‣ Nos autres chroniques de Festivals de l'été 2013 :
FLÂNERIES MUSICALES DE REIMS • VERSAILLES VOIX ROYALES • MUSIQUES À LA CHABOTTERIE ...
FLÂNERIES MUSICALES DE REIMS • VERSAILLES VOIX ROYALES • MUSIQUES À LA CHABOTTERIE ...
Le jeune ensemble RADIO ANTIQUA à la SALLE MONTEVERDI - © Bertrand PICHÈNE, CCR Ambronay |
L'édition 2013 du Festival de Musique Baroque d'AMBRONAY a adopté jusqu'au 6 octobre, sous le nom de « machine à rêver », une thématique onirique qui sied à merveille à la passation de pouvoirs d'Alain BRUNET à Daniel BIZERAY. Ainsi que le directeur général sortant s'en ouvre dans sa présentation, le rêve, c'est ce "I have a dream" qu'il a conçu, nourri et développé pendant trente-quatre années, de la fondation, en 1980, à aujourd'hui. C'est - aussi - une très jolie façon de tirer sa révérence, en convoquant l'univers des possibles, par la boîte de Pandore que sont le conte, la fable et la la fantasmagorie. (1)
Le troisième week-end (sur quatre) était le plus approprié, sans doute, à cette fiction, puisqu'une « Nuit du Rêve » organisée à l'Abbatiale y a permis de découvrir un Concert Royal de la Nuit préparé par Sébastien DAUCÉ et son ENSEMBLE CORRESPONDANCES. Derrière lui, Belle comme la lune, un entrelacs de polyphonies Renaissance concocté par Lucien KANDEL et MUSICA NOVA : je reviens sur ce diptyque au sommet à la fin du présent article.
Enrico ONOFRI, Alessandro PALMERI, Luca GUGLIELMI - © Bertrand PICHÈNE, CCR Ambronay |
Ces jeunes gens ont livré une prestation de qualité, particulièrement en ce qui concerne le basson très virtuose d'Isabel FAVILLA... par ailleurs flûtiste, et présentatrice des plus agréables (et souriantes ! ). VERACINI, par conséquent, les aura surtout mis en valeur - et pas seulement l'excellente violoniste Lucia GIRAUDO. En revanche, le Concerto de VIVALDI terminal m'a paru... on ne peut plus dispensable.
Du VERACINI, il y en eut encore le lendemain, tôt, dans la même salle ; cette fois confié, sinon à un "vétéran", du moins à l'un des plus capés des violonistes baroques des dernières décennies, Enrico ONOFRI, accompagné par Alessandro PALMERI (violoncelle) et Luca GUGLIELMI (clavecin, photographie plus haut). Leur programme, déroulant en outre des CIMA, ROGNONI, CASTELLO, UCELLINI, CORELLI (troisième centenaire de la mort) et autres TARTINI, était sur le papier l'un des plus excitants de tout le Festival.
Or, la montagne a presque accouché d'une souris... Manifestement crispé (par une prestation trop matinale ?), et surtout desservi par une humidité à l'effet désastreux sur des cordes en boyau, le virtuose italien, tout lyrisme bridé, a même dû s'interrompre pour tenter - sans beaucoup de succès - d'améliorer un accord pour le moins fâcheux, après le Siciliano initial de la terrifiante Sonate "Trille du Diable", qui donnait son titre au concert. Une exhibition au demeurant honorable... mais tellement en-deçà des délices promises !
Or, la montagne a presque accouché d'une souris... Manifestement crispé (par une prestation trop matinale ?), et surtout desservi par une humidité à l'effet désastreux sur des cordes en boyau, le virtuose italien, tout lyrisme bridé, a même dû s'interrompre pour tenter - sans beaucoup de succès - d'améliorer un accord pour le moins fâcheux, après le Siciliano initial de la terrifiante Sonate "Trille du Diable", qui donnait son titre au concert. Une exhibition au demeurant honorable... mais tellement en-deçà des délices promises !
