Karine Deshayes, © non communiqué |
Le présent récital du 1er mars 2013, au Théâtre de Saint Quentin en Yvelines où David Stern et Opera Fuoco sont en résidence, pose - en raison même de sa cohérence, de son aboutissement, et de sa splendeur - des problèmes épineux au chroniqueur chargé de le relater. Le premier écueil relève du vocabulaire : comment, au sein d'un site où, par choix, les comptes-rendus ne retiennent globalement que les événements dignes d'éloge, trouver les mots adéquats (ni trop plats, ni trop usités, ni trop amphigouriques - ni surtout trop délirants) pour faire ressentir à quel point il existe des concerts superlatifs qui le sont plus que d'autres ?
Luigi Cherubini (1760-1842) |
Le troisième trouble découle du précédent, et est hautement énigmatique, car la seconde moitié du programme offre - justement - toutes les caractéristiques de ce que ces Beckmesser reprochent aux "faiseurs" desquels ils ne voudraient jamais entendre parler. L'interminable Symphonie en ré majeur qui l'occupe tout entière, sans être complètement un navet, n'est pas sans provoquer, par un désolant surplace harmonique, des mélodies banales et une instrumentation scolaire, une claque rapportée au nom de son auteur, Luigi Cherubini (1760-1842, ci-dessus)... pour qui a encore dans l'oreille cette déflagration nommée Médée (notre opéra de l'année 2012, lire notre chronique et notre rétrospective) ! Au moins est-on, techniquement parlant, en progrès par rapport à ce qu'en fit jadis, par exemple, Igor Markevitch avec la Philharmonie Tchèque.
Xavier Boisselot (1811-1893) |
De Norma, elle détient les contradictions, la hiératique complexité, la geste tragique... et la redoutable ligne vocale, depuis ce cantabile à la douceur d'affect très baroque, jusqu'à l'air final, cataclysme ou catharsis, déjà projeté vers d'autres immolations sacrificielles à venir : évidemment Didon, pourquoi pas Brünnhilde ? L'écriture de Boisselot allie une grande intuition dynamique à une finesse d'orchestration poussée, spécialement au niveau de la grande et petite harmonie. N'est pas en reste Ferdinand Hérold (1791-1833, ci-dessous), dont l'Ariane de 1811 - encore plus développée - déploie des ors tout à fait comparables. Comment défaire de son souvenir cette magnifique introduction orchestrale, aussi translucide que la gaze, et pourtant aussi entêtante que l'encens ?
Ferdinand Hérold (1791-1833) |
Les deux Ouvertures retenues (Médée toujours, et Sémiramis de Charles Simon Catel) se hissent sans sourciller au niveau de leurs autres récents et splendides avatars, respectivement Rousset et Niquet, rien moins que nos "chefs de l'année" en 2012 et 2011. Ainsi déroulé, ce tapis instrumental limpide, souple, miroitant, ces cent nuances pesées au trébuchet, se prêtent totalement à la réinvention du discours académique de la "cantate-type" auquel se livre Stern. Le canevas dramatique de la cantate "de concours" n'est pas plus décousu ou grotesque qu'un livret d'opéra courant, et sa versification passable n'est sûrement pas pire non plus : nous savons tout cela au moins depuis la réappropriation, voici quelques lustres, de la Cléopâtre de Berlioz par Gardiner et Von Otter. Cependant, la piqûre de rappel s'avère rien moins qu'inutile.
David Stern, © Opera Fuoco |
Deshayes n'arbore pas de ces matériaux volatils et charmants, chez qui le gracieux tourne trop vite au gracile. Si son timbre incomparable, caressant et sensuel, conserve la blondeur de sa chevelure, c'est une blondeur de vaste panorama - champs de blés mûrs, canopées automnales ou crépuscules mordorés. C'est un chuchotement, une confidence, un récit palpitant. Puis, un abattement et un sursaut, un combat avec l'ange, un cri de conquête et de révolte : toutes gradations qui vous saisissent à la gorge, et ne vous lâchent plus. Élégance suprême, l'artiste régale d'une diction proprement hors du commun : aucune syllable de ces textes, pourtant verbeux, n'échappe à l'auditeur.
Comment prendre congé après de telle leçon de musique et de chant ? Par le "vrai" Cherubini, celui de Médée, encore et toujours Médée ! Un bis unique, cette fois sous les traits de la suivante Néris (Ah, nos peines seront communes) : air susurré et velléitaire à souhait, esquissant une future prise de rôle... qui sait ? Ce n'est rien de dire que la mise en bac du disque Zig Zag Territoires annoncé est attendue avec impatience - et tant pis pour la triste Symphonie.
‣ Parcourir le site de Karine Deshayes ainsi que celui d'Opera Fuoco
(1) Gioachino Rossini, Le Comte Ory (reprise), sous la direction de Maurizio Benini, avec Juan Diego Flórez, Pretty Yende, Nathan Gunn & Nicola Ulivieri, voir ici : http://www.nytimes.com/2013/01/19/arts/music/le-comte-ory-with-pretty-yende-at-the-metropolitan-opera.html.
‣ Saint Quentin en Yvelines, Théâtre (scène nationale), 28/02 & 01/03/2013 :
"Cantates Romantiques", un programme du Palazzetto Bru Zane,
Centre de Musique Romantique Française.
Mezzo-soprano : Karine Deshayes. Opera Fuoco, direction : David Stern.
"Cantates Romantiques", un programme du Palazzetto Bru Zane,
Centre de Musique Romantique Française.
Mezzo-soprano : Karine Deshayes. Opera Fuoco, direction : David Stern.
‣ Luigi Cherubini : Médée (ouverture), Symphonie en ré majeur, Médée (air de Néris,bis) -
Ferdinand Hérold : Cantate Ariane - Charles Simon Catel : Sémiramis (ouverture) -
Xavier Boisselot : Cantate Velléda.
Ferdinand Hérold : Cantate Ariane - Charles Simon Catel : Sémiramis (ouverture) -
Xavier Boisselot : Cantate Velléda.
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