posthume, 1914) et l’électrophone dans le poème symphonique Visions (1891). Il fait fabriquer des copies de trompettes médiévales pour Le Cid (1885) et réintroduit également des instruments antiques dans Thaïs (1894).
(4) Dans l’enregistrement de 1996, Gerd ALBRECHT avait cru bon de remplacer le clavecin par l’association cordes-harpe qui reviendra effectivement en réminiscence dans l’ouverture de l’acte II. Ce faisant, il a malheureusement supprimé le caractère insolite de ce très beau passage…
(5) Dans sa biographie intitulée Massenet (1934), Alfred BRUNEAU, disciple du compositeur,
relate qu’il la qualifia même de "contralto blafard" dans l’une de ses chroniques musicales.
(6) MASSENET évoquait dans ses Souvenirs (1912) les "accents graves et veloutés de sa voix de contralto".
‣ Jules MASSENET (1842-1912) : Thérèse, drame musical en deux actes,
sur un livret de Jules CLARETIE (MONTE-CARLO, 1907).
‣ Nora GUBISCH : Thérèse - Charles CASTRONOVO : Armand de CLERVAL -
‣ Nora GUBISCH : Thérèse - Charles CASTRONOVO : Armand de CLERVAL -
Étienne DUPUIS : André THOREL - François LIS : Morel - Yves SAELENS : Un officier -
Patrick BOLLEIRE : Un officier, un officier municipal - Charles BONNET : Une voix.
Patrick BOLLEIRE : Un officier, un officier municipal - Charles BONNET : Une voix.
‣ Chœur & Orchestre de l'Opéra National de Montpellier Languedoc Roussillon,
Chef de chant : Jocelyne DIENST - Chef de chœur : Noëlle GÉNY - Direction musicale : Alain ALTINOGLU.
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