jeudi 7 mars 2013

❛Concert❜ "La Voix de l'Âme", belle réalisation didactique de La Cavatine ● Comme une cantate de Bach imaginaire, autour du symbolisme du hautbois.

Particulièrement réussi, le visuel de cette manifestation...
La Cavatine, ou quatre jeunes musiciens dans le vent (photographies ci-dessous) ! Réunis le 25 janvier 2013 à l'Église Évangélique Allemande du IX° arrondissement de Paris, ils ont su suivre une voie (Voix) fort originale pour condenser et transmettre - de manière didactique et plaisante, en un peu plus d"une heure de musique - l'un des corpus les plus colossaux de notre héritage occidental, celui des Cantates sacrées de Johann Sebastian Bach (1685-1750).

Le titre du concert, La Voix de l'Âme, peut paraître à la première lecture bien vague, voire banal. Il n'en est évidemment rien, tant il obéit à la logique interne qui prévaut dans le choix des morceaux proposés. Et de manière a priori paradoxale, cette Voix s'ordonne et s'alimente essentiellement autour d'une sève nourricière de nature... instrumentale.

En effet, la pierre angulaire de ce parcours repose sur "l'instrument des bergers", le hautbois. Pas seulement par la rémanence, au cœur des chefs d'œuvre vocaux du Cantor de Leipzig, comme dans beaucoup de partitions baroques (1) de ce timbre et de cette couleur uniques. De manière sans doute plus essentielle, au sein de compositions qui sont avant tout des liturgies de la parole, le hautbois présente, pour la communauté des fidèles à qui elles sont destinées, un caractère très hautement symbolique.

Gille Cantagrel - © La Cavatine
Le déchiffrage de ladite symbolique est confiée par La Cavatine à celui qui est sans doute le plus grand expert actuel en la matière : Gilles Cantagrel (photographie ci-dessus). Au cours d'une présentation aussi captivante que concise, le conférencier insiste avec son éloquence accoutumée sur l'importance que revêtaient à l'époque des choix musicaux (tonalité, rythme, tempo, orchestration, tessitures...) auprès d'une assistance susceptible de recevoir et comprendre  par ces codes la Bonne Nouvelle - de la même manière que les ouailles du Moyen-Âge savaient lire et comprendre les Jugements Derniers des tympans des cathédrales.

Étonnamment, le hautbois précité, qui accompagne les Rois Mages (et par conséquent la naissance du Sauveur), se voit ici associé, comme le souligne Cantagrel, à des textes de Cantates que l'auditeur moderne peut juger doloristes, voire macabres. Il n'est là, pourtant, aucune antinomie pour les croyants du temps : par sa Passion, rachat des péchés des hommes, le Christ a ouvert à chacun d'entre eux les portes de la félicité éternelle, appelée à succéder à la via doloris terrestre. En conséquence, la douleur et la mort tant chantées par Bach, non seulement ne sont ni une fin ni un tourment, mais - plus encore qu'une délivrance - un passage. Transition de la vie ordinaire vers la vie véritable, ce re-commencement ne peut être, sous l'angle musical, qu'une seconde naissance... bercée par les mélismes d'un hautbois.

Timothée Oudinot, Lucile Perrin, Louis-Noël Bestion de Camboulas, Véronique Housseau - © La Cavatine
Voilà pourquoi le programme tire une forte part de son extrême intelligence (et de sa haute sensibilité) de la prestation marathonienne - eu égard à l'endurance requise par l'instrument - du hautboïste Timothée Oudinot (photographies ci-dessus... & ci-dessous au oboe da caccia, ou hautbois de chasse). L'artiste se voit sollicité sur trois instruments distincts (!) d'un bout à l'autre (2), ses seuls répits étant les deux mouvements de Suites pour violoncelle BWV 1007-1008, interprétés avec une intériorité toute luthérienne par Lucile Perrin ; ainsi que l'air Öffne dich mein ganze Herze de la très célèbre BWV 61 Nun komm, der Heiden Heiland, permettant à l'organiste Louis-Noël Bestion de Camboulas de s'employer à découvert (3).

Le mérite d'Oudinot est d'autant plus grand que, ne se départant jamais du plus pastoral des sourires, il se donne les moyens - didactisme, encore - de proposer un autre instant pédagogique, en début de seconde partie. Ceci, sous la forme d'un comparatif entre le hautbois baroque "standard", le hautbois d'amour et le hautbois de chasse (relais entre l'ancien cornet à bouquin, et le futur cor anglé, devenu "cor anglais"), tous trois sollicités lors du concert !