Robert MURRAY, Paul McCREESH, Nicholas HURNDALL SMITH, Ashley RICHES - © Bertrand PICHÈNE, CCR Amb. |
C'est bien davantage le dimanche après-midi, à l'Abbatiale, qu'ont plu (terme de circonstance) les récompenses musicales. Du HÆNDEL, encore ?! En la circonstance, le masque Acis and Galatea de 1731, remploi partiel de l'Aci, Galatea e Polifemo romain de 1708 confiée aux forces des GABRIELI CONSORT & PLAYERS et Paul McCREESH (photographies ci-dessus et ci-dessous). Si McCREESH, depuis trois décennies, a su prouver tant en plus en matière hændélienne, j'avoue jusqu'ici être demeuré, de sa part, dans l'attente de la révélation absolue. Cet Acis, sans le moindre instant de relâchement, sans facilité et encore mois routine, pourrait bien en être une.
Première arme à la disposition du chef, son cast so british et si homogène. Pas forcément le plus renommé du monde - pour le moment ! - mais, à l'épreuve de ce feu pastoral : superlatif. Bien que jouant partition à la main, ces chanteurs s'emploient à conférer un minimum de vitalité à la version de concert, par un jeu et des mimiques tout à fait plaisants, sans la moindre lourdeur.
Mhairi LAWSON révèle une Galatée magnifique : voix piquante et bien projetée, timbre fruité, vocalisation impeccable, expressivité à revendre et gracieux maintien - rien ne lui manque. En Acis racé, lyrique à souhait mais jamais mièvre, Robert MURRAY ne lui cède en rien, digne héritier de ténors anglais aussi prestigieux que Stuart BURROWS, Philipp LANGRIDGE ou Anthony ROLFE JOHNSON.
Paul McCREESH & Mhairi LAWSON - © Bertrand PICHÈNE, CCR Ambronay |
Le juvénile "blondinet" Ashley RICHES campe un Polyphème crédible, dont les graves impressionnants ne contrarient en rien les truculentes (et séduisantes) menées graveleuses ; tandis que les deux autres ténors, particulièrement Simon WALL en fringant Damon, délivrent un chant aussi châtié que tendre. C'est à ce petit groupe de cinq protagonistes seulement - suivant en cela certaines préconisations documentées - que McCREESH confie la totalité des chœurs. C'est là sa seconde arme.
En effet, à l'image de ce que tente MINKOWSKI, suivant les indications de RIFKIN, dans les Passions de BACH, la modestie de l'effectif n'obère en rien la grandeur des "masses chorales" de HÆNDEL, en garantissant une lisibilité de parties optimale. À cet égard, le surnaturel et très contrapuntique Wretched lovers, l'une des plus belles pages jamais écrites par son auteur, constitue sans contredit le sommet d'une après-midi anglaise placée sous le signe de la réussite.
En effet, à l'image de ce que tente MINKOWSKI, suivant les indications de RIFKIN, dans les Passions de BACH, la modestie de l'effectif n'obère en rien la grandeur des "masses chorales" de HÆNDEL, en garantissant une lisibilité de parties optimale. À cet égard, le surnaturel et très contrapuntique Wretched lovers, l'une des plus belles pages jamais écrites par son auteur, constitue sans contredit le sommet d'une après-midi anglaise placée sous le signe de la réussite.
Sébastien DAUCÉ et les artistes de l'ENSEMBLE CORRESPONDANCES - © Bertrand PICHÈNE, CCR Ambronay |
Concert Royal de la Nuit, qu'est-ce à dire ? Le jeune maître d'œuvre s'en explique, avec beaucoup de brio et de pédagogie, lors de la causerie préliminaire organisée à la Tour Dauphine. Il s'agit d'un ballet de cour, ici un grand divertissement aux ambitions politiques servies par des moyens quasi pharaoniques, organisé par MAZARIN en 1653 - soit vingt ans exactement avant la naissance de la tragédie en musique avec Cadmus et Hermione de LULLY - afin de sceller le ralliement au jeune souverain Louis XIV, des princes factieux de la Fronde.
