Un disque Naïve pouvant être acheté ICI |
Nous ne pouvons commencer chaque article relatif à un disque Vivaldi remettant un tant soit peu "les compteurs à zéro" par l'éternelle citation du sarcasme bien connu d''Igor Stravinsky, selon qui le "Prêtre Roux" (1678-1741, notre compositeur de l'année 2011) aurait écrit "cinq cents fois le même concerto"... Et pourtant ! S'il est une exclamation à laisser jaillir à l'écoute de cet album faramineux, c'est bien : "Ô prince Igor, aurais-tu eu de la cire dans les oreilles ?" Taquinerie, bien sûr, puisque l'auteur du Rake's Progress, de la Symphonie de Psaumes - ou d'une pléthore d'autres merveilles consacrées - ne pouvait nullement imaginer la survenue future d'une démarche "historiquement informée" - encore moins l'intensification des recherches, découvertes, et remises à plat induites par cette dernière, lesquelles ont considérablement accéléré l'obsolescence de la discographie.
Reprenons par le commencement : Johann Georg Pisendel (1687-1755, portrait plus bas). De ces enfants nés coiffés dans des familles prédestinées, de Cantors en l'occurrence, tel Johann Sebastian Bach (1), nourri au bon lait violonistique de Giuseppe Torelli (1658-1709), ami de Georg Philipp Telemann (notre compositeur de l'année 2012) et Christoph Graupner. Le lien le plus important de la vie de Pisendel, ce fut précisément celui noué avec Antonio Vivaldi, qu'il fréquenta lors d'un séjour d'une année dans la Cité des Doges (1716-1717), à la suite de son employeur, l'Électeur de Saxe à Dresde (une ville que les vivaldiens connaissent assez bien, compte tenu du nombre de manuscrits et transcriptions du Vénitien laissés par son ami).
Reprenons par le commencement : Johann Georg Pisendel (1687-1755, portrait plus bas). De ces enfants nés coiffés dans des familles prédestinées, de Cantors en l'occurrence, tel Johann Sebastian Bach (1), nourri au bon lait violonistique de Giuseppe Torelli (1658-1709), ami de Georg Philipp Telemann (notre compositeur de l'année 2012) et Christoph Graupner. Le lien le plus important de la vie de Pisendel, ce fut précisément celui noué avec Antonio Vivaldi, qu'il fréquenta lors d'un séjour d'une année dans la Cité des Doges (1716-1717), à la suite de son employeur, l'Électeur de Saxe à Dresde (une ville que les vivaldiens connaissent assez bien, compte tenu du nombre de manuscrits et transcriptions du Vénitien laissés par son ami).
Dmitry Sinkovsky, violoniste et contre-ténor, © non fourni |
Une amitié fructueuse, qui déboucha sur quelques dédicaces à la mesure de la virtuosité, de renommée transfrontalière, du violoniste : cinq sonates, et de cinq à sept concertos recensés en faisant foi. La Vivaldi Édition de Naïve, entreprise depuis de longues années à partir du catalogue Tesori del Piemonte de feu le label Opus 111, a en réalité porté son choix sur certaines partitions (2), soit jouées par Pisendel à Venise, soit copiées (et bien sûr aménagées par lui) ultérieurement, dans sa ville d'origine. Études d'exécution transcendante pour le violon baroque, elles partagent avec Giuseppe Tartini (1692-1770) une écriture piégeuse, voire démoniaque, propre à mettre en valeur la maestria du soliste par la multiplication de difficultés de tous ordres tenant à célérité, aux rythmes, aux dynamiques - aux doubles cordes, aux ambitus acrobatiques...
Le record en la matière tient dans la cadence du RV 212a en ré majeur (premier extrait proposé à l'écoute tout en bas), une variante pisendélienne rescapée des bombardements de Dresde du RV 212 créé à Padoue en 1712 ! Totalement de la main de Vivaldi, elle comporte des gammes ascendantes et descendantes de pure folie, culminant... au fa dièse⁶, ce qui laisse assez loin derrière le fameux mi "insoutenable" du Quatuor de ma vie de Bedrich Smetana (1876), la note la plus aiguë que nous ayons entendue jusqu'ici sur un violon. Ceci ne serait bien entendu qu'anecdote ostentatoire, si le compositeur n'avait littéralement truffé les autres opus - et pas seulement les cadences - d'écueils de semblable acabit... Ceci correspond parfaitement à la logique économique de l'art péninsulaire, visant un public en demande d'excentricités : le parallèle avec les surenchères des castrats napolitains coule de source (3).
