dimanche 23 décembre 2012

❛Disque❜ Éditions Hortus, Betsy Jolas (née en 1926) • "B for Betsy", Sonates d'automne ?... "Beauté si fière, prude, sévère"...

Un disque Éditions Hortus pouvant être acheté ICI
Le temps des compositrices est-il enfin venu ? Force nous est de constater que les œuvres de Betsy Jolas ne connaissent guère les faveurs des salles de concerts - c'est le moins que l'on puisse dire - et mériteraient amplement une plus large diffusion. Pourquoi pas, d'ailleurs, un Festival Présences réunissant cette dernière (née en 1926), Meredith Monk, Olga Neuwirth, Edith Canat de Chizy, Suzanne Giraud, Graciane Finzi, Kaija Saariaho... toutes personnalités de premier plan dans l'actuel paysage compositionnel (la liste est loin d'être exhaustive) ?

"B for Betsy", nouvel album consacré à Jolas par les Éditions Hortus,  trace un panorama de sa création dans le domaine de la musique de chambre de la décennie 1980-1990 pour le piano et l'alto : visiblement les instruments de prédilection de la musicienne. C'est la combinaison retenue dans Ruht Wohl, complainte lancinante nimbée de dolorisme apaisé, au demeurant fort récente (2011 : l'appellation constitue bien sûr un clin d'œil assez limpide au bouleversant choral conclusif de la Passion selon saint Jean) .

Petit conseil pour l'auditeur : il convient d'attaquer le monument par son plus fort escarpement (près de dix-huit minutes), B for Sonata, dernière plage du disque - partition majeure, datée de 1973, et dédiée au seul piano. Il s'agit d'une étonnante et fascinante micro-symphonie pour clavier, trahissant des affinités secrètes avec les univers brumeux et enténébrés de Charles Ives, Henry Cowell, voire John Cage... ce qui ne surprend guère vu la double ascendance de Betsy Jolas, qui est franco-américaine.

Betsy Jolas (née en 1926), © http://aproposblog.wordpress.com/2009/02/
Cela démontre une riche culture musicale et artistique, et nous comprenons d'autant mieux ce chatoiement crépusculaire qui singularise le corpus présenté ici. Cette longue fantaisie pianistique pourrait avoir été conçues par des Busoni et Liszt de notre temps ! On dénote également une étrange similitude avec l'univers ésotérique de Maurice Ohana - autre créateur marginal, singulier, et libre, à l'instar de Jolas elle-même. Voilà une nouvelles version des Goûts Réunis : une synthèse  entre d'évidentes racines européennes, et le patrimoine musical savant d'outre Atlantique, par trop méconnu.

Le livre Betsy Jolas conçu par Bruno Serrou
Il en devient ardu d'approcher, à plus forte raison de définir, l'esthétique inclassable de cette élève de Messiaen et Milhaud, qui vécut notamment aux États-Unis. Du reste, nous pourrions appliquer à cette artiste ce qu'écrivait Igor Markevitch à propos de Lili Boulanger, autre figure féminine emblématique de la musique hexagonale. L'illustre maestro s'étonnait que cette dernière ne fût pas considérée pour ce qu'elle était, c'est-à-dire la plus grande des compositrices de l'histoire : "Elle a par ailleurs tout pour exalter les imaginations sensibles. L'œuvre de Boulanger, d'une indépendance totale, parle pour elle-même et témoigne de son importance dans l'histoire de la culture française".

Langage hautement personnel, presque de génération spontanée, à l'atonalité diffuse, atypique, incisive. Les partitions réunies ici sont exigeantes, difficiles, parfois austères et fortement arides, voire impénétrables ; elles ne révèlent leurs beautés cachées qu'après maintes auditions approfondies, comme c'est le cas du tendu et complexe Quoth the raven (toujours pour alto et piano). Du minimalisme spectral en quelque sorte... Notre exploratrice des sons joue avec les silences, réinvente la tonalité à chaque seconde ; toutes  les ressources techniques et expressives des instruments sont sollicitées (pizzicati, mezza voce, sul ponticello pour l'alto).

D'une complémentarité exquise, les deux solistes Geraldine Dutroncy et l'altiste Laurent Camatte relèvent allègrement ce redoutable challenge. Leur tandem fait assaut de virtuosité implacable, d'exaltation au besoin,  d'où sourd un intense rayonnement. Au sortir de l'écoute, une interrogation subsiste : le style - nous l'avons dit - est savant, cérébral, au plus fort de la puissance. Cependant en dépit de cet indéniable souffle musical, volontiers épique, servi par des interprètes idéalement associés et investis... l'émotion n'est guère présente.

Cela suffira-t-il à "B for Betsy" - titre générique faisant sans doute allusion au livre pour enfants B is for Betsy de l'auteure-illustratrice américaine Carolyn Haywood (1898-1990) - pour emporter l'adhésion ? Unanswered Question...

‣ Le livre des Entretiens de Bruno Serrou peut être acheté ICI.
‣ Pièce à l'écoute simple, en bas de page  La Toute-Vive !, troisième pièce des "Quatre Duos"  © Éditions Hortus 2012.


Betsy Jolas (née en 1926) : "B for Betsy" :
Quatre Duos - Pièce pour - Quoth the raven - Pièce pour Saint-Germain - Ruht wohl - Épisode sixième - B for Sonata.
Géraldine Dutroncy, piano & Laurent Camatte, alto.

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