Le Cardinal se donne les moyens de ses ambitions. Sont mandés les compositeurs Jean DE CAMBEFORT et Michel LAMBERT, le gourou ultramontain des machineries Giacomo TORELLI, le librettiste Isaac DE BENSERADE ; tous en charge de composer une pièce, jouée du crépuscule à l'aube, et consacrée, autour de quatre "Veilles", au merveilleux de la Nuit. Sébastien DAUCÉ, pour faire renaître ce merveilleux, s'est lui-même mué en magicien, compte tenu du peu de matériau parvenu jusqu'à nous (essentiellement, la partie de violon) ! Réécrivant les parties intermédiaires, il consolide, agence... et incorpore - exquise liberté - des extraits d'opéras italiens, contemporains et créés en France : Ercole amante (1662, CAVALLI) et Orfeo (1647, ROSSI). (3)
Le Cardinal se donne les moyens de ses ambitions. Sont mandés les compositeurs Jean DE CAMBEFORT et Michel LAMBERT, le gourou ultramontain des machineries Giacomo TORELLI, le librettiste Isaac DE BENSERADE ; tous en charge de composer une pièce, jouée du crépuscule à l'aube, et consacrée, autour de quatre "Veilles", au merveilleux de la Nuit. Sébastien DAUCÉ, pour faire renaître ce merveilleux, s'est lui-même mué en magicien, compte tenu du peu de matériau parvenu jusqu'à nous (essentiellement, la partie de violon) ! Réécrivant les parties intermédiaires, il consolide, agence... et incorpore - exquise liberté - des extraits d'opéras italiens, contemporains et créés en France : Ercole amante (1662, CAVALLI) et Orfeo (1647, ROSSI). (3)
Sébastien DAUCÉ - Un cliché de Jean-Baptiste MILLOT, pour la plate-forme QOBUZ |
Le résultat est au-dessus des plus hautes espérances. Pas seulement parce que nos fameux Goûts Réunis fonctionnent ici à plein, syncrétisme idéal entre ces superbes partitions cisalpines et transalpines. Il l'est aussi et surtout par la grâce d'un ensemble orchestral et vocal - et d'un chef - tout simplement exceptionnels. La seule gestuelle de DAUCÉ constitue en elle-même un étonnant poème lyrique. Raffinée, millimétrée, plastique voire sculpturale ; efficace et virevoltante, elle déborde d'amour envers les musiciens. Ah ! ce complice A l'impero d'amore chi non cederà ("qui ne cèdera au pouvoir de l'amour") de ROSSI, chanté à mi-voix avec le chœur des Driades...
Les autres intervenants ne sont pas en reste : quel aréopage, que cette vingtaine d'instrumentistes jouant comme un seul, sous la houlette du premier violon élégantissime de Béatrice LINON ! DAUCÉ prend soin de confier au moins une intervention d'avant-scène à chacun de ses dix (!) solistes/choristes (noms en pied d'article)... qui sont parmi les meilleurs que j'aie jamais entendu opérer dans un répertoire baroque.
Si tous, absolument tous, doivent être louangés, mention particulière à Lucile RICHARDOT, bas-dessus c'est à dire mezzo soprano, ébouriffante dans le monologue de la Vénus italienne ; et à Davy CORNILLOT, splendide taille (ténor) à qui est dévolu le souffle de l'Aurore, tirant, du velours de sa mezza voce, sa révérence - et la nôtre - à la Nuit.
Si tous, absolument tous, doivent être louangés, mention particulière à Lucile RICHARDOT, bas-dessus c'est à dire mezzo soprano, ébouriffante dans le monologue de la Vénus italienne ; et à Davy CORNILLOT, splendide taille (ténor) à qui est dévolu le souffle de l'Aurore, tirant, du velours de sa mezza voce, sa révérence - et la nôtre - à la Nuit.
Violaine LE CHENADEC, Sébastien DAUCÉ & CORRESPONDANCES - © Bertrand PICHÈNE, CCR Ambronay |
La reprise magistrale d'A l'impero d'amore, en conclusion - ferveur digne des récentes grandes heures d'Ambronay, telles que le Diluvio Universale ou Nabucco - laissait peu de chances à Lucien KANDEL et MUSICA NOVA de pouvoir, à leur suite, rehausser l'enchantement.
Ces derniers sont au moins parvenus à le prolonger (ce qui n'est pas un mince compliment), au cours d'un programme Renaissance d'une rare intelligence, entremêlant la Missa assumpta est Maria de Giovanni Pierluigi da PALESTRINA, et des motets dédiés au Cantique des Cantiques signés du même PALESTRINA, de Roland de LASSUS et de Carlo GESUALDO.