Avons-nous dit castrat - ce que chantent aujourd'hui les contre-ténors, donc ? Comme c'est étrange ! Le héros du présent CD, le violoniste russe Dmitry Sinkovsky (photo plus haut) est aussi... contre-ténor, et de très bon niveau (voir ICI). Son pedigree épicé le rattache tout de même davantage à Pisendel qu'à Cafarelli ; et, en dépit de son âge plutôt tendre, impressionne par la nombre conséquent d'ensembles baroques qui le revendiquent comme leader (premier violon). Une profusion de talents qui le rapproche de Riccardo Minasi - autre archet de haut lignage -, fondateur des ensembles Musica Antiqua Roma et Il Pomo d'Oro (photo plus bas, celui-là même que nous entendons ici, à la tête duquel les deux virtuoses alternent). Toutefois, sur son Francesco Ruggeri de 1675, c'était Sinkovsky qui menait le bal, lors de la toute récente et très ensorcelante tournée de Joyce DiDonato, Drama Queens (photo ci-dessous) : pour avoir entendu le violoniste de près, au Théâtre des Champs-Élysées, nous pouvons attester d'une maturité et d'une autorité aussi fulgurantes que peut l'être sa jeune éloquence.
Entre deux airs baroques, l'artiste avait choisi d'interpoler le RV 242 en ré mineur, placé dans l'enregistrement en cinquième position. Qu'était-ce ? Un aimable divertissement, un Vivaldi "à la découpe" de plus, pour ébaudir mollement l'auditoire le temps que l'éclatante diva récupère un peu ? Pas du tout ! Pour envoyer un tel coup dans la figure (audible ICI), après un Sposa son disprezzata (Giacomelli/Vivaldi) à décrocher la coupole, il fallait un peu mieux que de l'audace, de la technique et de la fougue... même les plus relevées. Sourire aux lèvres, ne faisant qu'une bouchée des traits les plus déments malgré l'absence de cadenza, le Moscovite avait ainsi cloué l'assistance par un aplomb peu banal. Disons-le : un charisme détonant de "swingueur", hybride échevelé entre le coureur de fond et le gendre idéal.
Il y a chez lui plus permanent, et peut-être plus fort. Ramener, parmi d'autres, les "quatre V" - Vivaldi, Veracini, Valentini ou Vitali - à une pure débauche de difficulté ostentatoire n'a plus aucun sens de nos jours. De même que le bel canto (baroque ou romantique) n'est que vanité sans ses cantilènes de canto spianato à percer l'âme (d'une autre difficulté que ses rodomontades)... comment donner sens à ces fusées, ces fontaines, ces cornes d'abondance vivaldiennes, sans ces Larghi ("largos", admettons) d'un lyrisme poétique incomparable, bien trop raffiné pour être remis à la vulgarité d'un coup d'archet larmoyant ? Dmitry Sinkovsky atteint, dans ces pages à nu, un stade de quintessence estomaquant : le garçon est non seulement d'une aisance technique hors du commun, mais encore d'une sensibilité très au-dessus de la moyenne. Preuve à l'appui : la fantasmagorie si évanescente du Largo du RV 242, celui-là même du concert et cinquième du recueil (deuxième extrait proposé tout en bas). Jamais la transcendance ne nous aura semblé être une chanson si douce.
Enfin - référence au Toscan Pietro Antonio Cesti (1623-1669) qui donna ce titre à l'un de ses opéras - la non moins juvénile équipe d'Il Pomo d'Oro (Boris Begelman, déjà remarqué entre autres avec la Cappella Mediterranea, photo ci-dessus) se lance à ses côtés, sans complexe et toutes voiles dehors, à la conquête des océans naguère défiés par Giardino Armonico, Venice Baroque Orchestra et autres Concerto Italiano. Une magie devant beaucoup à un continuo hypnotique, où nous enchante, aux côtés des claviers d'Olga Watts et Maxim Emelyanychev, une guitare baroque et un archiluth amoureusement pincés par Luca Pianca. La prise de son de Jean-Daniel Noir et Marie Delorme mérite de pareils éloges, eu égard aux difficultés posées (et résolues) par les incessantes ruades du soliste dans le suraigu.
Avouerons-nous avoir écouté au moins quinze fois d'affilée ce disque ?... Le Carmignola version 2.0 serait-il arrivé ? Il serait Russe, son tempérament plaiderait pour un grand avenir - nous n'osons écrire "progrès". Dmitry Sinkovsky serait son nom.
