Se laisser porter par la texture sonore tout à fait extra-ordinaire de Gustav Mahler (1860-1911), c'est faire l'expérience d'incessantes correspondances, que d'autres musiciens, parmi les plus illustres, réussissent sans aucun doute avec moins de bonheur.
L'instrumentalité de la voix, bien sûr, est poussée à un degré extrême d'élaboration : aucun traitement de faveur particulier ne semble la dissocier de l'orchestre, le plus fastueux qui soit. Et pourtant, nous ne saurions être récipiendaire de l'ensorcellement, si ne s'y trouvait tapi cet immarcescible instrument humain.
À condition, justement, qu'il y ait orchestre ! Voici bien le second miracle : par la réduction pour piano (ou, dans le cas de la Dixième Symphonie, par le biais rigoureusement inversé de l'amplification instrumentale), la musique de Mahler ne donne jamais la sensation d'un assèchement, ou d'un dévoiement. C'est, d'une version à l'autre, rigoureusement la même !
Ainsi, du quatrième Rückert Lied, "Um Mitternacht" - peut-être le plus beau Lied de l'histoire - dont finalement rien, dans son merveilleux avatar pianistique (Thomas Hampson & Wolfram Rieger, vidéogramme ci-dessus), ne semble devoir nous faire regretter l'absence des nuances orchestrales d'origine - pourtant si somptueuses. Un défi à la plus élémentaire logique de la réduction, précisément.
Ou encore, de cette mythique Dixième, dont seuls deux mouvements furent complètement orchestrés de la main du compositeur. Son Finale, en particulier, n'est autographe que sous la forme d'une 'particelle' pour piano ; et n'a connu son aboutissement symphonique (des lustres plus tard...) qu'à l'issue des efforts dispersés de Berthold Goldschmidt, Rudolf Barshaï (vidéogramme ci-dessous), et bien sûr Deryck Cooke.
Or, depuis ces esquisses pour piano conservées par la veuve Alma, jusqu'à la version parachevée avec un talent que trop de puristes réfutent encore, contre toute évidence, pas une once du génie du compositeur n'a été affadie, édulcorée, détournée. Mieux : le résultat définitif (Cooke, ou Barshaï) sonne "plus Mahler que Mahler" (... ce solo de flûte, dès la deuxième minute) !
Au surplus, le court "Um Mitternacht" (offrande hallucinée de Lorraine Hunt Lieberson, lecteur audio en bas d'article), comme tous les lieder des merveilleux cycles de son auteur, est une démonstration de son savoir-faire extravagant dans le domaine de la "petite forme". De quoi nous faire rêver encore longtemps d'un génie qui se découvre, encore et toujours, plus protéiforme qu'on ne le dit. Et auquel d'aucuns font parfois un procès en gigantisme tout à fait déplacé.
Appoggiature se souhaite, par cette entremise, un très agréable demi-anniversaire... et surtout remercie ses lecteurs de leur fidélité. :)
‣ Pièce à l'écoute simple, en bas d'article ‣ Gustav Mahler, Rückert Lieder • "Um Mitternacht", Lorraine Hunt Lieberson & Roger Vignoles, © Wigmore Hall Live.
‣ Pièce à l'écoute simple, en bas d'article ‣ Gustav Mahler, Rückert Lieder • "Um Mitternacht", Lorraine Hunt Lieberson & Roger Vignoles, © Wigmore Hall Live.
▸ J. D.
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