Ces derniers sont au moins parvenus à le prolonger (ce qui n'est pas un mince compliment), au cours d'un programme Renaissance d'une rare intelligence, entremêlant la Missa assumpta est Maria de Giovanni Pierluigi da PALESTRINA, et des motets dédiés au Cantique des Cantiques signés du même PALESTRINA, de Roland de LASSUS et de Carlo GESUALDO.
Le raffinement parfois sévère de ces oraisons, moins passionnées qu'incantatoires, mais non point désincarnées, constituait le meilleur hommage possible, fût-ce a contrario, à l'exubérance de la Nuit louisquatorzienne. A l'impero di DAUCÉ chi non cederà ?
Le Cloître de l'Abbatiale d'AMBRONAY de nuit - © Jacques DUFFOURG |
(2) "Mais certainement pas d'une dernière", pour reprendre la présentation du maître des lieux !
(3) Impossible de ne pas retranscrire la remarquable conclusion de Sébastien DAUCÉ soi-même : "Les juxtapositions et les miroirs qui composent ce Concert royal de la Nuit évoquent l'esthétique du début du Grand Siècle où le merveilleux côtoie le réel, où deux mondes coexistent sans que la raison en soit contrariée."
‣ AMBRONAY (Ain), "La Machine à Rêves", XXXIV° Festival de Musique Baroque, 28 & 29 IX 2013 :
• Musique à la Cour de DRESDE, un programme de l'Ensemble RADIO ANTIQUA.
• Concert Royal de la Nuit (première mondiale), un programme de l'Ensemble CORRESPONDANCES.
• Belle comme la Lune, un programme de l'Ensemble MUSICA NOVA.
• Le Trille du Diable, un programme de l'Ensemble IMAGINARIUM.
• Acis and Galatea, masque (1731) de G.-F. HÆNDEL, par le GABRIELI CONSORT & PLAYERS.
• Musique à la Cour de DRESDE, un programme de l'Ensemble RADIO ANTIQUA.
• Concert Royal de la Nuit (première mondiale), un programme de l'Ensemble CORRESPONDANCES.
• Belle comme la Lune, un programme de l'Ensemble MUSICA NOVA.
• Le Trille du Diable, un programme de l'Ensemble IMAGINARIUM.
• Acis and Galatea, masque (1731) de G.-F. HÆNDEL, par le GABRIELI CONSORT & PLAYERS.
‣ RADIO ANTIQUA : Lucia GIRAUDO, Isabel FAVILLA, Petr HAMOUZ,
Giulio QUIRICI, Mariano BOGLIOLI.
‣ ENSEMBLE CORRESPONDANCES : Caroline MENG, Violaine LE CHENADEC, Caroline WEYNANTS,
Caroline DANGIN-BARDOT, Alice HABELLION, Lucile RICHARDOT, Stephen COLLARDELLE,
Davy CORNILLOT, Étienne BAZOLA, Paul-Henri VILA, Ensemble instrumental. Direction : Sébastien DAUCÉ.
Caroline DANGIN-BARDOT, Alice HABELLION, Lucile RICHARDOT, Stephen COLLARDELLE,
Davy CORNILLOT, Étienne BAZOLA, Paul-Henri VILA, Ensemble instrumental. Direction : Sébastien DAUCÉ.
‣ MUSICA NOVA : Christel BOIRON, Marie-Claude VALLIN, Xavier OLAGNE,
Thierry PETEAU, Marc BUSNEL. Chant & direction : Lucien KANDEL.
‣ ENSEMBLE IMAGINARIUM : Enrico ONOFRI, Alessandro PALMERI, Luca GUGLIELMI.
‣ GABRIELI CONSORT & PLAYERS : Robert MURRAY, Mhairi LAWSON, Ashley RICHES,
Simon WALL, Nicholas HURNDALL SMITH, Ensemble instrumental. Direction : Paul McCREESH.
Thierry PETEAU, Marc BUSNEL. Chant & direction : Lucien KANDEL.
‣ ENSEMBLE IMAGINARIUM : Enrico ONOFRI, Alessandro PALMERI, Luca GUGLIELMI.
‣ GABRIELI CONSORT & PLAYERS : Robert MURRAY, Mhairi LAWSON, Ashley RICHES,
Simon WALL, Nicholas HURNDALL SMITH, Ensemble instrumental. Direction : Paul McCREESH.
‣ Nos autres chroniques de Festivals de l'été 2013 :