Johann Georg Pisendel (1687-1755) |
Avons-nous dit castrat - ce que chantent aujourd'hui les contre-ténors, donc ? Comme c'est étrange ! Le héros du présent CD, le violoniste russe Dmitry Sinkovsky (photo plus haut) est aussi... contre-ténor, et de très bon niveau (voir ICI). Son pedigree épicé le rattache tout de même davantage à Pisendel qu'à Cafarelli ; et, en dépit de son âge plutôt tendre, impressionne par la nombre conséquent d'ensembles baroques qui le revendiquent comme leader (premier violon). Une profusion de talents qui le rapproche de Riccardo Minasi - autre archet de haut lignage -, fondateur des ensembles Musica Antiqua Roma et Il Pomo d'Oro (photo plus bas, celui-là même que nous entendons ici, à la tête duquel les deux virtuoses alternent). Toutefois, sur son Francesco Ruggeri de 1675, c'était Sinkovsky qui menait le bal, lors de la toute récente et très ensorcelante tournée de Joyce DiDonato, Drama Queens (photo ci-dessous) : pour avoir entendu le violoniste de près, au Théâtre des Champs-Élysées, nous pouvons attester d'une maturité et d'une autorité aussi fulgurantes que peut l'être sa jeune éloquence.
Dmitry Sinkovsky & Joyce DiDonato, Drama Queens au Théâtre des Champs-Élysées, 08/02/13, © Jacques Duffourg |
Boris Begelman, violoniste au Pomo d'Oro |
Enfin - référence au Toscan Pietro Antonio Cesti (1623-1669) qui donna ce titre à l'un de ses opéras - la non moins juvénile équipe d'Il Pomo d'Oro (Boris Begelman, déjà remarqué entre autres avec la Cappella Mediterranea, photo ci-dessus) se lance à ses côtés, sans complexe et toutes voiles dehors, à la conquête des océans naguère défiés par Giardino Armonico, Venice Baroque Orchestra et autres Concerto Italiano. Une magie devant beaucoup à un continuo hypnotique, où nous enchante, aux côtés des claviers d'Olga Watts et Maxim Emelyanychev, une guitare baroque et un archiluth amoureusement pincés par Luca Pianca. La prise de son de Jean-Daniel Noir et Marie Delorme mérite de pareils éloges, eu égard aux difficultés posées (et résolues) par les incessantes ruades du soliste dans le suraigu.
Il Pomo d'Oro, cette fois dirigé du premier violon par Riccardo Minasi (à l'extrême gauche), © non fourni |
‣ Pièces à l'écoute simple, en bas d'article ‣ ① Concerto RV 212a en ré majeur - 3) Allegro (avec la Cadence !) ‣ ② Concerto RV 242 op.8 n°7 en ré mineur - 2) Largo ‣ ③ Concerto RV 328 en sol mineur - 1) Allegro ‣ © Naïve Éditions 2013.
(1) Pisendel et Bach se connaissaient. Une conjecture est que le premier fut le dédicataire des célébrissimes Sonates et Partitas pour violon seul, BWV 1001 à 1006, du second.
(2) Successivement RV 177, 212a, 246, 370, 242, 379 et 328. Ce n'est pas la même chose, précisons-le, que de s'en tenir aux seuls exploits consignés par Vivaldi pour les exhibitions lagunaires de son ami. Mais qui se plaindra d'un tel remplissage ?
(3) Sous cet angle, la performance et l'intensité du plaisir sont en tout point comparables à ceux prodigués par l'album Opera Proibita de Cecilia Bartoli, autre démonstration de légende, au cours de laquelle le moyen savait se faire fin - et cela, jusqu'au vertige !
(2) Successivement RV 177, 212a, 246, 370, 242, 379 et 328. Ce n'est pas la même chose, précisons-le, que de s'en tenir aux seuls exploits consignés par Vivaldi pour les exhibitions lagunaires de son ami. Mais qui se plaindra d'un tel remplissage ?
(3) Sous cet angle, la performance et l'intensité du plaisir sont en tout point comparables à ceux prodigués par l'album Opera Proibita de Cecilia Bartoli, autre démonstration de légende, au cours de laquelle le moyen savait se faire fin - et cela, jusqu'au vertige !
‣ Antonio Vivaldi (1678-1741) - Concerti per Violino, vol. V "per Pisendel" - Vivaldi Édition Naïve
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