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Que de raretés françaises brillamment replacées sous les projecteurs : après une mémorable Sémiramis de Charles Simon Catel à Montpellier, une assez récente tournée Amadis de Gaule de Johann Christian Bach, en passant par le Paradis Perdu de Théodore Dubois (Montpellier, encore) - et dans l'attente impatiente du Mage stéphanois de Jules Massenet, le Palazzetto poursuit ses passionnantes réhabilitations.

Libre de ton, résolument tourné vers l'avenir, le compositeur français s'affranchit de toute école de pensée, de tout académisme conventionnel. À la charnière entre classicisme et romantisme, voire pré-impressionnisme, l'ouvrage n'en est pas moins aussi abouti qu'ombreux. Il n'appartient à aucun genre codifié, pas plus qu'il ne ressemble à aucune autre musique de son époque. Un choix assurément judicieux pour ouvrir une nouvelle collection d'œuvres françaises - mais aussi, n'y allons pas par quatre chemins, une résurrection majeure. L'héritage kreutzérien, ce contemporain de Lesueur et Catel, est composite. Nourri de Gluck, Gossec (Thésée !), Grétry (Andromaque), le langage personnel de l'éminent violoniste - dédicataire de l'illusre Sonate de Beethoven qui offrit à son tour un titre de nouvelle à Tolstoï - préfigure, à brève ou moyenne échéance, ceux d'Hérold, d'Auber... et plus tard de Berlioz, grand admirateur de cette Mort d'Abel.
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Guy van Waas, © http://bit.ly/Y7RwGJ |

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J.-Sébastien Bou, remarquable Caïn, © non fourni |
Un moment-clef pour Caïn est celui où il crache littéralement sa haine à la figure de son frère Abel, à l'acte I. Toutefois, son monologue intense ouvrant l'acte suivant sera pour beaucoup une révélation. Il s'agit, ni plus ni moins, de l'esquisse, du profilage du baryton romantique et héroïque à venir, dont l'un des plus merveilleux fleurons demeurera l'Hamlet de Thomas (1868). Le compositeur démontre un talent minutieux de peintre de caractère, de symphoniste authentique et d'homme de théâtre accompli. Il se montre empli de compassion - voire de tendresse - envers le fratricide, lui réservant la plus belle scène de l'opéra-oratorio : un lamento doloriste, d'un noir rayonnement, précédé d'un admirable récitatif, parangon de prémonition funèbre. Magie de la musique : de monstrueuse et d'haïssable, cette simple et suffocante oraison transfigure le ténébreux Cain, devenu d'un coup humain, trop humain si ce n'est pathétique - lorsque, rongé par le doute, il mesure les conséquences de son acte inéluctable.
Le reste des protagonistes se tient, dramatiquement parlant, un peu en retrait. Issu des enfers, Anamalech, autre clef de fa, trouve en Alain Buet un héraut impeccable, net et tranchant, propre à distiller l'effroi. C'est à Sébastien Droy qu'échoit le rôle ingrat d'Abel, pantin impuissant et geignard, auquel le ténor champenois au timbre clair et franc parvient à donner autant de tenue qu'il est possible. Les épouses des deux frères, Méala et Tirsa, sont correctement représentées par Katia Velletaz et Yumiko Tanimura. Malheureusement, le personnage d'Ève semble porter moyennement chance au Palazzetto Bru Zane : après Le Paradis Perdu de Dubois (notre compositeur coup de cœur de l'année) privé d'une récompense qui lui tendait les bas, voici l'alter ego de Kreutzer confiée à Jennifer Borghi. L'Italo-Américaine dispose certes d'un timbre intéressant (Thésée de Gossec, Versailles) ; toutefois, face aux micros, l'émission pâteuse et le débit monocorde resteraient des péchés véniels, s'ils ne le disputaient à une diction globalement inintelligible. L'enregistrement parfait était, là encore, à portée de main.
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Rodolphe Kreutzer, musicien visionnaire (1766-1831) |

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Le Chœur de Chambre de Namur, © http://bit.ly/Z5si81 |
(1) Celles-ci sont si proches des envolées surnaturelles d'Arrigo Boito, dans ses Nerone et surtout Mefistofele !
(2) Honnêtement: le texte versifié de François-Benoît Hoffman constitue une véritable purge. Il était bien sûr impossible, compte tenu de son caractère harmonisé en continu, d'en faire ici ce que nous rêverions d'en faire... À l'image de ce que décidèrent Christophe Rousset et Krzysztof Warlikowski au sujet du même Hoffman - auteur des soporifiques dialogues parlés de la Médée de Cherubini - lors de la production sensationnelle (notre Opéra de l'Année) du TCE en décembre dernier. C'est à dire : le jeter.
(3) Du même Déodat de Séverac....
‣ Rodolphe Kreutzer (1766-1831) : La Mort d'Abel (Académie Impériale de Musique, 1810) -
Tragédie lyrique en trois actes, remaniée en deux actes en 1825.
‣ Jean-Sébastien Bou, Pierre-Yves Pruvot, Alain Buet, Sébastien Droy, Jennifer Borghi,
Katia Velletaz, Yumiko Tanimura.
‣ Chœur de Chambre de Namur, Orchestre Les Agrémens. Guy Van Waas, direction.
Tragédie lyrique en trois actes, remaniée en deux actes en 1825.
‣ Jean-Sébastien Bou, Pierre-Yves Pruvot, Alain Buet, Sébastien Droy, Jennifer Borghi,
Katia Velletaz, Yumiko Tanimura.
‣ Chœur de Chambre de Namur, Orchestre Les Agrémens. Guy Van Waas, direction.
Mon cher Jacques, je viens de lire attentivement ce travail et d'écouter les trois extraits que tu nous donnes à entendre ici... Voici donc mes propres réflexions...
RépondreSupprimerD'abord, il s'agit - à mon avis aussi - plus que d'une découverte, mais d'une sorte de révolution... Tout simplement parce que ce musicien, dont le nom fut "écrasé" pour la raison que nous connaissons tous, représente un pont entre Gluck et Berlioz - peut-être plus important sur le plan lyrique, avec cette partition, que des compositeurs tels que Gossec, Mehul, Cherubini et Spontini, etc. En somme, effectivement, une sorte de "chainon manquant" permettant de passer du classicisme au romantisme...
Ensuite, j'ajouterai que les interprètes présents sont plus que convaincants et servent parfaitement cette œuvre étonnante - en raison (j'insiste) de la projection qu'elle représente vers le futur de l'histoire de la musique, puisque sa première mouture remonte à l'année 1810... !!!
Merci infiniment, cher Jean-Luc, pour ce commentaire agréable qui surligne, fort pertinemment, l'importance, en termes d'articulation et de cheville, de Rodolphe Kreutzer... et de cette œuvre si particulière (et presque totalement réussie en enregistrement, n'était le cas Borghi. À bientôt, gratitude pour votre fidélité à notre blog ! :) Étienne
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