Timothée Oudinot, Lucile Perrin, Louis-Noël Bestion de Camboulas, Véronique Housseau - © La Cavatine
L'autre voix de l'âme, qui lui fait écho, c'est celle de Véronique Housseau (photographies ci-dessus & ci-dessous) jeune soprano lyrique-léger au timbre cristallin, à la contribution également écrasante. Ses seuls vrais repos résident dans les deux méditations pour violoncelle seul de Lucile Perrin, et la Sinfonia de l'immense BWV 76 Die Himmel erzählen die Ehre Gottes, qui ouvre le second volet de la soirée (hautbois d'amour, viole de gambe ici remplacée par le cello, orgue). Curieusement, c'est à l'issue de cette pause que le matériau de la chanteuse paraît le plus crispé, ne pouvant taire une relative "verdeur" au cours de l'air de la BWV 75 Die Ellenden sollen essen.

En revanche, ses miroitements argentins et expressifs font merveille ailleurs, d'autant que l'implication textuelle est forte. L'exemple le plus abouti n'est même pas de la plume de Bach... mais de Georg Philipp Telemann (notre compositeur de l'année 2012, lire notre rétrospective) - convié en un unique et admirable extrait de la TWV 4:17 Du, aber Daniel - juste avant l'entracte. À complimenter de même, la BWV 127, Herr Jesu Christ, wahr' Mensch und Gott, toute de legato, volutes, voix filée du meilleur aloi. Et surtout, la très belle tenue d'un talisman tel que Mein Herz schwimmt in Blut - Stumme Seufzer, stille Klagen, cette BWV 199 "icône", dans laquelle les plus fameux sopranos se sont depuis longtemps illustrés.

Louis-Noël Bestion de Camboulas & Véronique Housseau - © La Cavatine
Deux choses encore. Le choix du bis irréel Flößt mein Heiland, flößt dein Namen (sans effet d'écho, forcément), de la quatrième section de l'Oratorio de Noël : voilà qui rehausse encore, un mois jour pour jour après la Fête de la Nativité, l'intelligence programmatique déjà louée.

Plus significatif encore - car tellement subtil - est le choix de deux portiques, d'entrée et de sortie de soirée, cette fois parmi les cantates profanes de Johann Sebastian Bach. C'est le mariage qui s'y trouve célébré, par deux airs très contrastés (de l'affliction à l'allégresse) issus de la BWV 202 Weichet nur, betrübte Schatten.

Ceci vient rappeler, à qui l'aurait perdu de vue, que les épousailles terrestres ne sont rien d'autre que la métaphore de l'Alliance : celle conclue entre Jésus Christ et son Église. Didactique, avions-nous précisé.


À ne pas manquer le 9 mars !
(1) Pas seulement baroques ! Il est à notre sens évident que le Gustav Mahler du quatrième mouvement de la III° Symphonie, l'O Mensch ! de Nietzsche, ne procède pas autrement - tant les traits surnaturels du hautbois y sonnent comme autant d'interrogations métaphysiques de même nature que celles de Bach.

(2) Une légère pointe de fatigue - très compréhensible - est perceptible par de marginales imprécisions, au cours de l'extrait jubilatoire de la Cantate de mariage BWV 202 qui clôt les festivités. Cela n'enlève absolument rien à la performance du jeune hautboïste, qui représente pour nous une première.

(3) Au-delà de ces "découverts" précis, il convient d'applaudir sans réserve l'excellence de ces deux continuistes, tout  au long de la totalité du récital. Louis-Noël Bestion de Camboulas dirige, par ailleurs, le jeune Ensemble Les Surprises, que nous avons eu le plaisir d'entendre récemment à Ambronay.

  Paris, Église Évangélique Allemande, 25/01/2013 : La Voix de l'Âme - Bach - Cantates sacrées.
Un concert organisé par l'ensemble La Cavatine et présenté par Gilles Cantagrel.

Johann Sebastian Bach (1685-1750) - Extraits des Cantates BWV 202, 1, 21, 127, 92,76, 75, 61, 199. 
Extraits des Suites pour violoncelle seul BWV 1007 & 1008.
Extrait de l'Oratorio de Noël BWV 248 (bis).

‣ Georg Philipp Telemann (compositeur de l'année 2012 Appoggiature) - Extrait de la Cantate TWV 4:17

‣ La Cavatine : Véronique Housseau, soprano ; Timothée Oudinot, hautbois ; Lucile Perrin, violoncelle ;
Louis-Noël Bestion de Camboulas, orgue.

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