
La démarche de Jourdain consiste à faire chanter ce genre de partition par un effectif exclusivement féminin, conformément aux conditions de création. Également, à postuler que les manuscrits comportant d'explicites parties de ténors et basses ne visaient en fait qu'à assurer la circulation et la postérité des partitions, en-dehors des lieux pour lesquels elles furent écrites. Rien ne l'établit : mais puisqu'il s'agit d'un postulat, louons-en la vraisemblance et, plus encore, l'efficacité. Pour la première fois en effet – hors Juditha Triumphans bien sûr, essentiellement dévolu aux voix solistes –, il nous est ainsi donné d'entendre in vivo du Vivaldi sacré dans sa structuration chorale d'origine. Voilà ce qui s'appelle pousser dans ses derniers retranchements le souci de l'« historiquement informé » !
Pierre de touche de la musique religieuse du Prêtre roux, le Gloria en ré majeur RV589, précédé d'un intéressant Kyrie en sol mineur RV587 de forme archaïsante (une rareté, quoiqu'enregistrée dès 1974 par Corboz), nous est offert d'emblée avec une fraîcheur bienvenue, compte tenu du standard de tube – incluant ce que cela peut comporter de légère saturation... – qui s'y attache désormais. Cela tient au tempo initial, suffisamment nerveux, mais aussi assez contenu pour ne pas verser dans la tambourinade de circonstance. Dès l'Et in terra pax aux accents de Messe en si, cela provient encore de la plasticité des choristes : rarement écoute de l’œuvre aura plongé dans un tel mélange d'ésotérisme et de naturel. En outre, au delà de l'aggiornamento qu'impose l'étagement entre les seules voix féminines, l'oreille est subjuguée par le travail effectué sur les simples paroles latines ; tant certaines lectures saxonnes, ou simplement roides, nous avaient détournés ici de la doxologie la plus limpide. Quelles nobles et justes oraisons des solistes de surcroît, particulièrement au cours d'un Qui sedes tout de lumière !

Deux compléments de concert laissent, dans une optique différente (car à chaque fois l'invention, au moins, y prévaut), dubitatifs. En fait, ce sont des pages sélectionnées avec une certaine habileté pour permettre à chaque phalange (vocale et instrumentale) de faire étalage de ses dons, indépendamment l'une de l'autre. Quelle est cependant la place chronologique de ces brefs Quatre chants d'enfants de Maurice Ohana (1914-1992) dans ce qui est un hommage aux Ospedali baroques ? Si leur belle facture ne peut souffrir de contestation, on se lasse assez vite des onomatopées requises par trois d'entre eux. Afin de valoriser l'orchestre, choisir au sein d'un parcours aussi sacré le vivaldien Concerto pour violon RV208 « Grand Mogol » paraît de même contestable, cette fois par l'esprit. La virtuosité sans faille, et justement applaudie, de l'élégant Yuki Koike ne peut gommer une forme d'exaspération à l'écoute de ces cadences aussi démesurées qu'inexpressives - surtout, crûment profanes !

▸ 23 août 2011, La Chaise-Dieu, Abbatiale Sainnt-Robert - "Aussi chantent-elles comme des anges",
Vivaldi : Kyrie en sol mineur, Gloria en ré majeur, Concerto pour violon "Grand Mogol" -
Hasse : Miserere en ut mineur - Ohana : Quatre chants d'enfants.
▸ À consulter avec profit, le site des Cris de Paris.
▸ Crédits iconographiques - Geoffroy Jourdain par Jean-Baptiste Millot (pour Qobuz.com) - Venise, Riva degli Schiavoni par le Canaletto (1697-1768) - Caricature d'Antonio Vivaldi.
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