Steven Humes (il Commendatore) et Sophie Marin-Degor (Donna Anna), © Vincent Pontet - WikiSpectacle |
De Stéphane Braunschweig (photo plus bas) également, nous attendons beaucoup ; tant l'auteur de quelques Jenůfa ou Pelléas de très haute volée nous avait laissé sur notre faim par un Idomeneo tristounet, au même endroit, en 2011. L'homme de théâtre choisit d'ailleurs de diriger ses protagonistes dès l'ouverture : intéressant, à défaut de révolutionnaire. Passées les cigarettes fumées à tout va - cliché éculé de Regietheater de série -, y découvrir, devant des murs couleur catafalque, Don Giovanni allongé sur un brancard blanc face à une trappe rougeoyante et inquiétante... voilà qui place le décor avec autant de brutalité que la musique elle-même !
Markus Werba (Don Giovanni) et Miah Persson (Donna Elvira), © Vincent Pontet - WikiSpectacle |
Stupre ? En la matière, Braunschweig fait à la fois fort et sobre. Le finale de l'Acte I (la fiesta chez Giovanni) tourne au lupanar généralisé en costumes dix-huitiémistes (les faces macabres ne sont pas forcément irrésistibles, les squelettes haut perchés sous vitrines intriguent plutôt qu'ils n'oppressent - en revanche, les faces livides à la Barry Lyndon font... mouche). La fornication tous azimuts n'est que suggérée par des postures, et cela suffit amplement. Le régisseur se sort assez bien de l'obstacle habituel de la Statue, cadavre assis de force sur son brancard par les deux comparses dans la scène du cimetière, avec une voix enregistrée du meilleur effet gore pour le Ribaldo, audace - puis, fantomatique, arrachant le dissolu rebelle à son ultime banquet pour le jeter sans ménagement (ce qui était assez prévisible) dans la trappe-incinérateur.
Jérémie Rhorer, chef du Cercle de l'Harmonie, © Bertrand Pichène pour le CCR d'Ambronay |
Julien Chauvin, 1° violon, © Bertrand Pichène - Ambronay |
Stéphane Braunschweig, © F. Avet - Radio France |
Une bonne fée veille cependant, elle a pour nom Cercle de l'Harmonie. La phalange de Jérémie Rhorer (le chef, plus haut) et de Julien Chauvin (le pemier violon, ci-dessus) ne nous a pourtant pas toujours enthousiasmé, il s'en faut : que ce soit dans l'Idomeneo précité, ou tout récemment, à Ambronay, lors d'un expéditif concert Haydn-Mozart. En revanche, l'Amadis de Johann Christian Bach faisait miroiter, en matière d'individualités, des dispositions qui, ce soir, tournent au feu d'artifice. À rebours d'un Jacobs prenant soin de dissocier les deux versions, notablement différentes, de Prague (création le 29 octobre 1787) et Vienne (reprise le 7 mai 1788), les compères sont convenus de nous livrer la totalité du matériel laissé par Mozart à la postérité. Il s'agit du Don Giovanni généralement enregistré (avec les deux airs d'Ottavio, les deux de Leporello et les trois d'Elvira)... augmenté du virevoltant duo viennois Per queste tue manine de l'Acte II, presque jamais offert, entre Leporello - encore lui - et Zerlina.
Serena Malfi (Zerlina) & Markus Werba (Don Giovanni), © Vincent Pontet - WikiSpectacle |
Cette rhétorique globale, tenue trois heures durant du bout des doigts, la rattache intelligemment au si proche héritage baroque : génétiquement le sien, avec ses emphases, ses apartés et ses raptus - non pas la poix ultra-romantique dans laquelle tant et tant de décennies de kitsch l'ont engluée. Fréquemment giocoso, elle fonctionne à merveille avec les choix de Stéphane Braunschweig, tout aussi millimétré, qui garde pour sa part plein cap sur le dramma. En sortent bien sûr gagnants haut la main, Mozart, Da Ponte, les artistes et le public.
Scène finale : S. Marin-Degor, D. Behle, S. Malfi, N. Di Pierro, M. Persson, R. Gleadow (alité), © Vincent Pontet - WS |
(1) Il nous paraît tellement évident - à l'aune de cette production qui l'annonce dès l'Ouverture - que les ultimes instants du débauché (expression consacrée) ne sont rien de moins qu'un suicide en bonne et due forme, sciemment paraphé par l'invitation à dîner faite à la Statue du Commendatore.
(2) Par rapport aux très belles versions Da Ponte - Mozart de René Jacobs, à noter la disparition des vocalises ad libitum (lesquelles en effet étaient parfois envahissantes), et une insertion accrue du pianoforte dans le discours : plus présent dans la trame symphonique, plus économe en récitatif - au risque de perdre de jolies digressions, telles que des citations de concertos du Salzbourgeois !
‣ Un entretien "écrit" recommandé, avec Stéphane Braunschweig.
‣ Un entretien "podcasté" - non moins recommandé - avec Jérémie Rhorer (au sujet du Così de 2012, mais dont le propos couvre amplement la problématique de l'interprétation lyrique mozartienne) vous est proposé tout en bas.
‣ Un entretien "podcasté" - non moins recommandé - avec Jérémie Rhorer (au sujet du Così de 2012, mais dont le propos couvre amplement la problématique de l'interprétation lyrique mozartienne) vous est proposé tout en bas.
‣ Paris, Théâtre des Champs-Élysées, 23 IV 2013 - Don Giovanni, ossia il dissoluto punito,
dramma giocoso en deux actes de Wolfgang Amadeus Mozart & Lorenzo da Ponte (Prague 1787 & Vienne 1788).
(Compte-rendu établi d'après répétition générale, avec accord exprès.)
dramma giocoso en deux actes de Wolfgang Amadeus Mozart & Lorenzo da Ponte (Prague 1787 & Vienne 1788).
(Compte-rendu établi d'après répétition générale, avec accord exprès.)
‣ Markus Werba (Don Giovanni), Miah Persson (Donna Elvira), Daniel Behle (Don Ottavio),
Sophie Marin-Degor (Donna Anna), Robert Gleadow (Leporello), Serena Malfi (Zerlina),
Nahuel Di Pierro (Masetto), Steven Humes (Il Commendatore), Chœur du Théâtres des Champs Élysées.
‣ Anne-Françoise Benhamou, dramaturgie - Thibault Vancraenenbroeck, costumes - Marion Hewlett, lumières -
Stéphane Braunschweig, mise en scène - Julien Chauvin, 1° violon - Jérémie Rhorer, direction musicale.
Sophie Marin-Degor (Donna Anna), Robert Gleadow (Leporello), Serena Malfi (Zerlina),
Nahuel Di Pierro (Masetto), Steven Humes (Il Commendatore), Chœur du Théâtres des Champs Élysées.
‣ Anne-Françoise Benhamou, dramaturgie - Thibault Vancraenenbroeck, costumes - Marion Hewlett, lumières -
Stéphane Braunschweig, mise en scène - Julien Chauvin, 1° violon - Jérémie Rhorer, direction musicale.
Mozart réduit aux Pompes funèbres et à la crémation : beurk !!! Ce Don Giovanni, vu ce mardi en live sur Mezzo HD, manque de l'essentiel : le désir à la Casanova , la gaîté qui ravit et donne le frisson tant elle se joue dangereusement de la tragédie, le défi,le jeu orgueilleux entre la Vie et la Mort qui sent plus l'orgie de salon que la morgue de l'Hôpital. Donc pour moi Zéro pour la scénographie.
RépondreSupprimerLes voix : hormis Leporello , quelconques. On n'y croit pas contrairement à la pétillante distribution du MET 2011 ou à la brillantissime profusion de génies vocaux du DON GIOVANNI de LOSEY.
Seuls le chef Jérémie Rohrer et son orchestre somptueusement baroque tirent leur épingle du jeu. Cependant cela ne suffit pas à faire une création qui résiste aux flammes fussent-elles de l'Enfer !!!
CHRISTIANE LAPLACE-PETIT
Chère Christiane,
SupprimerJe te remercie infiniment pour ce commentaire, d'autant plus qu'ENFIN ici, quelqu'un a l'aplomb de faire part de critiques (voire de coups de gueule)… francs et constructifs. Yeah !
Après, comme le dit Orlovsky dans 'La Chauve Souris', c'est "chacun à son goût"... Je peux comprendre ton saisissement, moi-même j'ai eu beaucoup de mal avec ma première session bruxelloise de la 'Médée' de Warlikowski, avant de rendre les armes (et les larmes), dans ce même TCE, voici cinq mois, et d'en faire part ici-même :bhttp://bit.ly/Wpq4nj !
Je ne suis ni braunschweigolâtre, ni rhorerolâtre systématique, j'ai eu souvent à tempérer mes enthousiasmes, tant avec l'un qu'avec l'autre - leur 'Idomeneo' commun de 2011, au même endroit encore, m'avait laissé de marbre... agacé au plus haut point même (que la distribution féminine pouvait en être vraiment faible, pour le coup !).
Pour 'Giovanni' cependant (et je l'ai encore vérifié hier, puisque j'y suis retourné), tout ressortit - à mon humble avis - au MIRACLE le plus absolu : tant les dernières heures du Dissoluto Punito sont magnifiées, portées à l'incandescence, avec la plus extrême des intelligences… par cette mise en boîte étouffante, tétanisante, suffocante (morgue ? crématorium ? limbes ??) - aux éclairages rasants et blafards, qui répondent si bien à la course à l'abîme de la partition mozartienne, dont tu as bien raison d'écrire qu'elle est magnifiée comme jamais par cet orchestre fabuleux.
Mention particulière pour le premier violon (et chef adjoint, véritablement) Julien Chauvin, qu'on ne cite presque jamais, dont la contribution à cet éclatant succès me paraît pourtant évidente, pour ne pas dire fondamentale...
Bien à toi : merci encore pour ces mots directs qui sont l'âme même d'in blog, et très belle semaine, chère Christiane ! Jacques
C'est surtout la mise en scène c'est vrai en fait aucune sensualité.....la partie musicale était très homogène et réussie !
RépondreSupprimerMarcel Gresser
Cher Marcel,
SupprimerÀ votre tour, je vous remercie pour ce commentaire, qui enrichit le blog et le fait vivre. Je ne vais pas radoter en renouvelant les propos que j'ai tenus ci-dessus en réponse à notre non moins chère Christiane - aussi, je vous y renvoie ! :-)
Mon avis est que la sensualité supposée de Giovanni n'est en réalité que noirceur, débauche, déferlement sexuel ambigu et compulsif, voire - pardonnez-moi - éjaculation précoce. C'est en tout cas ce que je ressens dans la musique même de Mozart, plus érotomane qu'érotique ; en conséquence de quoi, la translittération qu'en a réalisée Braunschweig me paraît tout simplement idéale de véracité, de crudité, de violence, un vrai coup de poing dans la figure !
Pour un moi, un très grand moment de musique, de chant (souvent : même si encore perfectible), d'orchestre... et de théâtre ! Bravo et merci Michel Franck, comme toujours...
Excellente semaine à vous quoi qu'il en soit, et merci pour votre fidélité à nos colonnes !
Jacques